Critique | Musique

Nos albums de la semaine (#9): Grandaddy, Thundercat, Chicano Batman…

Grandaddy © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Grandaddy sort de sa retraite et de sa chaise roulante pour offrir son premier album depuis plus de dix ans. Lytle big man… À lire également, nos critiques des albums de Temperance, Klô Pelgag, Jens Lekman, Chicano Batman, Thundercat, Quincy Jones, Art Pepper, Trio Grande et Ozma.

Grandaddy – « Last Place »

POP. DISTRIBUÉ PAR SONY MUSIC. ***(*)

LE 05/04 À L’AB (COMPLET), LE 08/04 AU FESTIVAL LITTLE WAVES (GENK, COMPLET), LE 09/04 À L’AÉRONEF (LILLE) ET LE 15/07 À DOUR.

En 2006, avant même la sortie de Just Like The Fambly Cat, disque d’adieu qu’il ne défendit même pas sur scène, Grandaddy décidait de mettre la clé sous le paillasson. Soucis financiers, ras-le-bol des tournées, besoin de solitude, l’ancien skateur professionnel Jason Lytle changeait d’air. Fuyait les engrais, les pesticides et l’agriculture intensive de sa ville natale, Modesto, et partait faire du VTT dans les montagnes du Montana. Deux albums solo, des collaborations avec Matt Ward, Danger Mouse et Sparklehorse (Dark Night of the Soul) plus tard, revoilà grand-papa sorti du formol. Suite logique des tournées qui reprirent en 2012 et s’arrêtèrent par deux fois dans les pâtures du Pukkelpop, Grandaddy dégaine aujourd’hui Last Place. Inespéré cinquième album d’un groupe qui aura dans son approche lo-fi et faussement bancale, son attitude jouette et sa géniale modestie marqué la fin des années 90 et le tournant du siècle.

Après un détour par Portland, Lytle, qui avait notamment ces dernières années rendu hommage avec Troy Von Balthazar et Ken Stringfellow (The Posies, REM) à son vieux pote Elliott Smith et à son petit chef-d’oeuvre Figure 8, est retourné s’installer dans sa Californie natale. Il y a retrouvé ses vieux comparses: Kevin Garcia (basse), Aaron Burtch (batterie), Jim Fairchild (guitare) et Tim Dryden (claviers). Et s’est mis à écrire des chansons qui selon lui colleraient bien à l’univers ressuscité de Grandaddy.

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« Juste assez d’éléments personnels et juste assez d’évasion, juste assez d’électronique et juste assez d’acoustique. » Last Place est un peu comme le souligne Danger Mouse (qui a signé le groupe sur son label 30th Century Records) le trait d’union entre The Sophtware Slump et Sumday. Enregistré avec le line up originel, Last Place s’ouvre sur le single Way We Won’t. Un titre catchy et nostalgique qui vous rappellera ce bon vieux temps où vous écoutiez encore Radio 21 et regardiez toujours MTV. Mais les chansons guillerettes ont plutôt tendance ici à se perdre dans un léger brouillard de ballades mélancoliques.

Les Wallons et les Français de moins de 20 ans pour qui l’on parle tout de même d’un temps qu’ils ne peuvent pas connaître penseront que ces vieux Américains (Jason va tout doucement sur ses 50 ans) ont tout piqué aux Girls in Hawaii. Les autres se perdront avec délectation et nostalgie comme on retrouve une vieille connaissance dans un disque intime, touchant, humain qui s’achève sur le dépouillé Songbird Son. Les charmes du réconfort… (J.B.)

