Nos albums de la semaine: Hamilton Leithauser + Rostam, Isaiah Rashad, Soundwalk Collective…

Hamilton Leithauser + Rostam © Josh Goleman
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le chanteur des Walkmen et l’ex-Vampire Weekend se retrouvent pour un disque de rock épatant, classique dans la forme, explosif dans son exécution. Avec également nos critiques des albums de Soundwalk Collective, Keaton Henson, Preoccupations, Warpaint, Isaiah Rashad, Mykki Blanco, AlunaGeorge et Travis Scott.

Hamilton Leithauser + Rostam – « I Had a Dream That You Were Mine »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR CAROLINE. ***(*)

Proposition: chaque semaine, la (très) longue caravane de disques passe, et à quelques occasions seulement, le critique aboie. Sur quelle base? À partir de quel critère? Soyons honnête: il aura beau être vigilant, le journaliste gavé de musique aura probablement tendance à s’arrêter devant l’album à l’allure la plus spectaculaire, la plus originale, celui avec la parure la plus flamboyante. Logique? Certes. Sauf que parfois, certains n’ont pas besoin de réinventer la roue pour marquer l’oreille, titiller le palpitant. Ainsi en va-t-il de I Had a Dream That You Were Mine.

Certes, le nom de ses deux auteurs pouvait déjà suffire à aguicher. Derrière le disque, on retrouve Hamilton Leithauser, chanteur et guitariste des Walkmen, héros indie folk-rock américain pour l’instant à l’arrêt, après une bonne demi-douzaine d’albums, plutôt bien coté (l’excellent Lisbon, par exemple, sorti en 2006). À ses côtés, Rostam Batmanglij n’est pas davantage un inconnu: avant de quitter le groupe, il était l’un des deux principaux compositeurs de Vampire Weekend, combo new-yorkais à qui l’on doit notamment les hits Oxford Comma, Cape Cod Kwassa Kwassa ou plus récemment Ya Hey. À deux, ils ont décidé de trousser un disque de rock américain, dans le sens le plus classique du terme. Avec tout ce que cela peut avoir de prévisible, mais aussi de terriblement jouissif.

Buddy movie

Ce n’est pas la première fois que les deux musiciens se retrouvent. Rostam Batmanglij avait déjà pu travailler avec Leithauser, produisant et jouant sur son premier solo, Black Hours, sorti en 2014. Dans la foulée, la paire a continué de se revoir régulièrement, dans le studio de Rostam, à Los Angeles, enregistrant des bouts de morceaux dès que l’occasion se présentait. Qu’une telle méthode de travail, décousue, flottante, ait donné un disque aussi cohérent est le premier petit miracle de I Had a Dream

Il démarre avec A 1000 Times, sortie folkeuse qui prend rapidement l’allure d’une charge héroïque, portée par la voix écorchée de Leithauser, plus springsteenien que le Boss himself. Plus loin, Peaceful Morning a des airs de Dylan apaisé, en mode western (banjo compris). Au sein du duo, on devine comment se sont répartis petit à petit les rôles: à Leithauser l’investissement émotionnel, le poids des sentiments écorchés; à Rostam le plaisir du jeu et de la ligne mélodique qui papillonne. Avec pour principe commun -ligne de conduite imperturbable- le plaisir de jouer ensemble. Exemple encore avec le buddy movie Rough Going (I Won’t Let Up), morceau qui va titiller le doo wop avec un enthousiasme contagieux, frôlant l’exercice de style, sans jamais tomber dedans.

On l’a compris, avec I Had a Dream That You Were Mine, Leithauser et Rostam n’entendent pas révolutionner l’americana et ses différentes déclinaisons. Par contre, ils l’investissent avec un élan et une sincérité complètement désarmants. Comme dit l’autre, il ne faut pas passer à côté des choses simples. (L.H.)

Soundwalk Collective/Patti Smith/Jesse Paris Smith – « Killer Road »

EXPERIMENTAL. DISTRIBUÉ PAR BELLA UNION. ***

Certaines vies semblent programmées pour le drame. Celle, particulièrement chahutée, de Nico se termina le 18 juillet 1988. Née Christa Päffgen, la chanteuse-top model-compositrice-poétesse allemande, ex-égérie du Velvet Underground, décède alors d’une hémorragie cérébrale, suite à une chute à vélo, sur l’île d’Ibiza. Elle n’avait pas 50 ans. C’est sa destinée qui a inspiré Killer Road, drôle d’objet musical à plusieurs composantes. Il y a d’abord le Soundwalk Collective, trio électronique dispersé entre Berlin et New York, adepte d’installations sonores et d’albums-concepts. C’est lors d’un trajet en avion commun que l’un de ses membres, Stephan Crasneanscki, tombe sur Patti Smith et lui propose de s’investir dans leur nouveau projet. Avec Killer Road, le Soundwalk Collective entend rendre hommage à Nico en remettant en musique plusieurs de ses textes. Rejointe par sa fille Jesse Paris Smith, aux percussions, Patti Smith se retrouve ainsi la plupart du temps à déclamer les mots de Nico, mais en se détachant complètement des mélodies qui ont pu les accompagner. Le Soundwalk Collective se charge lui de la bande sonore, filant notamment sur le terrain, à Ibiza, pour récolter des sons (le bruit des cigales par exemple, qui ouvre l’album). Le résultat, fantomatique, hanté, colle certes bien à l’histoire de Nico et à son cours tragique. La voix de Smith, en particulier, se prête parfaitement à l’exercice. De là à dire que Killer Road passionne de bout en bout, ce serait par contre exagéré, l’album dépassant rarement le tapis ambient. (L.H.)

