Critique | Musique

Nos albums de la semaine: Bruno Mars, Thee Oh Sees, Yussef Kamaal…

Bruno Mars © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sur son troisième album, Bruno Mars prolonge la fiesta d’Uptown Funk en piochant dans le r’n’b eighties. Ultra référencé donc, pas bien finaud, mais à peu près irrésistible. Avec également nos critiques des nouveaux albums de Thee Oh Sees, It It Anita, Sleigh Bells, Jim James, Yussef Kamaal, Charlie Haden, Manolo Cabras Quartet, Roberto Fonseca et Susana Santos Silva.

Bruno Mars – « 24K Magic »

POP. DISTRIBUÉ PAR WARNER. ** (*****)

En concert les 28 et 29/03, au Sportpaleis, Anvers.

Parfois, il faut savoir s’incliner. Déposer les armes traditionnelles du critique, et reconnaître que l’on s’est fait avoir. Promis, la prochaine fois, on vantera les mérites de ce nouveau projet islandais d’electronica ambient. Mais là, pour une fois, on ira au plus simple, voire à la facilité. Vous allez voir, ce n’est pas très compliqué, ce n’est même pas sale. Laissez-vous faire… Après tout, cela arrive à tout le monde de préférer un bon Quick à la dernière table tendance. Ce n’est pas forcément une défaite. Juste une simple parenthèse dans des temps troublés. Celle proposée par Bruno Mars est des plus savoureuses.

A vrai dire, de Bruno Mars, on avait toujours apprécié la vista pop, tout en gardant une certaine distance avec ce qui semblait malgré tout pouvoir déraper à tout moment, dans l’excès de sucre notamment, pas loin du tube Disney (Marry You). Et puis, il y a eu le Uptown Funk de Mark Ronson, sorti fin 2014, avec Bruno Mars dans le rôle de l’artificier funk. Cuivres (et choeurs) à la Earth, Wind & Fire, basse juteuse, outro jouissivement pétaradante: morceau sans prétention, mais tube majeur, il allait propulser Mars sur une autre planète. A cet égard, son nouvel album semble moins succéder à Unorthodox Jukebox, publié en 2012, qu’à la fiesta dance d’Uptown Funk. Opportunisme? Ou suite dans les idées, c’est selon…

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

24K Magic démarre par le single du même nom. Il n’est pas une copie d’Uptown Funk, mais plutôt sa suite. Tout aussi efficace, décomplexé, il est annoncé par une intro à la talkbox, façon Roger Troutman, avant de scintiller de mille paillettes funk. Vous pensez avoir repéré une odeur de Drakkar noir? Il faut voir alors le chanteur se promener dans les couloirs d’un hôtel-casino de Vegas, dansant avec ses poteaux, peignoir glitter et clapettes sur la moquette rembourrée. Est-ce que tout cela est vraiment sérieux? Non évidemment. Et c’est ce qui finit de rendre Mars sympathique.

Si Perm est une autre saillie r’n’b à la James Brown, l’essentiel de 24K Magic tourne surtout autour d’obsessions r’n’b très eighties, pas loin du new jack swing en cours ces années-là. On zappera facilement le Versace on the Floor, et son synthé millésimé 1988, au miel un peu trop dégoulinant. Finesse, par contre, n’aurait pas juré sur le Don’t Be Cruel de Bobby Brown, tandis que la ballade Too Good To Say Goodbye aurait pu être produite par Babyface (en fait, elle est produite par Babyface).

A Honolulu, là où il est né et a grandi, Bruno Mars était notamment connu pour ses imitations du King Elvis Presley. Par la suite, il a souvent été présenté comme un clone de Michael Jackson. Il n’est donc finalement pas si étonnant que ça de le voir aujourd’hui enfiler encore un nouveau costume. Et cela, avec un enthousiasme qui manque souvent à d’autres revivalistes.

Ce n’est pas très inventif? Non, en effet -et c’est pour cela qu’on a mis une cote de 4. Mais le disque compense largement sur l’échelle du fun, où il vaut facilement un 10 (« Julio, serve that scampi », chante-t-il sur That’s What I Like), allumant la mèche à défaut d’avoir inventé la poudre. (L.H.)