Temperance – « Temperance »

POP/SOUL. DISTRIBUÉ PAR PIAS. ****

Français né à Beyrouth en 1964, Dominique Dalcan, est un chanteur-compositeur talentueux: preuve via sa carrière chanson et ses side projects, comme le trip hop de Snooze. Soyons clairs: si cet homme charmant et cultivé n’avait pas ce physique glabre hors-normes mais une allure plus conventionnelle, il serait bien davantage pop-star internationale. Ce projet en anglais en a totalement l’étoffe: la voix comme les arrangements luxuriants entourent des mélodies lumineuses qui peuvent rappeler Mark « Talk Talk » Hollis. Avec l’ambition permanente d’approfondir le plaisir immédiat des chansons par une densité qui n’exclut ni la faculté de rêver ni le pouvoir narratif soul. Il suffit d’écouter Take Shelter ou Roads & Rivers pour comprendre la qualité de la proposition. (Ph.C.)

Klô Pelgag – « L’étoile thoracique »

CHANSON. DISTRIBUÉ PAR COYOTE RECORDS. ****

La fantaisie peut parfois être une qualité encombrante. C’est sans doute ce qui nous avait tenus à distance jusqu’ici de l’univers de Klô Pelgag (née Chloë Pelletier-Gagnon). À tort. Non pas que le second album de la Québecoise, L’étoile thoracique (ce titre…), soit un modèle de sobriété. Au contraire, en invitant cordes et cuivres (une trentaine de musiciens en tout), elle gonfle encore un peu plus la voilure de ses chansons insolites. Mais sans pour autant que la démarche n’étouffe sa poésie tordue, ou ne glisse (trop) dans le maniérisme. Ce qui emporte surtout, c’est l’ambition et la liberté que s’octroie la jeune femme, se permettant à la fois des mini-tubes intimistes et de longues explorations de 10 minutes à la Steve Reich. Revigorant. (L.H.)

Jens Lekman – « Life Will See You Now »

POP. DISTRIBUÉ PAR SECRETLY CANADIAN. ***

Après trois albums, Jens Lekman s’est retrouvé dans l’impasse. Comme tétanisé par le doute et l’angoisse de la page blanche. Pour sortir du cul-de-sac créatif, le songwriter suédois a pris le taureau par les cornes en s’imposant deux contraintes. La première, baptisée Postcards, l’a amené à pondre et publier une chanson chaque semaine. La seconde, intitulée Ghostwriting, l’a poussé à écrire sur base des histoires envoyées par les fans. De quoi le remettre sur les rails et le pousser à composer un nouvel album, le plus euphorique de sa discographie. Life Will See You Now a la mélancolie disco (How We Met, What’s The Perfume That You Wear), et l’extase pop, parfois jusqu’à en être mielleux (Our First Fight). Pour un résultat grisant ou… irritant, selon l’humeur. (L.H.)

Chicano Batman – « Freedom Is Free »

SOUL. DISTRIBUÉ PAR PIAS. ***(*)

En 1993, après avoir participé au milieu des années 80 à la BO de La Bamba et pris d’assaut la tête des charts avec sa reprise du tube cher à Ritchie Valens, Los Lobos sortait la compilation Just Another Band from East LA. Malgré leurs origines angelenos et leurs racines latinos, les Chicano Batman ne sont pas un groupe tout à fait comme les autres. Fans de James Brown et d’Otis Redding, de Caetano Veloso et de José José, les Chicano Batman chantent en anglais, en espagnol et en portugais. Mélangent la musique noire américaine à des ambiances latines et au psychédélisme brésilien. Tropicalia, salsa, cumbia, soul… Les quatre super-héros du rock californien qui ont joué à Coachella, tourné avec Jack White et les Alabama Shakes, font le genre de musique latino taillée pour des films de Quentin Tarantino.

Formés en 2008, venus du quartier « mexicano » d’El Sereno, les Chicano Batman sont partis enregistrer leur troisième album, le premier pour le label ATO, à Long Island. Dans le Diamond Mine Recording Studio de Leon Michels. Vétéran de la scène soul new-yorkaise samplé par Jay-Z et le Ghostface Killah mais aussi croisé auprès de Lee Fields, de Sharon Jones, des Black Keys et des Black Lips. Esprit contestataire, pochette et propos engagés… Freedom is Free n’en est pas moins un disque squette braguettes. Un disque exotico-rétro à la voix chaude, douce et parfois crooneuse pour douze titres qui ne manquent ni de sex appeal ni de groove. (J.B.)

