Mehdi la claque, maudite la clope

Lundi, c’est Pantani. Des réflexions sur les cendriers aux bombardements d’Ed Banger au Fuse, Guillermo Guiz, notre chroniqueur nocturne, passe au crible la nuit bruxelloise.

Ca commence par une poussée de violence, de grincheuserie. La semaine dernière, au détour d’une sentence anodine, j’avais beuglé toute l’amertume que provoquait en moi l’arrivée imminente, ou du moins potentielle à terme, d’un mignon cancer du poumon et/ou de la gorge. A trop sortir dans les bouis-bouis enfumés, on s’expose forcément au tabagisme passif et à l’enclumage actif. Tiens (écriture automatique) quand j’étais môme, pendant quelques mois pas plus, on disait « enclumer » par opposition à l’autre verbe, celui qui s’utilise comme gros mot ou avec de l’huile d’olive. Mais ça n’a pas duré, va savoir pourquoi l’argot des bacs-à-sable reste parfois collés aux seaux et aux pelles.

Se faire activement enclumer par les hordes de fumeurs dans les bars. Guiz, tu fais quoi dans la vie, à part journaliste en bois et chroniqueur en plastique? Je me fais activement enclumer dans les bars et boîtes de Bruxelles. Belle réplique en fait. A utiliser. C’est marrant d’être de ce côté-ci de la barrière, du côté des gnangnans, des moralisateurs, des interventionnistes, des frustrés, des fâchés, des mégères. Mais parfois, j’ai l’impression de vivoter dans un cendrier. Au Bar du Marché par exemple, petit spot branché déposé au pied du paquebot Flagey. Pareil à chaque fois. Systématique. Quand je sors de là, j’ai l’impression que cracher du sang n’est qu’une question de minutes. Et j’ai toujours envie de frapper quelqu’un. Alors, pour me calmer, je viole un canard des Etangs d’Ixelles.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Liberté? Mon cul, comme chantait délicatement Philippe Katerine. En réalité, tous les manuels vous le diront: la liberté des uns s’arrête là où commencent celles des autres. Surtout là où celle des autres y va de la bogossité de mes poumons. Le Tigre, pour ça, me paraît quand même plus humain. Les fumeurs s’y agrippent les uns au autres, mais à l’extérieur, préparant leurs bronchites, leurs pneumonies et moins dramaqueenalement leurs rhumes quand les autres, les qui-respectent-la-liberté-des-autres-à-éviter-la-chimiothérapie, profitent tout simplement, tout sainement, d’une odeur humaine. L’odeur des gens. Au Tigre, ça sent le gens. Et comme le gens vient au Tigre en avant-soirée, juste après le passage en salle-de-bain, ça sent le bon gens, pas le gens de fin de nuit qui s’est tapé du Fleur d’aisselle jusque dans les cheveux. Encore une fois, je déteste la posture du chieur professionnel, du néo-réac liberticide, mais il serait temps que les politiques remplissent leur slip au lieu de postposer sempiternellement l’inéluctable: un peu partout en Europe, les non-fumeurs sont protégés dans les endroits fermés et dans les lieux publics. On est super en retard ici et j’ignore sincèrement pourquoi.

La veille, jeudi soir, passage aussi sympathique qu’éclair au Bar du Matin, tout aussi branché que son acolyte « du Marché », mais légèrement plus respectueux des grands-parents sur la question du cendrier. Un concert de jazz cross-over (copié-collé du flyer, je ne m’y connais pas plus en jazz qu’en cross-over) du quatuor Qu4tre se tenait joyeusement du côté de la place Albert et la programmation aussi saine qu’intègre du Bar du Matin, un paquet de jours par semaine, méritait d’être mentionnée. Au Bar du Marché, par contre, outre l’enfumage globalisé, ça paye des DJ’s sans baffles dignes de ce nom, ça crache du goudron, de la nicotine, des aldéhydes et du monoxyde de carbone, mais ça toussote péniblement le son, généralement louable, que l’ami aux platines distille. En plus, y’a un portier. En plus, au bar, faut attendre dix-huit ans pour être servi. En plus, on se casse au Tigre?

