Mario Batkovic, le Colin Stetson du piano à bretelles

Mario Batkovic © Patrick Principe
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Signé sur le label de Geoff Barrow (Portishead), le Bosnien de Suisse Mario Batkovic, camarade de jeu du Reverend Beat-Man, dépoussière l’accordéon et s’impose comme le Colin Stetson du piano à bretelles.

J’aime la manière la plus simple de communiquer. Envoie-moi un SMS, dis-moi où tu es et j’arrive. » Au diable le protocole, les managers, les attachés de presse… À peine besoin de prendre rendez-vous avec Mario Batkovic que l’étonnant accordéoniste propose de l’interviewer dans un coffee-shop. « Là au moins, je serai tranquille pour fumer une clope, sourit-il dans sa barbichette. Je ne touche pas à la drogue. J’en ai déjà beaucoup, naturellement, à l’intérieur. » Verbe franc, regard malicieux… Batkovic a le sens de l’humour et l’art de raconter des histoires. « L’accordéon est entré dans ma vie quand j’avais quatre ans. Petit, je n’avais pas de radio. Mes parents ne m’achetaient pas de disque. Ce que je voulais entendre, je devais me le jouer. Je me souviens très bien de mon premier accordéon. J’en avais vu un petit, en carton, chez des amis. Et ça m’avait intrigué. Quand la femme d’un de mes oncles, un serial noceur qui en avait un vrai et en jouait très mal, lui a serré la vis, il me l’a donné. Il était rouge et sentait la bière. C’était ma découverte du rock’n’roll. »

Né en Bosnie en 1980, Mario Batkovic débarque en Suisse à l’âge de onze ans. Sa mère, chef cuistot, y travaille. Il a pris l’habitude de la rejoindre dès qu’il est en congé. « Puis la guerre a éclaté et je suis resté en vacances. Je retourne parfois au pays. Il y a toujours un peu de l’esprit bosnien en moi. Mais la vie que j’ai choisie, là-bas, ils ne la comprennent pas. Ils ne saisissent pas pourquoi j’ai acheté un instrument et pas une bonne voiture. »

Au-delà de ses grands éclats de rire, de son bon sens, d’un naturel bonhomme, il y a aussi beaucoup de classe, d’intelligence, et de pudeur chez Batkovic. « La Bosnie, pour moi, reste synonyme d’innocence. De racines. J’étais jeune. Un gamin comme les autres avec une vie tout ce qu’il y a de plus normale. Mais ensuite, je suis devenu le mec bizarre. Même ici au festival Eurosonic. Tout le monde fait de la guitare, du piano, est chanteur ou songwriter. Et moi, je suis le gars avec l’accordéon. C’est bien parfois. Mais c’est aussi souvent horrible et compliqué. Tu passes ton temps à te justifier. Même quand tu cherches des dates de concert. Tu envoies un mail. Voilà, je m’appelle Mario. J’aimerais jouer chez vous. Puis le mec te dit: et tu fais quoi? Alors, tu réponds, je fais de l’accordéon. Tango, musiques balkaniques, jazz? Et je dis: non non, à ma manière. Il y a de la batterie? Non. Tu chantes? Non. Je fais juste de l’accordéon. Et là, généralement, il termine par: et combien de temps dure ton concert? Une heure et demie, deux heures? Non, ça va pas être possible. Les gens vont s’endormir et rentrer chez eux. »

« Un jour, un prof m’a traité de trou du cul. M’a dit que je n’avais aucune confiance en moi. Que je ne croyais pas en mon son. Que je ne croyais pas en ma musique. Il était le premier à comprendre mon problème et ça a changé ma vie. Ne joue jamais une seule note que tu n’aimes pas sinon tu es perdu. »© DR