Thundercat – « Drunk »

SOUL. DISTRIBUÉ PAR BRAINFEEDER. ***(*)

De tous les bons plans, le bassiste Thundercat sort un nouvel ovni au rire grinçant. R’n’B déviant, jazz de quinconce, soft rock pervers: boxon dans la litière!

Sur foi de son CV, on donnerait à Thundercat le bon dieu sans confession. Né Stephen Bruner (L.A., 1984), le bassiste virtuose s’est taillé une réputation en jouant à la fois au sein du groupe hardcore Suicical Tendencies, et sur les deux derniers albums de la diva soul Erykah Badu. Par la suite, il a squatté quelques-uns des disques les plus passionnants de ces dernières années. Dans l’ordre, on l’a vu mettre le nez dans le trip psyché de You’re Dead! signé Flying Lotus (2014), participer à l’épopée rap de To Pimp A Butterfly par Kendrick Lamar (2015), et inscrire son nom au plantureux générique de The Epic, triple album du saxophoniste jazz Kamasi Washington.

De quoi affoler raisonnablement la machine à hype. Ce que Thundercat n’a pas manqué de faire, au moment de sortir ce troisième album sous son nom. Le bassiste n’a cependant pas que des références. Il a aussi de l’humour. Pour le meilleur. Et parfois pour le pire.

Le second degré est un art délicat à manier, particulièrement en musique. Une fois la blague dégoupillée, que reste-t-il? C’est tout le débat de Drunk -23 titres en quelque 50 minutes-, à la fois le plus direct et le plus sarcastique de la discographie de Thundercat. Et sans doute pour cela, aussi le plus frustrant.

Au moins, l’intéressé ne fait-il pas mystère de ses intentions. D’abord en intitulant l’album Drunk, ensuite en se baptisant Captain Stupido dès le 2e morceau: « I feel weird », annonce-t-il. Sans blague. On connaissait par exemple déjà le goût du bonhomme pour les plans jazz fusion pas toujours facile à digérer. Il ajoute ici l’une ou l’autre oeillade appuyée au smooth jazz ou, pire, au soft rock: comment prendre le single Show You The Way, où il invite les tricards Michael McDonald et Kenny Loggins, sinon comme un exercice de style rock FM eighties, que même Toto (ou Daft Punk) n’aurait jamais osé fantasmer. Même quand il tend une main à l’époque -en intégrant à son album des noms comme Kendrick Lamar, Pharrell Williams ou Wiz Khalifa-, Thundercat reste malgré tout dans son monde. Un univers décalé à la manière d’un Frank Zappa, avec tout ce que cela peut avoir de grinçant, sarcastique et, pour tout dire, assez désarçonnant.

Passée la gaudriole, Drunk a pourtant pas mal de choses pour lui. Assez en tout cas que pour faire pencher la balance du bon côté et donner l’envie de s’y replonger. Comme le p-funk de Friend Zone, le toujours aussi efficace Them Changes (single sorti en 2015), ou l’accès de sincérité de Drunk : « Drowning away all of the pain, ’till I’m totally numb / Sometimes you want to feel alive, but not on someone else’s dime » (« Noyant toute la douleur/à me rendre complètement stupide/Parfois vous voulez vous sentir vivant/Sans que soit aux dépens de quelqu’un d’autre »). On s’en doutait un peu, mais si Bruner se marre, c’est pour masquer le désespoir. Sur A Fan’s Mail, il lance une (nouvelle) dédicace à son chat (Tron pour les intimes). « Everybody wants to be a cat », miaule-t-il (littéralement). Le sourire grinçant alors, tendance chat de Cheshire… (L.H.)