Après le ptit verre au Tigre, vendredi, ça puait le plat de résistance. Enfin. Enfin une soirée FormaT au Fuse, ça faisait juste cent-cinquante ans que je me défilais. Enfin aussi parce que Mathieu Fonsny et sa bande de boulets-eaters invitaient la crème de l’électro-clash française, l’industrie à fluo-kids Ed Banger. D’ailleurs, réflexion: ça a l’air un peu mort le concept du fluo-kid. Vu quasi aucune casquette à grosse visière peinte au Stabilo. Ed Banger, pour les distraits, c’est quand même un peu très beaucoup le label de Justice, de Mr Oizo, de Cassius, d’Uffie voire, pour les plus pointus, de Breakbot, de SebastiAn, de Feadz, de Krazy Baldhead et de DJ Mehdi. Sincèrement, c’est gros, c’est lourd, c’est rentre-dedans, ça punche, ça pulse, ça fracasse, ça bastonne, ça n’a pas le raffinement à fleur de peau ni toujours bonne presse dans les magazines électro, mais ça me parle. Ou plutôt ça parle aux restes d’adolescent sautillant qui s’accrochent mollement aux parois déclinantes de mon vieux corps.

Pedro Winter (alias Busy P. aux manettes), ancien manager de Daft Punk et créateur d’Ed Banger, venait présenter la nouvelle compilation du label, Let the children techno, coréalisée avec l’excellent DJ Mehdi. Prometteur, d’autant que le concept liégeois FormaT, grosse réussite du milieu électro liégeois, a l’habitude de bien remuer sa race, où qu’il se déploie. « Le Fuse, c’est une boîte de drogués ça, non? », me confie tout en naïveté craintive la jolie pousse d’élevage brabançon(wallonçon) qui complétait notre trio à tee-shirt et shoes fluos. Bah… La drogue officielle du Fuse et de la techno, c’est plutôt l’ecsta nan? Et l’ecsta, ça devient aussi branché et populaire que les Rollos, Milky-Ways, Lions, Balistos et autres Grannys. Cela dit, suis pas allé fureter dans les cloisons nasales des uns, ni dans les pupilles ambiantes des autres pour voir si la C avait définitivement remplacé la P.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Même si la légende techno de la rue Blaes s’est offert la coquetterie d’un nouveau patronyme pour les jours de semaine, le « Blaes 208 » donc, ça reste le Fuse dans les murs, dans les toilettes, dans l’âme. Et arrivé au Fuse, ça sent le Fuse. On parlait d’odeur un peu plus haut. Le Fuse, sur les premiers mètres, ça sent l’anu d’hobbit et le vomi de ninja. Après, on s’habitue. J’y ai bossé tout un temps, au temps jadis, et le fumet garde le cap, toujours pareil. Etonnant. Il est 1h15. Et la claque magistrale de la soirée, c’est déjà pour maintenant. Producteur de 113 (« Je voulais rester à la cité mon père ma dit lé lé la »!!!), ex-membre du collectif Mafia K’1 Fry, actuel binôme du terrible duo Carte Blanche, le Français DJ Mehdi tenait la boutique quand on a débarqué. Et Mehdi, j’adore systématiquement ses sets, c’est un chien. Un pit. Un rot. Une péninsule. Le gars t’attrape par les tripes et te lâche pas. Pas avant de céder la place. « Ca, c’est pas vraiment la minimale d’hier, au Wood, hein… (ED Davenport, très bien par ailleurs)? », fais-je beaufement remarquer à mon acolyte. Distorsion, couleur, explosion. Le Fuse vacille, les bras cherchent le ciel et les gamins présents (moyenne d’âge globalement très post-pubère) pètent les plombs. Toujours en mouvement, enthousiaste, DJ Mehdi bombarde, pilonne, mitraille, les beats s’insinuent jusqu’au bout du seul poil de mon torse. C’est comme ça que je l’identifie, d’ailleurs.

Même Busy P et ses cheveux longs gigotent comme des alevins dans les VVVIPTIPQOED (very very very important personnes tellement importantes personnes qu’on est deux), la version VIP du Fuse. Gros son, gros passage de témoin, gros mid-tempo pour Busy P qui démarre en mode rock, hip hop, en mode de cri « Busy P What the Fuck!!! », en mode tee-shirt Axl Rose, en mode je marque bien les césures entre morceaux de la compil, en mode je cartonne moins que Mehdi, en mode Mr Oizo (« Vous êtes des animaux! ») et Breakbot (Baby I’m yours), en mode je finis mon set avec Limit to your love de James Blake, moment aérien, suspension du temps, sol qui vibre, qui vibre tellement qu’il me demi-mollise pratiquement le chicon. Audacieux d’achever l’histoire avec James Blake, loin des canons rentre-dedans de l’électro bangérienne, le ptit Blake fait son effet. Mais Feadz reprend les bouchons, vient parachever le travail avec du lourd, du plus tribal, une rythmique de dingue, et ça continue, encore et encore. Lessivement, fatigation, soulitude relative. Mais faut en profiter. Avant que mes poumons se transforment en stoemp au crabe. Rideau.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Guillermo Guiz

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content