Keaton Henson – « Kindly Now »

BRITANNICANA. DISTRIBUÉ PAR PIAS. ****

Depuis tout ce temps, on pensait avoir eu son quota de disques spleen mais quand ce jeune Anglais de 25 ans –« anxieux » selon ses propres dires- débarque avec ses dernières armes mélancoliques, c’est ok pour un peu de rab. Six albums depuis 2012 et une seconde chanson, Alright, qui fait renaître les viscères. C’est dire que le vieil adage maudit -soyez triste et vivez fort- fonctionne sous des chansons-cataplasmes qui remplissent deux-trois cases existentielles. Piano camisole de force, voix éreintée, accords mineurs théâtraux, rien de nouveau sous la neurasthénie mais un collier de mini-tragédies qui va jusqu’au bout du garrotage (No Witnesses). Xanax, pas le groupe, ne fera pas mieux. (Ph.C.)

Preoccupations – « Preoccupations »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR JAGJAGUWAR/KONKURRENT. **(*)

LE 12/11 AU BOTANIQUE.

Lassés qu’on les questionne sur leur nom et embêtés à l’idée d’avoir choqué la communauté vietnamienne (ce qui n’a pas manqué), les Canadiens de Vietcong ont falsifié leurs papiers d’identité et se font désormais appeler Preoccupations. Vingt mois après un premier album qui lui avait permis de faire son trou, le groupe de Calgary emmené par deux anciens membres de Women tente d’enfoncer le clou avec un disque cette fois moins branché post punk que cold et new wave. Joy Division, New Order, The Cure ou encore Echo and the Bunnymen promènent leur influence tutélaire sur neuf pistes à la froideur eighties et aux claviers omniprésents. Déficit de tension, manque de chansons. Autant vaquer à d’autres (Pre)occupations… (J.B.)

Warpaint – « Heads Up »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR ROUGH TRADE. **(*)

Le 30/10 au Live Music Hall (Cologne) et le 2/11 au Paradiso (Amsterdam).

Il ne reste plus grand-chose de la dreampop éthérée et charmeuse qui habitait Exquisite Corpse, le premier EP aux couleurs sépias de Warpaint enregistré il y a huit ans déjà avec le Red Hot Chili Pepper John Frusciante. Disque plus exubérant tourné vers le dancefloor, Heads Up a des voix R&B, des sonorités hip hop et même une chanson, New Song, inspirée par le Get Lucky de Daft Punk, Pharrell et Nile Rogers (résultat d’un jeu au cours duquel lequel les filles écrivaient chacune un morceau directement après en avoir écouté un autre). Warpaint a le mérite de l’audace, le courage du renouvellement. Ses nouveaux horizons et ses dernières chansons n’en laissent pas moins perplexe. Heads up, ears down… (J.B.)

Isaiah Rashad – « The Sun’s Tirade »

RAP. DISTRIBUÉ PAR TDE. ***(*)

Rongé par la dépression, plombé par diverses addictions, Isaiah Rashad s’en sort par le haut avec un second album au cool irrésistible.

Isaiah Rashad
Isaiah Rashad© DR

On a bien failli perdre le soldat Rashad, paumé dans un nuage d’opiacés. L’histoire du jeune rappeur avait pourtant bien commencé. Des productions signées par des références (MF Doom, Flying Lotus, etc.), balancées sur Soundcloud, pour attirer l’attention. Puis un premier album qui confirmait les bonnes dispositions du rappeur né il y a 25 ans du côté de Chattanooga -même pas 180 000 habitants, au fin fond de l’Etat du Tennessee. Sorti en 2014, Cilvia Demo avait su séduire les amateurs de rap, tendance jazzy psychédélique, titillés par le flow granuleux du bonhomme -voir par exemple un titre comme Tranquility, méditation nocturne sur fond de violences urbaines, Rashad citant Brutus et César, pour finir par se demander si son fils « lui fera confiance, après autant d’horreurs« … Il n’était pas question de gangsta rap, ni même de « fables du ghetto »: juste le récit impressionniste d’un jeune Noir dans l’Amérique post-raciale, mais toujours raciste, d’Obama.