Thee Oh Sees – « An Odd Entrances »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR CASTLE FACE/KONKURRENT. ***(*)

Trois mois et demi seulement après la sortie d’A Weird Exits, les inlassables et inarrêtables Thee Oh Sees lui offrent déjà un compagnon de route. Un petit frère qui malgré son nom similaire, An Odd Entrances, n’a rien d’un jumeau et emmène le paternel John Dwyer vers de nouveaux horizons. Enregistré lors des mêmes sessions que son jeune aîné, An Odd Entrances a l’humeur plus calme et le tempérament moins fougueux. Il barbote dans un psychédélisme doux et bredouille quelques gentilles et jolies pop songs (The Poem, At the End, Of the Stairs) comme Dwyer aime en truffer la fin de ses disques. Des sonorités jazz se sont glissées dans l’ADN du bébé qui finit, sans mordre, par piquer sa première crise (Nervous Tech). Six morceaux, dont trois instrumentaux, pour un mini-album nettement moins anecdotique qu’il n’y paraît. (J.B.)

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

It It Anita – « Agaaiin »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR LUIK RECORDS. ***(*)

Le 02/12 au VK avec Cocaine Piss.

Après avoir enregistré un EP avec John Agnello, cocassement inititulé Recorded by John Agnello (l’humour belge, messieurs dames), les Liégeois de It It Anita s’en sont partis retrouver à New York cette pointure du rock chaussée entre autres par Sonic Youth, Male Bonding, Kurt Vile ou encore Dinosaur Jr., pour fabriquer Agaaiin. Fameux disque de noise sous tension qui renverra d’un coup de pied au cul dans les années 90. Quand Fugazi et At the Drive-In ne s’étaient pas encore séparés. Quand Thurston Moore faisait encore de la musique avec Kim Gordon. Quand les Pixies se montraient encore excitants et sauvages. Radical, bruyant, brutal et jusqu’au-boutiste (mais avec de vraies chansons), It It Anita crie sa rage et met la raclée à Metz… De quoi vous réconcilier dès la tornade 25 (From Floor to Ceiling) avec le revival nineties. (J.B.)

Jim James – « Eternally Even »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR WARNER. ***(*)

Aux commandes de son groupe My Morning Jacket, l’Américain Jim James a réussi à constituer une discographie des plus attachantes, prenant au fil du temps une belle consistance. Creusant une sorte de rock psychédélique, gorgé de soul, My Morning Jacket publiait encore l’an dernier The Waterfall. Un septième album passionnant, qui prouvait qu’un groupe pouvait évoluer et bonifier avec le temps. Quelques mois à peine plus tard, James est déjà de retour, mais cette fois avec un effort solo. Il succède à Regions of Light and Sound of God, qu’il avait produit entièrement seul en 2013. Cette fois, il s’est adjoint les services de Blake Mills (connu notamment pour son travail sur le Sound & Color d’Alabama Shakes). Est-ce ce regard extérieur qui a permis à Jim James de rassembler et concentrer ses idées? Comparé à son prédécesseur, Eternally Even donne en effet l’impression de moins se disperser. Cela n’empêche pas les digressions: We Ain’t Getting Any Younger, par exemple, est un long trip prenant, étalé sur plus de 9 minutes, où James ne prend la parole qu’en toute fin de parcours, dans la seconde partie du morceau (« The grave is always getting closer« , ce genre).

Ici et là, le disque a été présenté comme le plus « politique » de Jim James. Certaines paroles l’attestent en effet (« If you don’t vote, it’s on you, not me« ). Mais c’est encore la musique qui suggère le mieux l’état d’esprit du musicien. Dès l’entame, Hide in Plain Sight donne le ton du disque, mélangeant douceur et gravité, désenchantement et soul réconfortante. Au groove 100 % coton, vient ainsi se greffer la guitare grésillante typique de James. « Life goes on with or without you/But I hope you know I still care about you« , assure-t-il, résumant bien la bienveillance du propos. (L.H.)

