Maurice Louca, l’explorateur des sonorités orientales et occidentales

Maurice Louca, l'explorateur des sonorités orientales et occidentales. © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Récent invité des Feeërieën de l’AB, l’Égyptien Maurice Louca fond l’Orient dans l’Occident. Entre jazz, post-rock, somptuosités orchestrales, la révolution arabe est bien passée par là.

Une belle soirée bruxelloise de fin août, Maurice Louca trône au centre du kiosque du parc Royal, entouré d’une demi-douzaine de musiciens. L’intro du concert est « oumkalthoumesque », prenant des langueurs orientales, des ondulations qui ne regardent pas la montre. À la guitare acoustique, Louca semble absorbé dans un Nil imaginaire où il serait question de violoncelle, de harpe, de claviers électroniques et de percussions. On est à la fois lové au coeur d’un Proche-Orient fantasmé et dans une BO de film mondialiste. La connexion entre Maurice Louca -né au Caire en 1982- et Bruxelles n’est pas tout à fait nouvelle. Début 2019, le label schaerbeekois Sub Rosa, inlassable chercheur de sonorités transversales, a publié l’album Elephantine. Une affaire pas loin d’être somptueuse exprimant des connivences avec l’Occident mais n’hésitant jamais à s’en éloigner: la musique de Louca est d’abord celle d’un explorateur, qui a grandi dans le multiculturalisme du Caire, mégalopole compressée de plus de 20 millions d’habitants.

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Top Of The Coptes

« Je suis né dans une famille de quatre personnes de la classe moyenne, peut-être upper middle class, mais en Égypte, cette définition est difficile à cerner. D’autant que, comme tu le sais, la classe moyenne a tendance à disparaître de la planète. » Maurice sourit doucement. « J’ai moins de souvenirs musicaux de ma famille que du moment où j’ai reçu un walkman qui me permettait d’enchaîner constamment la pop music égyptienne de l’époque, c’est-à-dire une combinaison pas vraiment originale de synthés et de drum machines. » Louca junior prend donc la guitare à douze ans comme n’importe quel ado du monde, et en bâtit un rêve de célébrité. Qui, au contact des classiques Floyd-Hendrix-Doors, trace ses fantasmes dans le grunge, avec même des bouts de Guns N’Roses dedans. Face à la culture panarabe, Maurice fait initialement l’impasse, y compris sur « l’Astre de l’Orient », cette Oum Kalthoum (1898-1975) toujours considérée comme la plus grande chanteuse jamais née du monde arabe. « Comme gamin, elle ne m’intéressait pas, même si elle faisait de toute évidence partie du paysage sonore de ma ville et de mon pays. Et puis en grandissant, les chansons d’Oum ont de plus en plus, fait partie de moi. » Peut-être une façon de dire que l’influence de Kalthoum se manifeste aussi dans la liberté formelle de la musique de Louca: après tout, il arrivait qu’en scène, Oum tire la même chanson sur deux heures de temps. Une autre façon de distiller rythmes et sentiments, qui percole toujours dans les morceaux de Maurice. Louca est copte, groupe d’obédience chrétienne qui compte pour 15 à 25 millions de pratiquants -selon les sources- dans une Égypte à majorité musulmane, voguant maintenant vers les 100 millions d’âmes. Mais la religion n’est pas vraiment un enjeu pour le trentenaire, pas plus que la nationalité: « Gamin, l’identité arabe ne me semblait avoir aucune importance« . L’université où Maurice était censé étudier le business est assez vite devenue un lieu de rencontres et de palabres infinies où Louca eut l’impression d’être « rebelle ou punk même si je n’ai jamais été un fauteur de trouble ». Sauf peut-être dans ses musiques qui, loin du noisy ou du lourd, redéfinissent tous les héritages. « Tu sais, c’est difficile de parler de mon pays, de mes sentiments face au carrefour historique où l’on se trouve et du lien avec ma musique. Disons que celle-ci reste d’essence expérimentale. »

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Comité de censure

L’Égypte se trouve bousculée, retournée, boostée lorsque débarque la révolution, 17 jours d’insurrection en janvier et février 2011. « Oui, j’en étais, bien sûr (…) et ce n’était pas quelque chose que tu pouvais vivre comme cela, en dilettante. Cela a été le départ d’une période de deux-trois ans qui a changé un nombre considérable de choses, y compris la façon dont la musique a pu être redéfinie en Égypte: les semences du changement étaient déjà plantées depuis quelques années, mais la révolution les a en quelque sorte démultipliées. Aujourd’hui, il existe une ardeur, une curiosité à l’égard des musiques, qui ne s’exprimait pas avant. Cette fougue post-révolution est toujours là, elle a donné une urgence qui contrastait avec les années 90, période très sombre pour le pays. » Pas que l’Égypte se soit intégralement calée sur les démocraties à la mode occidentale: il y existe toujours un comité de censure qui donne aux musiciens la permission ou pas de se produire en public. Les musiques de Louca sont sans doute un peu trop underground ou volatiles pour éveiller un surcroît d’intérêt d’une quelconque censure officielle. Par conséquent, le compositeur évite le plus souvent cette étape, mettant par exemple une version expurgée online et réservant la vraie aux concerts, en toute discrétion. « On est un peu trop expérimentaux pour eux, je crois qu’ils s’en foutent », précise Maurice qui, aujourd’hui, tisse une toile internationale passant par le label belge Sub Rosa. Ce dernier pourrait bien être séduit par les nouveaux enregistrements menés cet été à Bruxelles, via le studio de l’AB et une bourse de la fondation Mophradat qui travaille avec les artistes arabes. Bouclée par Louca, quatre musiciens venus de Beyrouth, une harpiste arménienne et une violoncelliste australienne, cette musique ignorante des frontières, pourrait donner un album en 2020. Captant un bout de l’Histoire (y compris musicale) toujours occupée à se faire. Une histoire à suivre ou « à réinventer« , ajoute Maurice. En tout cas, bien vibrante.

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