Mountain Bike, Scrap Dealers: voix de garage

Mountain Bike, Dour 2014 © Olivier Donnet
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Mountain Bike passe sur Pure FM et Classic. Les Scrap Dealers ont enregistré avec un Tropic Blues Band. De Liège à Tournai, petit tour des garages de Wallifornie-Bruxelles…

« Il y a cinq ans, le même disque, personne n’aurait voulu le sortir. On l’aurait pressé à 300 exemplaires qui auraient pris la poussière dans des armoires IKEA. Là, on enchaîne les interviews et on passe sur Pure FM et Classic 21. » Saint-Gilles. Heure de l’apéro. La maison du « People » et la moitié des Mountain Bike. Charles-Antoine, le batteur tournaisien, ancien Marvin Gays, et Etienne, le chanteur, toulousain, membre avec le bassiste Stefano de Warm Toy Machine. « Les bornes, les péages… Toulouse était vraiment casse-couilles. Alors on a décidé de se tailler, résume Etienne. On a débarqué à Bruxelles en 2009 et le premier groupe garage qu’on m’a présenté, c’était Thee Marvin Gays. » Ils partagent quelques affiches. Au DNA notamment. « Puis, comme on avait pas mal de choses en commun, les vinyles, les sixties, on s’est mis à mixer ensemble chez Madame Moustache tous les mercredis« , se souvient Charles qui à l’époque bosse au Belga, « le pire taf du monde« .

Les deux musicos parlent de pop. Un tabou, voire une insulte, dans le milieu pas toujours musicalement tolérant des « garagistes ». « Dès que tu t’écartes un peu, les gens te tombent dessus en prétendant que tu te vends, que tu tournes commercial… Tu as intérêt à pas te louper. Mais si tu gères, comme les Liminanas et Ty Segall, on te fout la paix. Les Sonics, les Cramps… C’est souvent les mêmes influences. Nous, on s’est dit: on va faire de la pop. On va faire du Deerhunter. » A l’époque, Charles n’a jamais entendu Etienne jouer de la guitare ou chanter. « Je savais juste qu’il le faisait dans sa chambre. En deux répétitions et quelques gueules de bois, on avait trois morceaux. » Guitariste tournaisien, Aurélien complète les rangs, se charge d’arranger les chansons brutes de décoffrage et de modeler le son. Mountain Bike enchaîne les concerts. Enquille les premières parties. Au nord du pays beaucoup.

« On avait trois gigs derrière nous. J’ai envoyé un mail à Wim d’HeartBreakTunes en lui disant que je nous voyais bien ouvrir pour Acid Baby Jesus. On n’avait même pas de 45 Tours. Il m’a dit: « Ok, on va ajouter un créneau. Vous jouerez une demi-heure. » La scène est toute petite mais la Belgique est un fabuleux carrefour. On est un pays de croisement. Donc, tu as vite l’opportunité de te frotter aux meilleurs. Ça te tire vers le haut forcément. A Bruxelles, on te donne ta chance. A Paris, tu peux t’accrocher. C’est souvent du piston. Tu dois être acoquiné avec Noise, Vice et Born Bad… C’est simple. En France, tu dois marcher à Paris avant de marcher chez toi. Or, Paris, c’est le ghetto. Tu dors dans le camion. Personne peut te loger. T’as pas à manger. T’es pas payé. J’ai un jour pieuté dans le coffre de la bagnole. Marché de Belleville. Six heures du mat. En plein hiver. C’est la guerre.  »

Une scène décomplexée

A l’exception d’Is That All About Money?, enregistré chez Charles, l’album a été mis en boîte au Snapshot studio. « Stef est ébéniste à la base. Il a aidé à le monter. A fait la porte, les charpentes. Comme on a donné des coups de main, on a eu la session gratos. On a pu y passer trois semaines. Jouer les cobayes. Tu peux y enregistrer en full analogique ou avec des méthodes plus modernes, Pro Tools, ordinateur. C’est super équipé. On dirait un studio de la Motown. Maintenant, j’ai un peu l’impression de sonner comme Dave Grohl.  »

Longtemps, les studios n’ont pas eu droit de cité côté garage. « Avant, tu faisais du lo-fi. Tu voulais rester dans ta niche. Toucher peu de personnes mais les toucher à fond. Plus tu sonnais crado et mieux c’était. Tu allais enregistrer sur bandes chez Lo’Spider à Toulouse, au rez-de-chaussée d’une HLM. Aujourd’hui, de Thee Oh Sees à Night Beats, tout le monde va en studio. »

« Même Lo’Spider s’est acheté une nouvelle table, rebondit Etienne. Il adore ça. En fait, il prétend qu’il pouvait pas te faire sonner autrement parce que son matos était pourri et qu’il avait pas un balle. »