Sleigh Bells – « Jessica Rabbit »

POP. DISTRIBUÉ PAR LUCKY NUMBER. ***

La musique de Sleigh Bells a souvent constitué une véritable énigme (ou encore une sorte d’anachronisme, plus ou moins savoureux). Duo américain constitué de la chanteuse Alexis Krauss et du guitariste Derek E. Miller, Sleigh Bells s’est acharné jusqu’ici à pondre une noisy pop aussi catchy qu’encombrante. Après avoir publié trois premiers albums en trois ans, Krauss et Miller ont pris cette fois le temps de se poser. Ce qui leur a permis d’ouvrir un peu plus largement la palette sonore, mais sans vraiment adapter leur ambition, mêlant fulgurances soniques (Unlimited Dark Paths) et mélodies bubblegum (Crucible). Le résultat est à la fois intrigant, déstabilisant, mais aussi trop rarement convaincant. (L.H.)

Yussef Kamaal – « Black Focus »

JAZZ. DISTRIBUÉ PAR BROWNSOUND. ****

En concert ce 25/11, au Depot, Louvain.

Depuis Londres, le binôme Yussef Kamaal joint sa voix à la nouvelle génération de musiciens jazz, déterminés à creuser un groove rénové et aventureux.

On a beaucoup glosé ces dernières années sur le « retour du jazz ». A raison. Non pas qu’il avait disparu de la circulation: même au nadir de sa popularité, le jazz a continué de livrer de grands disques, et n’a jamais cessé de produire des frissons musicaux. Le genre semblait cependant parfois coincé dans ses vieux réflexes, incapable de vraiment s’inscrire dans son époque ou de simplement la raconter.

Dernièrement, il a su cependant retrouver une voix dans la « conversation ». Il n’est pas question de parler de revival ou de nouvelle révolution musicale. Mais en étant investi par une nouvelle génération plus ouverte aux autres genres, moins soumise à certains diktats traditionnels, le jazz a reconquis une certaine pertinence.

Jusqu’ici, le mouvement est surtout venu des Etats-Unis. Qu’il soit l’oeuvre de musiciens comme Kamasi Washington ou Thundercat, ou qu’il ait percolé dans les idiomes électroniques de Flying Lotus ou dans le rap de Kendrick Lamar. Petit à petit, la nouvelle donne a cependant fait tache d’huile. On pense par exemple aux Canadiens de BadBadNotGood, ou aux Belges de STUFF., pour n’en citer que deux. Avec le projet Yussef Kamaal, ce sont désormais les Britanniques qui intègrent le terrain de jeu. Un espace libre, aux limites mouvantes, poreuses à toutes les influences du groove. Où le jazz est moins une fin en soi qu’un moyen de traduire l’agitation et le chaos actuels.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

L’acte de naissance de Yussef Kamaal en dit déjà beaucoup sur la nature du projet. C’est en 2015, à l’occasion d’une Boiler Room -session live filmée et diffusée sur le Net, et réservée généralement aux DJ’s-, que Kamaal Williams (alias Henry Wu), aux claviers, invite pour la première fois le batteur Yussef Dayes. Tous les deux sont originaires du sud-est de Londres: ils n’ont pas pu passer à côté des radios pirates de la capitale, et de la manière dont la culture électronique y a muté durant ces deux dernières décennies, donnant naissance au grime, au dubstep, etc. Quand ils décident de collaborer plus avant, il est donc clair que leur musique reflétera aussi ces rythmes-là.

Cela ne veut pas dire que leur premier album en binôme, signé sur le label du gourou Gilles Peterson, est un disque pour les clubs, loin de là. A maints égards, Black Focus rappelle davantage le jazz-fusion seventies. Epaulé par Tom Driessler (basse) et Mansur Brown (guitare), le duo invite le saxophone de Shabaka Hutchings et la trompette du Cubain Yelfris Valdes sur le titre d’ouverture qui, passé l’intro planante, quasi « éthiopique », déroule un groove juteux. Hormis le très funky au carré Lowrider, le disque aime surtout s’étendre et improviser des atmosphères, laissant le piano électrique de Williams diriger la manoeuvre, entre pointillisme cristallin et dérapages contrôlés. A charge de Dayes d’injecter avec sa batterie la dose de nervosité et de tension nécessaire au morceau. Une formule somme toute assez simple, mais qui donne un premier album des plus bluffants. (L.H.)

