Critique | Musique

Nos albums de la semaine: Solange, Growlers, clipping…

Solange © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Le nouvel album de Solange rumine les 1001 vexations que peuvent subir les Noirs dans une société majoritairement blanche. Black (soft) power! Avec également nos critiques des nouveaux albums de Black Marble, The Growlers, C Duncan, clipping., Usher, MacMiller et Mr Oizo.

Solange – « A Seat at the Table »

R’N’B. DISTRIBUÉ PAR SONY. ***(*)

Dans Americanah, l’écrivaine nigériane ChimamandaNgozi Adichie raconte l’histoire d’Ifemelu. Une étudiante qui, comme elle, a quitté le pays pour étudier aux États-Unis. Et qui, pour la première fois, plongée dans une société dominée par les Blancs, découvre la notion de race. Le récit débute avec la visite de l’héroïne chez la coiffeuse. Rien de superficiel là-dedans. En tresses, afros, ou défrisés et lissés pour mieux coller au modèle « caucasien »: derrière les cheveux, il y a l’enjeu, quasi politique.

Sans doute, Solange Knowles, tout comme sa soeur Beyoncé -qui a glissé un extrait d’un discours d’Adichie dans l’un de ses morceaux (Flawless)-, a lu Americanah. Et y a reconnu les mêmes questionnements « capillaires ». Le morceau Don’t Touch My Hair déboule à peu près à la moitié de son nouvel album, le troisième. Il évoque cette scène classique: celle qui voit le Blanc, curieux, se pique de palper la chevelure noire, si « exotique ». Un geste apparemment anodin, mais souvent maladroit, toujours agaçant (et jamais réciproque: déjà vu un Noir demander à un Blanc pour triturer sa permanente?). Version Solange, cela donne: « Don’t touch my hair/When it’s the feelings I wear ». Raconter l’expérience afro-américaine, jusqu’aux racines, sans (dé)coloration: c’est bien le but avoué de A Seat at the Table.

Dans la famille Knowles, Solange est la petite soeur. Pas la mégastar, mais bien la version alternative. C’est surtout vrai depuis True, un EP qui, en 2012, travestissait la trame soul classique (le tube Losing You), décalant un peu les codes. En frayant avec le groupe de rock, hypercrédible, Grizzly Bear, Solange passait même pour la chanteuse R’n’B indie, capable de plaire aux hipsters à moustache.

Cela ne l’a pas empêchée de continuer à se pencher sur la question de l’identité noire. Et de dénoncer, de manière de plus en plus appuyée, le racisme ambiant. Qu’il passe par des violences policières ou par des vexations plus pernicieuses. C’est bien le sujet d’A Seat at the Table, qui célèbre la cause et la fierté black –« For us, by us », « Pour nous, par nous », chante-t-elle notamment (F.U.B.U). Une démarche qui a fait dire à certains qu’elle, la « chanteuse de R’n’B pour Blancs », devait faire attention à ne pas mordre la main qui la nourrissait… Elle s’en amuse sur le morceau Don’t You Wait (« Now, I don’t want to bite the hand that’ll show me the other side, no »). Juste avant, sur Mad, avec le rappeur Lil Wayne, elle explique encore en quoi la colère d’un Noir est forcément vue comme hystérique.

La musique, elle, ne l’est en tout cas en rien. Là où sa soeur choisit volontiers l’offensive (Formation), Solange tisse une trame soul pastel (Don’t Wish Me Well, Borderline avec Q-Tip…), sans effet de manche, quasi méditative par moments, produite en partie par Raphael Saadiq. De Jamila Woods à Lemonade, en passant par Xenia Rubinos, la soul féminine aura passé une bonne partie de 2016 à alimenter les débats sur l’identité noire. Avec A Seat at the Table, Solange apporte à son tour sa contribution à la discussion, brillante pour le coup. (L.H.)