Le bonhomme a apprécié l’album. Comme les décapants JC Satan pour lesquels Mountain Bike assume vachement son côté pop. « On a fait nos preuves. Les gens de la scène sont plutôt cool avec nous, reconnaît Charles. Ils savent qu’on s’est encaissé pendant des années les tournées de merde et les plans foireux. Certains mecs comme Ty Segall et Bradford Cox, qui ont longtemps fait du garage sans jamais le dire, ont décomplexé la scène depuis quatre ou cinq ans. Il y a dix piges, c’était super sclérosé. Tu n’avais que du revival sixties. Tu peux apprécier Ty sans background garage. Les Black Lips ont enfoncé les portes au bélier. 400 groupes se sont engouffrés derrière. Mais leurs premiers albums, de super disques mais plus lo-fi tu crèves, fallait s’accrocher pour les écouter. Ils piquent aux oreilles. »

« J’ai un orchestre, mammy »

Dans un premier temps, Mountain Bike pensait sortir son album chez Teenage Menopause. Le label co-dirigé par Elzo Durt. « Elzo avait flashé sur les démos. Il voulait et nous aussi qu’on sonne un peu plus propre, explique Etienne. Au final, il n’a pas aimé les mixes. Trop nineties. Il nous a gentiment dit d’aller nous faire foutre. On s’est retrouvés dans la merde parce qu’on n’avait rien démarché. On avait fait nos fainéants. Teenage avait sorti JC Satan, Jessica 93. Ça nous semblait un super deal. Des portes se seraient sans doute ouvertes. On était déçus mais en même temps, c’était super sincère. S’il ne le sentait pas, autant qu’il fasse l’impasse. »

Mountain Bike a dès lors atterri chez Humpty Dumpty. Label d’esthète plus que de genre. « On revendiquait un côté pop et on voulait sortir du créneau garage dans lequel on était un peu enfermés. Christophe n’a pas d’étiquette. Et il bosse super bien. Tu as un mec sur Facebook à trois heures du mat, c’est Chris qui est en train de coller des autocollants sur des vinyles. Il est comme nous. On ne se la joue pas rock’n’roll à prendre des lignes de coke à longueur de journée en sifflant une bouteille de Jack Daniels. Ça me saoule ce cliché à deux balles. »

Outre le fait qu’il lui a permis de prendre son temps -« dans le garage, tout doit aller vite: tu enregistres, tu presses, tu sors… « -, Humpty Dumpty offre à Mountain Bike une vraie distribution. « Les mecs peuvent trouver notre disque dans tous les magasins, se félicite Charles. J’en parlais avec Jacky Lambert. Périphérique Est a sorti de super albums mais tu les trouves que chez Juke Box à Bruxelles et Born Bad à Paris. Avec la quantité de musique qui te tombe déjà dessus chaque jour, si tu dois commencer à commander sur Internet…  »

Ce qu’il y a de bizarre avec le garage aujourd’hui, c’est que ceux qui n’en font pas prétendent qu’ils en font et que ceux qui en font prétendent qu’ils n’en font pas. Ou du moins essaient de s’en dépêtrer. « D’un côté, c’est dû au fait que la scène est populaire. Que c’est cool de porter des chemises étriquées et des jeans troués. Que ça fait bien d’être garage. Et que garage psyché, c’est encore mieux. Je ne veux pas jouer les vieux cons mais certains ont juste écouté Wavves et le dernier Jay Reatard… En même temps, tu le captes direct. Il y a un phénomène de mode mais on ne voit pas de garage non plus sur M6 et RTL. Les groupes garage jouent dans de meilleures conditions. Ont accès à des salles plus grandes. On ne va pas cracher dans la soupe. D’un autre côté, les étiquettes sont toujours réductrices. J’avoue. Quand ma grand-mère me demande ce que je fais, je lui dis: j’ai un orchestre, mammy. Quel genre de musique? Ben, un peu comme les Beatles, Ray Charles… Je lui ai jamais fait écouter. Elle a 87 ans, ça la tuerait. »

Mountain Bike – « Mountain Bike » ****

« La vie, disait Albert Einstein, c’est comme une bicyclette. Faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. » Tout-terrain, aussi à l’aise dans les montées (Word Land) que dans les descentes (Just Good Friends), en sprint (les expéditifs Cigogne et Got Power) qu’en contre-la-montre (l’hypnotique Torture), Mountain Bike se dirige en wheeling vers la ligne d’arrivée. Sourire en coin, bras au ciel et désinvolture sur le porte-bagages. Aidé çà et là (des choeurs, une guitare acoustique) par Faustine Hollander, piqué à 60 ans de pop et de rock anglo-saxons, et doré au soleil californien, le gang bruxellois slalome entre garage, psychédélisme, indie nineties et ballades hippies… Un petit tour à vélo?

DISTRIBUÉ PAR HUMPTY DUMPTY.

LE 18/05 AUX NUITS BOTANIQUE, LES 20/06 (LIÈGE) ET 21/06 (BRUXELLES) AUX FÊTES DE LA MUSIQUE, LE 19/07 À DOUR, LE 11/08 AU BSF.

Freak show

Un 45 tours sorti chez Rockerill Recoreds sous le bras, les Scrap Dealers secouent le cocotier liégeois.

