MC Solaar bouge toujours

MC Solaar: "La pause a duré longtemps parce que c'était bien." © Benjamin Decoin
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après dix ans d’absence, MC Solaar effectue son grand retour avec l’album Géopoétique. Discussion avec le pionnier d’un genre aujourd’hui devenu roi.

Le mot cool semble avoir été inventé pour lui. A 48 ans, Claude M’Barali, alias MC Solaar, a toujours le flow indolent, et les phrases comme montées sur suspensions. Il est détendu, affable. « Relax » comme il dit. Là, la première comparaison qui vient en tête, c’est le taureau Ferdinand – impossible à énerver. Alors qu’en fait, c’est une anguille – impossible à attraper. Il multiplie les pauses et pratique volontiers les ellipses. Ce qui peut donner à son discours des allures parfois lunaires. « Je résume. J’ai toujours fait ça. Si j’avais dû scénariser Titanic, j’aurais écrit un truc du genre: « Ils montent dans un bateau, le bateau coule, ils meurent. » »

Le mois dernier, Solaar sortait son nouveau disque, Géopoétique, après une longue absence. Quelque part, c’était le timing idéal pour effectuer un come-back. Symbolique même. Celui qui fut le premier, avec Benny B, à permettre au rap francophone de mettre un pied dans la porte du succès grand public revient pile-poil au moment où le genre a pris d’assaut les hit-parades.

Il a fallu plus d’un quart de siècle pour ça. Quand MC Solaar débarque, le rap est encore vu, au mieux, comme une mode passagère. Jusqu’à ce qu’en 1990, le jeune étudiant rappeur sorte Bouge de là. Le groove est chamallow, le ton cartoonesque. Solaar rassure et rassemble: le morceau fera un carton. Dans la foulée, il sort les albums Qui sème le vent récolte le tempo en 1991, puis Prose Combat en 1994. Encore aujourd’hui, deux piliers incontournables du rap français. Deux trésors musicaux perdus, en l’occurrence: après à une embrouille avec sa maison de disques de l’époque, ils n’ont plus jamais pu être réédités… Pas sûr que le principal intéressé en soit vraiment traumatisé. Mais qu’est-ce qui touche et bouscule vraiment Solaar?

Solaar, l'art du détachement.
Solaar, l’art du détachement.© Benjamin Decoin

La vraie vie

Géopoétique est son huitième album, sa première trace discographique en dix ans. Dans l’intervalle, MC Solaar a disparu des écrans radars, réapparaissant uniquement à la faveur de la tournée des Enfoirés. Au départ, il pensait s’arrêter trois ans – « Je venais d’avoir un petit garçon, j’avais envie de le voir grandir, de profiter de lui tant que ses bras étaient encore tout mous. » Mais la pause se prolonge. « Ça a duré longtemps parce que c’était bien », sourit-il.

Qu’a-t-il fait pendant toutes ces années? « J’allais à l’école, j’allais voir des expos, je passais en studio, et je me mettais au fond en regardant faire. Je passais du temps avec des gens qui ont des horaires décalés: un sculpteur, des coursiers, des commerçants qui font du chocolat… J’ai voulu faire le maoïste qui va bosser en usine, pour découvrir « la vraie vie », comme diraient Bigflo et Oli. » Pendant tout ce temps, il n’écrit rien, pas une ligne. De toute façon, personne ne lui met la pression. « Un jour, j’ai quand même croisé un mec du groupe Tryo qui m’a dit: « Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour nous. » Je suis revenu à la maison, avec ce questionnement en tête. » Il se remet alors tout doucement à la tâche. Le rappeur se fixe un objectif. Une deadline, façon Solaar. « J’avais dit que je reviendrais lors d’une année en « z ». 2014, 2015, ou 2016 au plus tard, donc. Bon, cela a pris un peu plus de temps (sourire)… »

Il recontacte ses collaborateurs, Eric Kroczynski et Alain Etchart, présents sur ses derniers albums. « Comme ils ont pas mal de boulot, ils n’étaient pas non plus à me tanner. Depuis l’an 2000, ils créent des banques de sons, des boîtes à rythmes, tous les trucs qu’on télécharge, et qu’utilisent Drake, David Guetta, etc. » C’est peut-être ce qui explique à l’arrivée un disque à l’identité musicale floue, un poil désincarnée, qui picore ici et là sans vraiment aller au fond des choses. Sur les 19 titres (!), il y a donc de la chanson, de la pop, de vagues accents jazz, des sorties dance (Aiwa), des réminiscences afro (Pili Pili).

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Sur Géopoétique, il est question de prendre son temps (Eksasaute), de prendre de l’âge (Sonotone), des relations homme-femme (Jane et Tarzan), mais aussi de son idole Gainsbourg (Super Gainsbarre). Solaar reste évidemment capable de fulgurances. Mais il se laisse aussi aller à quelques facilités. Comme si le calme dont il faisait preuve se transformait parfois en dilettantisme. On lui pose la question: le détachement qu’il pratique au quotidien n’est-il pas aussi, parfois, un handicap, voire un frein? « Euh… je ne sais pas (rires). En tout cas, moi, cela m’a bien aidé. A ne pas suivre le premier conseil, le premier genre musical venu. Etre détaché me permet de pratiquer la dissociation des idées, de me mettre dans la peau des autres avant de prendre une décision. Ce ne sera peut-être pas la bonne, mais au moins elle sera modérée. Un gars comme Robert Anton Wilson a écrit là-dessus. Mais il y en a d’autres, en banlieue, qui tapent cinq fois sur leur cuisse avant de répondre. J’ai rencontré un mec qui faisait toujours ça. C’est le même principe : il va prendre son temps. »

MC Solaar bouge toujours

MC Solaar a toujours fait attention à qui il s’adressait. Que ce soit à son pote amateur de rock alternatif, quand il était au lycée. Ou à ses cousines, « mi-sénégalaises, mi-ukrainiennes », « aujourd’hui trentenaires ». Géopoétique devrait leur plaire. A elles, et certainement au grand public, celui qui suit chaque année les Enfoirés (l’album sort sur PlayTwo, label appartenant en partie à TF1). Le disque fonctionne d’ailleurs bien, à en croire les classements des hit-parades (disque d’or en France). Les amateurs de rap auront peut-être plus de difficultés (ils préféreront probablement réécouter Sentinel Nord, l’inédit de 1994, que son producteur-DJ de l’époque, Jimmy Jay, a dévoilé sur le Net en février dernier).

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MC Solaar a toujours été un peu « à côté ». Il le reste encore aujourd’hui. Un peu à part, même quand le rap est devenu mainstream. « Aujourd’hui, il a été accepté. C’est un art, c’est une musique, c’est visiblement aussi une économie. Après, il faut qu’il se retrouve une espèce de rébellion, sans forcément tomber dans les sujets trop lourds. Sauf, évidemment, s’il se passe quelque chose d’exceptionnel. Quand on a commencé, il y avait la fin de l’Apartheid, la réunification allemande, la guerre du Golfe… Là, actuellement, les gens ont peut-être moins de sujets à discuter. » L’auteur de La Concubine de l’hémoglobine préfère donc parler aujourd’hui de la guerre de 14-18 (Les Mirabelles) plutôt que de la noirceur actuelle. MC Solaar est de retour. Mais est-il vraiment bien avec nous?

MC Solaar, Géopoétique, distr. PlayTwo/Pias.

En concert le 16 novembre 2018, à Forest National.

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