Black Marble – « It’s Immaterial »

ÉLECTRO. DISTRIBUé PAR GHOSTLY INTERNATIONAL/KONKURRENT. ***(*)

A l’origine duo issu de Brooklyn, Black Marble se réduit au seul Chris Stewart depuis le déménagement de ce dernier du côté de L.A. Manifestement, ce n’était pas pour aller y trouver une autre inspiration! Ce deuxième album rouvre une parenthèse dans le temps. Au milieu: les années 80, leur mélange caractéristique de danse et de mélancolie. Bassline discrète et subtilement métallique, légère réverbe sur la voix, nappes et rythmiques ramènent 30 ans en arrière. Alors, copycats, que ces guitares à la Cure (Self Guided Tours), ces échos des premiers Depeche Mode (Frisk) et ces synthés vintage (Iron Lung, un peu New Order)? Oui, s’il n’y avait ce petit truc addictif dans les atmosphères étrangement lumineuses. (D.S.)

The Growlers – « City Club »

POP. DISTRIBUÉ PAR CULT RECORDS/KOBALT/V2. ***

Absence de direction, son trop clean… En 2012, les Growlers avaient décidé de mettre au bac tout leur boulot avec le Black Keys, saboteur de disques en chef, Dan Auerbach. A l’écoute de City Club, on se demande si les rockeurs californiens n’auraient pas bien fait de réserver le même sort à leurs sessions dirigées par Julian Casablancas. Produit par le chanteur des Strokes (avec qui ils partagent l’amour de la Converse) et distribué par son label Cult Records, City Club est moulé dans le dernier slim du groupe new-yorkais qui a marqué le retour de la guitare au début des années 2000. Quelques chouettes chansons ne sauvent pas un album aux arrangements souvent foireux qui manque cruellement de personnalité. Les Growlers virent FM… (J.B.)

C Duncan – « The Midnight Sun »

POP. DISTRIBUÉ PAR FATCAT/KONKURRENT. ***

Le 26/10 au Grand Mix (Tourcoing), le 4/11 au Charlatan (Gand).

Un an après un premier album boisé et pastoral franchement bluffant (Architect) et une série de concerts qui, il faut bien l’avouer, allaient se révéler nettement moins excitants, l’Ecossais C Duncan enchaîne aujourd’hui avec The Midnight Sun. Déjà prêt à l’exploration de nouveaux territoires, ce cousin britannique des Fleet Foxes, de Grizzly Bear et de Department of Eagles étale désormais ses pop songs sur des textures plus synthétiques et électroniques. Ecrit, enregistré et produit dans la même chambre que son prédécesseur, The Midnight Sun a beau à nouveau s’imposer comme un disque labyrinthique, Duncan y délaisse ses ambiances acoustiques et champêtres au profit d’une modernité légère mais ni profitable ni nécessaire. (J.B.)

clipping. – « Splendor & Misery »

RAP. DISTRIBUÉ PAR SUB POP. ****

Projet de hip hop expérimental californien, clipping. raconte les aventures dans l’espace du seul survivant à une insurrection d’esclaves. Libre et insoumis.

clipping.
clipping.© DR

À la fin des années 80, Sub Pop fondé par le journaliste Bruce Pavitt était par excellence le label des longs cheveux gras et de la crasse entre les doigts de pied. Le temple poisseux du grunge. Le premier à croire en Nirvana, Soundgarden et Mudhoney. Trente ans plus tard, la maison de disques de Seattle a bien changé. Warner détient 49% de l’entreprise. Pavitt a depuis longtemps quitté le navire devant les velléités mercantiles de son partenaire Jonathan Poneman venu du milieu des concerts. Et Sub Pop doit ses plus grands succès commerciaux du siècle à une chorale boisée de jeunes barbus en chemise à carreaux (les Fleet Foxes) et à un gentil groupe pop du Nouveau Mexique pote avec Danger Mouse (The Shins).

Si Sub Pop se reconstruit aujourd’hui un semblant d’identité, bousculant un tant soit peu l’histoire de la musique et redessinant ses frontières, c’est étonnamment du côté d’un hip hop expérimental et aventureux qu’il faut s’en aller chercher. Un hip hop du futur, peut-être le futur du hip hop, emmené par les Shabazz Palaces et les filles de THEESatisfaction. Stasia Irons et Cat Harris-White ont annoncé leur séparation en mai dernier (la deuxième a déjà sorti un album solo sous le nom de SassyBlack), mais la relève est assurée avec les radicaux explorateurs de clipping. Troisième album complètement dingo du trio californien, Splendor & Misery est un opéra de l’espace. L’histoire du seul survivant d’une révolte d’esclaves sur un cargo interstellaire et celle de l’ordinateur de bord qui tombe amoureux de lui.