Si les encore jeunes Scrap Dealers, coming from Liège, ont organisé le premier concert de Mountain Bike, leur premier gig à eux, ils l’ont donné à l’occasion d’un freak show. Un cabinet de curiosités itinérant et rock’n’roll où se mêlent percés, tatoués, fakirs et mangeurs de sabres… Princess Tweedle Needle, une Hollandaise qui se plante des aiguilles partout, refuse d’ailleurs de se produire devant des gosses. « C’est un festival nomade assez farfelu emmené par une bande de SDF suisses, raconte Régis. Une trentaine de mecs qui voyagent en camping-cars avec leur spectacle de monstres. Ils nous avaient abordés dans la rue par hasard pour qu’on aille voir leur truc et quand on leur a dit qu’on faisait de la musique, ils nous ont proposé de jouer. On a tourné avec eux en Suisse l’an dernier. »

Anciens étudiants en infographie et en communication sans emploi (« seul l’un de nous a un boulot et il vend des chaussures »), les Scraps ont quelques dizaines de concerts derrière eux aujourd’hui. La Casa Nicaragua, le Garage, la Zone. Beaucoup de Wallonie, quelques clubs en Allemagne et aux Pays-Bas. Le Pit’s à Courtrai aussi… « Garage, c’est devenu l’étiquette qu’on te colle dessus dès que tu fais du rock’n’roll. C’est carrément devenu une mode. A la base, on se considérait comme ça. C’est pas que ça me gêne aujourd’hui mais on fait d’autres choses aussi. Plus psychés, plus punks… » Il y a quelques mois, les Ferrailleurs ont sorti un 45 tours chez Rockerill Records enregistré avec Dirty Coq jusque dans sa salle de bains… « C’est vraiment le support qui nous intéresse. Le Compact Disc passe de plus en plus inaperçu. A fortiori pour des groupes comme le nôtre et les gens qui s’intéressent à notre genre de musique. Notre premier album qu’on a déjà enregistré n’aura probablement pas de version CD. Nous n’avons de toutes façons pas assez de thunes pour les deux. » « Moi, mon truc, c’est le 45,insiste Mika Hell, la plaque tournante du Rockerill. Je peux aider davantage de groupes. Je mets 200 boules. Donne le meilleur de toi-même. Pas besoin que tu te branles la clinche pour me sortir un 33 dont la moitié est à benner. De toute manière, moi, quand je parle garage, je mets tout, rock, punk, psyché ou que sais-je encore, dans le même sac. »

Mika organise des concerts depuis pratiquement dix ans maintenant. « Les fans de punk, de ska, de métal à Charleroi sont très différents. Et moi, ça m’emmerde d’attirer 100 gugusses et de pouvoir filer qu’un billet de 20 aux groupes que je fais jouer. C’est pour ça que je ne veux pas d’étiquette et que je mélange tout. Le 19 juin, je fais venir Vibravoid, un truc bien psyché, et je lance la soirée avec le blues hip hop de Scarecrow. Chez nous, j’ai déjà vu des punks danser sur de la techno à quatre heures du mat… »

Ku Klux Klan rose fluo

Mountain Bike, les Scrap Dealers, Thee Marvin Gays, les Français de Regal installés à Tournai, le synth punk garage du Prince Harry, la dream team liégeo-bruxelloise Tache… Les groupes garage au sens plus ou moins large du terme ne courent pas non plus les rues en Wallonie et à Bruxelles. « Le premier truc garage belge que j’ai entendu, un garage à la Cramps/Jon Spencer Blues Explosion, c’était The Experimental Tropic Blues Band, note Etienne de Mountain Bike. Il y en a un qui se désapait, se plantait le jack entre les fesses. C’était quelque chose. » « Le garage a toujours été dans notre ADN. Que ce soit du rétro ou des choses plus modernes, explique le batteur des Tropic, Devil D’Inferno en train de bosser sur le spectacle des Belgians pour les Nuits Botanique. Mais c’est vrai que chez nous, dans le style, tu as relativement vite fait le tour des groupes et des salles de concerts. »

« Je pense que cette scène revival garage psyché arrive tout doucement à sa fin. Tu as l’impression d’entendre le même groupe tout le temps, assène Mika. On me demande régulièrement de sortir des disques. Mais c’est souvent trop pop, trop propre, ou totalement dénué d’originalité et d’intérêt. Ty, Thee Oh Sees, ok. Ce sont des Californiens, ça vient de chez eux. Mais on va pas en sortir 50 comme ça ici. Faut par ailleurs qu’il se passe des trucs sur scène. Je ne veux pas juste des clowns. Mais je veux de la musique et de l’action. Sects Tape par exemple a un truc avec ses cagoules du Ku Klux Klan rose fluo. » « Elzo Durt, Tom du Watermoulin, Mika au Rockerill, la Plastic Team à Liège… Ce sont eux qui font vivre la scène plus que les groupes eux-mêmes, conclut Charles. Ils se saignent. Organisent des concerts. Sortent des disques. L’Equipe aussi monte quatre ou cinq gigs par mois à Bruxelles. Que ce soit au DNA, au Chaff ou au London Calling. Ce sont des illustrateurs collectionneurs de disques et fans de garage. Sans ces types, tu ne tournes pas. Et si tu ne tournes pas, tu ne joues pas. On a besoin de mecs qui prennent leurs couilles en main… »

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