Manolo Cabras Quartet – « Melys in Diotta »

JAZZ. EL NEGOCITO RECORDS eNR050 (elnegocitorecords.com) ****

Manolo Cabras, bassiste et compositeur de la totalité de l’album, propose dans ce disque généreux un post-bop qui devrait plaire aux amateurs des (meilleures) productions ECM navigant dans les mêmes eaux. Enregistré en quartette, Melys in Diotta est porté par ses solistes, le pianiste Nicola Andreolli (qui s’inscrit résolument dans les traces de monuments tels que Bobo Stenson ou Joachim Kühn) et le trompettiste Jean-Paul Estiévenart (lequel confirme ce talent protéiforme qui lui permet de passer, selon les titres, d’accents à la Miles à des explosions quasi free). La rythmique (où l’on retrouve le batteur Marek Patrman) n’étant pas en reste, nous ne serions trop recommander cette production d’un label belge bien trop méconnu. (PH.E.)

Roberto Fonseca – « ABUC »

JAZZ. IMPULSE! 92356 (Universal) ***

Huitième album du claviériste, ABUC s’inscrit toujours dans le Latin Jazz, version big band afro-cubain. Une musique qu’affectionnaient particulièrement Dizzy Gillespie et Charlie Parker, qui aimaient colorer le bop des rythmes et percussions du chef d’orchestre Machito, inventeur du genre dans les années 40. Certes, le jazz latin a connu de nombreuses variations au fil du temps et selon les pays, mais il reste toujours une musique qui se danse et se chante autant qu’elle ne s’écoute même si Fonseca, sa figure majeure aujourd’hui, tente d’en renouveler un peu figures et ambiances. Un effort respectable, mais dont les résultats ne sont pas toujours du meilleur goût -ce qui n’a jamais découragé les amateurs de cette musique « épicée ». (PH.E.)

Susana Santos Silva, Lotte Anker & Friends – « Life and Other Transient Forms »

JAZZ. CLEAN FEED CF379CD (intantjazz.com) ***(*)

Deux femmes respectivement trompettiste et saxophoniste d’un quintette où les hommes (à l’exception du pianiste) se voient relégués aux tâches secondaires (même si le « dépassement de fonction » relève de la règle du jeu), voilà qui n’a plus rien d’exceptionnel dans l’avant-garde du jazz. Susana Santos Silva est une trompettiste portugaise qui, comme la saxophoniste (soprano et ténor) danoise Lotte Anker, a beaucoup bourlingué avant d’émerger au premier plan de la musique improvisée. Les deux titres de ce CD, enregistrés live en Finlande par le combo (Sten Sandell, piano, Torbjörn Etterberg, basse, Jon Fält, batterie), propose une musique toujours intéressante même si (avouons-le) elle est loin de transcender les canons du genre. (PH.E.)

Charlie Haden/ Liberation Music Orchestra – « Time/Life: Song For the Whales and Other Songs »

JAZZ. IMPULSE! 84807 (Universal) ****

Fondé par Charlie Haden et Carla Bley en 1969, le Liberation Music Orchestra est resté fidèle aux idéaux politiques et militants qui l’ont vu naître. Grand brassage de couleurs et de nationalités, le big band a connu de longues périodes de sommeil mais s’est toujours réveillé pour soutenir les causes justes et les combats nécessaires: en l’occurrence, ici, celui de l’environnement. Les titres qui ouvrent et ferment Time/Life ont été captés au festival du Middelheim en 2011 (dont l’environnement était le thème) et sont les seuls où Haden (disparu en 2014) officie. Dans Blue In Green de Bill Evans, il se promène devant et derrière l’orchestre et ses douze musiciens (dont Carla, piano, Tony Malaby, sax ténor et Michael Rodriguez, trompette) alors qu’avec Song For the Whales, il recrée génialement, en usant de sa seule contrebasse, le chant des baleines. Après que l’orchestre et ses solistes ont pris le relais, il revient conclure le morceau avant d’en prolonger le message, de sa voix poignante d’éternel ado, par un plaidoyer en faveur de la nature et de ses créatures. Si les trois morceaux qui le complètent (avec Steve Swallow à la basse électrique) ne possèdent ni l’urgence ni la force émotionnelle des deux précités, ils mettent par contre magnifiquement en valeur la science des arrangements qui est celle de sa pianiste. (PH.E.)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content