Ça ne surprendra personne à l’écoute de Splendor & Misery. Jonathan Snipes et William Hutson qui ont lancé clipping. en 2009 sont sound designers et compositeurs de musiques de film. Ils ont notamment signé celle du documentaire Room 237 consacré au Shining de Stanley Kubrick. Leur MC Daveed Diggs n’a rien non plus d’un novice. Il vient de remporter un Grammy et un Tony Award pour ses rôles du Marquis de Lafayette et de Thomas Jefferson dans la comédie musicale Hamilton. Il possède un morceau dans le film d’animation Zootopie, joue Ezekiel adulte dans la série hip hop The Get Down et a participé au premier album de True Neutral Crew.

Plus qu’un disque politique aux textes revendicateurs, Splendor & Mysery est un voyage dans l’espace. Une expédition épique, philosophique et angoissante peuplée de bruits étranges. Verre cassé, sirène d’alarme, blips, blops, crachin d’ondes radio, balles qui fusent et tôle qui se froisse… Long Way Away sonne comme une complainte de champ de coton enregistrée en 2178 dans des contrées de l’univers encore inexplorées. Air ‘Em Out comme un drôle de trap en apesanteur. Le flow est précis, froid, parfois clinique, plus proche du spoken word que du rap… Un disque qui se regarde comme on écoute un film. La BO hip hop commune de Gravity et 2001: l’odyssée de l’espace. Décollage immédiat. (J.B.)

Usher – « Hard II Love »

R’N’B. DISTRIBUÉ PAR SONY. ***(*)

À l’heure où le R’n’B a fait sa révolution de velours (ou plutôt de coton, moins séducteur que gloomy et dépressif), la place d’Usher pourrait éventuellement être remise en question. Depuis 25 ans dans le circuit, le chanteur continue pourtant d’intriguer les foules (en 2012, Looking 4 Myself était son quatrième album à avoir réussi à se hisser au sommet du top 200 US). Sur le nouveau Hard II Love, le huitième de sa discographie, le crooner convoque la jeune garde, en la personne de Young Thug (No Limit) ou Future (Rivals). Mais c’est toujours bien lui qui reste au centre du jeu, gardant la main sur un R’n’B moderne, chatoyant. Productions luxuriantes, facilité vocale jamais démentie : à l’une ou l’autre exception près (Champions), Hard II Love est surtout difficile à ne pas aimer. (L.H.)

MacMiller – « The Divine Feminine »

RAP. DISTRIBUÉ PAR WARNER. ***(*)

Les plus perspicaces ne seront pas passés à côté de ce qui fut l’un des hits (underground) de l’été. Avec ses claps et sa ligne de basse à peu près irrésistible, Dang! pouvait également compter sur le sourire d’Anderson Paak., guest lumineux d’un titre funkyssime, éminemment dansant. Signé MacMiller, le morceau annonçait la couleur d’un quatrième album au pouvoir de séduction instantané. Pour The Divine Feminine, le rappeur de Pittsburgh fait appel à Dâm-Funk (Soulmate), Cee-Lo Green (impeccable sur le down-tempo de We) ou s’offre la trompette de Robert Glasper (God Is Fair, Sexy, Nasty, avec également l’omniprésent Kendrick Lamar). Sur My Favorite Part, il chante plus qu’il ne rappe, accompagné par Ariana Grande. Le tout avec un naturel épatant. (L.H.)

Mr Oizo – « All Wet »

ÉLECTRO. DISTRIBUÉ PAR ED BANGER. **(*)

Cela se bouscule chez Ed Banger. Le label enchaîne les sorties ces derniers mois. Après Breakbot et Cassius, et avant le prochain Justice, c’est au tour de Mr Oizo, alias Quentin Dupieux, de proposer un nouvel album. Comme sur le marquant Lambs Anger (2008), la pochette d’All Wet fait référence au personnage de Flat Eric, marionnette responsable du principal hit de Mr Oizo. La liste d’invités (Skrillex, Boys Noize…) peut aussi attirer la curiosité. Mr Oizo reste néanmoins un trublion grinçant, qui amuse autant qu’il fatigue. All Wet a ses fulgurances (Low Ink, Your Liver). Mais avec la plupart des morceaux ne dépassant pas les deux minutes trente, il donne aussi trop souvent l’impression de bâcler son ouvrage. (L.H.)

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