Depuis ce premier coup d’éclat, Isaiah Rashad s’était cependant fait relativement discret. Là où la plupart de ses collègues fonctionnent à l’abondance, profitant de toutes les fenêtres possibles pour assouvir leur hyperactivité, Rashad semblait avoir fait un pas sur le côté. En réalité, le rappeur, sujet à la dépression, s’est fait rattraper par diverses addictions. En début d’année, lors d’une interview radio, il expliquait ainsi s’être perdu dans la consommation excessive d’alcool, doublée d’un trop grand appétit pour les pilules de Xanax. Une combinaison qui l’a laissé complètement groggy. Au point de recevoir plusieurs mises en garde de son label, Top Dawg Entertainment (Kendrick Lamar, ScHoolboy Q, Ab-Soul…).

Melancholia

C’est d’ailleurs par un avertissement que débute le nouvel album. The Sun’s Tirade s’ouvre avec le coup de téléphone contrarié de Dave Free, producteur et patron de TDE, qui demande à son protégé où il en est. « Tu as jusque vendredi, je ne te le demanderai plus », glisse-t-il. La menace, à peine voilée, a visiblement fonctionné. Débarrassé aujourd’hui de sa dépendance aux médicaments, Rashad assure ne plus boire que modérément. Dans la foulée, l’album, maintes fois repoussé, est enfin arrivé, confirmant le grain particulier du bonhomme, tout en poussant encore un peu plus loin son rap brumeux (plus « foggy » que « cloudy »).

Qu’après un accouchement aussi chaotique, le disque continue de cultiver un tel cool reste un vrai mystère. Free Lunch, par exemple, a le groove chaud et la texture jazzy. Plus loin, Silkk Da Shocka avance au ralenti, morceau amoureux sur lequel il est rejoint par Syd Tha Kid (Odd Future, The Internet). A mi-parcours, Stuck in the Mud, divisé en deux parties, sert de charnière au disque et démontre que Rashad ne veut pas se contenter de rabâcher. Don’t Matter, par exemple, est ce qu’il a produit de plus agité, uptempo qui sort du lot, sans que cela ne mette en péril la cohérence (la monotonie, diront certains) du propos. Certes, plombé par sa lucidité (« Lord, I can’t feel the joy/I can’t fill the void« , sur Rope/Rosegold; ou plus vicieux, « How do you tell the truth to a crowd of white people?« , sur BDay), Rashad continue de carburer aux états d’âme. Il semble cependant avoir appris à mieux vivre avec. (L.H.)

Mykki Blanco – « Mykki »

DISTRIBUÉ PAR V2. ***(*)

RAP. EN CONCERT LE 12/11, À SONIC CITY, COURTRAI.

Il a beau être souvent accusé de réflexes homophobes, le rap a généré ces dernières années toute une nouvelle scène queer. A l’instar d’artistes comme Big Freedia ou encore Mykki Blanco. Après une série de mixtapes et d’EP, ce dernier sort aujourd’hui son premier véritable album. Où Michael Quattlebaum Jr, de son vrai nom, montre encore une nouvelle facette de sa personnalité. Rappeur transgenre nourri aussi bien au hip hop qu’au punk, à la fois musicien, poète, et performer, Blanco laisse un peu tomber les excentricités soniques. Sans pour cela rentrer dans le rang. Presque pop par moments, Mykki est une vraie réussite, qui réussit à arrondir les angles tout en gardant le cap sur l’audace. (L.H.)

AlunaGeorge – « I Remember »

POP. DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. ***

Repéré notamment via sa collaboration avec Disclosure sur le tube White Noise, en 2013, AlunaGeorge avait réussi à placer ses propres billes dans les hits parades, avec des titres comme Your Drums, Your Love, ou You Know You Like It. Duo constitué de la chanteuse Aluna Francis et du producteur George Reid, il proposait une formule pop british bien ficelée. A la fois efficace et assez décalée pour ne pas se perdre dans la masse. Trois ans après Body Music, enregistré à deux, AlunaGeorge a ouvert son chantier à d’autres (Flume, Charli XCX…). I Remember, leur second album, continue cependant de cultiver les mêmes fondamentaux. Ceux d’une musique mainstream mais pas neuneu, personnelle à défaut d’être complètement originale. (L.H.)

Travis Scott – « Birds in the Trap Sing McKnight »

RAP. DISTRIBUÉ PAR SONY. ***

Un an à peine après Rodeo, son premier album officiel, Travis Scott est déjà de retour pour servir la suite de sa tambouille trap. Relié à ce courant, le rappeur de Houston essaie aussi d’en sortir régulièrement. C’est en particulier le cas de ce nouveau Birds in the Trap Sing McKnight. Comme sur son effort précédent, la liste d’invités est à nouveau corsée, Scott attirant aussi bien Andre 3000 que Kendrick Lamar, The Weeknd ou encore Kid Cudi. Cela n’aide pas forcément à la cohérence de la proposition. Inégal, Birds in the Trap… contient cela dit assez d’idées et de gimmicks capables de faire mouche, à l’image de Pick Up the Phone, tube catchy qui peut compter sur la présence de l’omniprésent Young Thug.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content