Quincy Jones – « The Cinema of Quincy Jones »

JAZZ. DECCA 537 329-6 (UNIVERSAL). ****

Né dans le jazz mais couvrant toute la sphère de la musique noire américaine jusqu’au hip-hop, Quincy Jones, trompettiste, chef d’orchestre, arrangeur, directeur artistique, producteur (Ray Charles, Frank Sinatra, Michael Jackson) et compositeur, a écrit dans les années 60 et 70, entre Hollywood et cinéma indépendant, une douzaine de musiques pour des films devenus parfois des classiques comme Dans la chaleur de la nuit, The Getaway ou De sang froid. C’est avec Sydney Lumet, pour le méconnu Le Prêteur sur gages (1964), qu’il débute et avec Peckinpah et The Getaway (1972) qu’il y met un terme -même s’il écrira encore une vingtaine de chansons pour autant de films, composant et assemblant, en 1986, la BO de La Couleur pourpre de Steven Spielberg (dont il est l’un des producteurs), travaillant ensuite pour la télévision (L’Homme de Fer). Même s’il n’occupe pas toujours le devant de la scène, le jazz reste omniprésent dans ses musiques de films avant d’éclater dans les oeuvres qui lui en offrent l’opportunité (et ou l’on retrouve parfois l’harmonica de Toots Thielemans). Musicien de jazz et explorateur des musiques populaires noires américaines, Quincy Jones a offert au cinéma de remarquables patchworks musicaux toujours au service de l’oeuvre dont il fait immanquablement ressortir les ambiances et souligne le caractère. (Ph.E.)

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Art Pepper – « Meets The Rythm Section »

JAZZ. CONTEMPORARY/ DOL 873 (VINOLOGY). *****

La renaissance du vinyle a ceci de formidable qu’elle permet de (re)trouver nombre de classiques du jazz en qualité audiophile. Meets The Rythm Section, chef-d’oeuvre souvent réédité en numérique, est l’exemple parfait qui démontre que seul un pressage de 180 grammes, soyeux et ultra silencieux, peut restituer toute la magie des musiques analogiques. Soutenu par la rythmique du Miles Davis de 1957 (Red Garland, piano, Paul Chambers, basse, Philly Joe Jones, batterie), l’altiste Art Pepper délivre lors de cette session une prestation inégalée sur un répertoire mélangeant standards et originaux pour son plus grand album mais aussi le plus beau de tous ceux ayant essayé de mélanger le cool, façon West Coast, au hard bop né plus à l’Est. (Ph.E.)

Trio Grande – « Trois Mousquetaires »

JAZZ. WERF 141 (DE WERF). ****

Ce cinquième album de Trio Grande (après deux disques enregistrés en compagnie du pianiste britannique Matthew Bourne) revient aux fondamentaux avec aux commandes les seuls musiciens originaux, soit le saxophoniste soprano et ténor (clarinettiste, flûtiste, harmoniciste, et autres) français Laurent Dehors, le multi-instrumentiste (trombone, euphonium, sousaphone, voix) Michel Massot et le percussionniste (batterie, grosse caisse de Binche, voix) Michel Debrulle. Trois Mousquetaires propose pas moins de quinze titres compris entre 1’22 et 5’45, pour une exploration musicale écartelée entre embardées free pince-sans-rire, valses rigolotes, rythmes africains, réminiscences ragtime et fanfares bincho-orléanaises festives. Recommandé. (Ph.E.)

Ozma – « Welcome Home »

CRISTAL RECORDS CR 253 (PIAS). ***(*)

Si les titres ne manquent pas d’humour (Krefeld mon amour, qui ouvre le CD, ou My Favorite Regret), la musique du quintette en contient peu, seul reproche que l’on pourrait faire à ce groupe finalement aussi hard bop contemporain qu’électro ou rock, n’en déplaise à ses fans. Certes, la rythmique s’appuie sur une pulsion binaire mais les solos que balancent le saxophoniste ténor (Julien Soro) ou le tromboniste (Guillaume Nuss) relèvent d’un jazz généralement musclé même si l’on aurait aimé parfois encore plus de vraie folie. Pour autant, ne croyez pas que la musique proposée se résume à un déchaînement continu. Elle offre aussi des titres aux tempos tempérés et pas uniquement le « tout pour l’attaque » décrit ailleurs. (Ph.E.)

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