Micro Festival: prince des valeurs

© Helene Dehon

Jolie réussite pour la toute première édition du Micro Festival, samedi, à Liège. Forte de quelques valeurs cardinales: éclectisme, exigence, convivialité. Flash-back.

Mieux que dans Inception: le rêve est donc devenu réalité pour le collectif Jaune Orange, 10 ans au compteur, qui fantasmait depuis longtemps la création de son propre festival à Liège. A l’heure où même le dernier des villages reclus du fin fond des Ardennes se targue d’avoir son festival, la démarche aurait pu sembler vaine, voire irraisonnée. Mais au-delà de la beauté gentiment kamikaze du geste, c’est avant tout un état d’esprit, résolu, singulier, qui se dessine ici, à peine en filigrane: continuer, plus que jamais sans doute, à évoluer dans un univers musical exigeant et à taille humaine à travers un événement aux totales antipodes de l’ampleur et de la frénésie des grands rendez-vous estivaux habituels.

Un seul jour, une seule scène, huit formations peu connues du public: le menu du Micro Festival ne pesait à priori pas bien lourd face aux gargantuesques agapes promises par les malabars super rôdés du genre. Sauf qu’il ne s’agit pas ici de rejouer les David contre les Goliath. Plutôt de proposer une alternative, née justement du ras-le-bol de cette démesure inhérente aux méga événements. La logique de la décroissance appliquée au grand bastringue des festivals d’été? Eh bien oui, pourquoi pas.

Encore fallait-il que la musique soit à la hauteur… Internationale, éclectique, la programmation faisait ainsi la part belle à des groupes avec lesquels il se passe encore quelque chose sur scène. Même si, dieu merci, s’agissant de live-spectacle, on navigue évidemment ici à mille lieues des délires pyrotechniques d’un U2 ou des couillonnades gonflées à l’hélium d’AC/DC.

C’est par exemple cette voie de l’énergie brute, foutrement rock’n’roll, déployée sur scène par caissons entiers, et pavée, dès l’après-midi, par le local de l’étape, showman déjanté héritier de David Yow (The Jesus Lizard). Le Colonel Bastard, en effet, c’est un peu l’ouragan Katrina déboulant sur les bords de Meuse: on ne l’avait pas vu venir et on en ressort la tête en bas, le cheveu en pétard, les tripes entortillées… de rire. Logique, somme toute, s’agissant d’un personnage se déclarant essentiellement « influencé par lui-même et par le film Dirty Dancing« . Sur une trame sonore trash et bourrine au possible, le Colonel et son bionic commando « de merde » n’en finissent pas de repousser les limites du mauvais goût, dans un esprit résolument punk. Jouissif. Tandis qu’au bar on descend de la bière locale pour pas cher en discutant l’affaire, à l’avant les premières têtes battent frénétiquement la mesure à deux pas des enceintes. Au fond, le gros son, comme les frites McCain, c’est ceux qui en parlent le moins qui en mangent le plus.

Un rien plus sages peut-être (à peine…), un tantinet plus concentrés sur la chose musicale aussi sans doute, les deux Américains de Black Diamond Heavies défendaient, eux, en début de soirée A Touch Of Someone Else’s Class, second album de rock poisseux, de blues malade, de soul gangrenée, de gospel funèbre, produit -salement, comme il se doit- par Dan Auerbach (Black Keys) et porté par le râle d’outre-tombe du dénommé James Leg. Car si l’on a décrit un jour la voix de l’oncle Tom Waits comme  » ayant été trempée dans une cuve de bourbon, séchée dans un fumoir puis sortie dehors pour se faire écraser par une voiture « , force est de constater que dans le cas de Leg le bourbon devait être du 100 ans d’âge et la bagnole plutôt du genre monster truck. Une batterie qui claque, un orgue qui crache: il n’en faut pas plus pour mettre tout le monde d’accord. Mieux, le temps d’une reprise hantée du Sinnerman de Nina Simone, c’est beau comme un coucher de soleil éclairant le visage ravagé d’un lépreux.

Gros son encore, c’est peu de le dire, avec les Britons d’Action Beat , programmés entre le Liégeois et les Américains. Si le nom n’était déjà pris, celui de Sonic Youth ne pourrait mieux tomber: jeunes et soniques, ils le sont assurément. Quatre guitares, une basse et trois batteries: le concert de ces natifs de Bletchey, dans le nord de l’Angleterre, explose le sonomètre le temps d’une déferlante noise rarement entendue. Largement aussi fascinant qu’éreintant. Une expérience, à tout le moins.

Du punk foldingue, du blues poisseux, de la noise en fanfare: et pourquoi pas de l’électro? Kelpe, Anglais lui aussi, investissait ainsi le chapiteau au look savoureusement rétro du festival dans la soirée. Plus tapageur que sur disque, épaulé d’une batterie, Kel McKeown se montre capable de passer en l’espace d’une seconde du minimalisme le plus spartiate à des trésors de luxuriance. Loin de contrarier, cette nature bifide, somme toute naturelle -le gaillard biberonne aussi bien à l’electronica rampante qu’au funk, au psychédélisme old school qu’au hip hop-, fournit le sel nécessaire à une musique, quasi liquide, qui s’écoule chaudement, depuis un laptop rachitique, dans les oreilles les plus averties. Cérébrale, difficile, flirtant à l’occasion avec l’abstraction, l’électro deKelpe se fait ceci dit suffisamment accessible que pour séduire en live. Bien vu.

Plus qu’à l’électro-punk tropicale des Franco-Chiliens de Panico, décevants en clôture, il revenait à l’indie pop buissonnante d’Efterklang d’offrir au festival son acmé définitif. Contrat rempli pour ces cousins continentaux de Yeasayer etGrizzly Bear (Gareth Jones a produit leur dernier album) et leur ferveur communautaire, poignante, au service d’une munificence pop des plus singulières, à défaut d’être toujours tout à fait passionnante. Largement moins expérimentale, plus lumineuse et accessible que par le passé -qui s’en plaindra?-, la musique des Danois n’en continue pas moins de multiplier les effets gigognes: comme il fait bon de se perdre dans ses labyrinthes mélodiques! Y a pas à dire, Efterklangavait bien, ce samedi, des allures de luxueuse tête d’affiche.

Ambiance cool et gentiment festive. Cadre enchanteur. Tarifs plus que démocratiques. Programmation au poil. Au total, quelque 1000 personnes (un sold out!) auront ainsi assisté à la naissance d’un beau bébé de festival. Auquel, une fois n’est pas coutume, on ne souhaitera de devenir ni grand ni fort. Juste égal à lui-même: maxi généreux dans son micro combat.

Nicolas Clément, à Liège

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