Tout casser

Si Mario s’est entiché de l’accordéon et s’y est accroché, c’est un peu parce qu’il s’agit d’un instrument de pauvres, le seul qu’il avait à l’époque les moyens de se payer. « Personne ne pouvait se permettre d’acheter un piano. C’était trop cher. Ça prenait trop de place. » Mais quelque chose de physique, une relation quasi fusionnelle aussi les unit. « J’aime le fait qu’on le tient contre soi. Il est comme une partie de toi. Devient ton troisième poumon. Ça reste un outil mais tu dois vraiment faire corps avec lui. »

Tout en grillant sa clope, Mario se souvient de son enfance. Des débuts de son adolescence dans un petit appartement de Berne. « Tous les jours mes parents m’obligeaient à aller me promener pendant deux heures. Je n’avais pas d’amis. Je ne parlais pas l’allemand. Mais juste à côté de l’appart, il y avait un magasin de musique. J’y ai appris à jouer du clavier. Le vieux proprio ne m’a jamais chassé. Je lui en suis très reconnaissant. Je pourrais m’attaquer à un autre instrument que l’accordéon mais il me faudrait 30 ans pour arriver au même niveau. Et je sais déjà que ma vie sera trop courte pour tout ce que je veux en faire. Tellement de disques terminés se promènent déjà dans ma tête. »

Sans honte, avec même une pointe de fierté, Batkovic, punk et rebelle, raconte le mauvais élève qu’il était. Son besoin irrépressible de faire les choses à sa manière. De ne pas respecter les règles. De renverser les barrières. Il dit ne jamais écouter de musique. « Quand j’en veux, je reste silencieux et j’entends dans ma tête la plus belle de toutes. » Mais avoue beaucoup aimer Bach, Beethoven, John Cage, Emerson Lake and Palmer, Steve Reich, Ligeti et Michael Jackson. Le folk comme les musiques balkaniques. Il se rappelle de l’école de musique classique à Hanovre dans laquelle l’a envoyé une prof allemande. « J’aime beaucoup le classique mais j’étais trop rock’n’roll pour eux. Je n’étais pas heureux. Je suis donc retourné en Suisse. En fait, mes meilleurs professeurs furent mes mauvais concerts. Je me suis produit dans des mariages, des anniversaires, des funérailles… J’ai joué à côté de cadavres, fait pleurer des gens qui faisaient la fête. »

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Jack Sparrow?

« Les gens me présentent souvent comme un nouveau venu. Mais je suis un vieux venu. La preuve que le viagra fonctionne aussi dans l’industrie musicale. » Depuis 30 ans qu’il joue du piano à bretelles, Batkovic a composé la musique de livres audio pour enfants, un jingle pour l’UEFA ou encore des BO de fictions et de documentaires notamment pour le réalisateur Mano Khalil (L’Hirondelle). Il s’est amusé avec la musique traditionnelle balkanique (Kud Meya), a célébré au sein d’un big band la folie du rock’n’roll (Destilacija) et a même créé un trio, Drü, avec ce grand cinglé de Reverend Beat-Man. « On a promis aux gens qu’on ne répéterait jamais. Donc, on joue de la très mauvaise musique. Même si souvent elle sonne mieux qu’on l’espère. Un jour, j’ai vu qu’un groupe affreux se produisait dans un stade de foot de 30.000 personnes. Je me suis dit merde. Pourquoi pas nous? On en a réservé un de 20.000 places et on a joué devant dix gugusses dans le rond central. Regarde les photos. Je suis officiellement membre d’un stadium band. »

Homme de défi, aussi fêlé que son pote le Reverend, Mario parle maintenant de jouer sur des carrousels et dans des égouts… Il explique s’être pour le fun orchestré un petit coup de pub en donnant, le même soir, dix concerts d’un quart d’heure dans dix salles différentes de Berne. Gratuitement mais contre un encart dans la gazette avec son nom et une photo. « Quand tu ouvrais le journal, tu nous voyais dix fois dedans. Je voulais montrer comment faire la promo d’un projet inconnu et fauché. »

Mario Batkovic, le Colin Stetson du piano à bretelles

Mario a sa petite maison de disques et son propre studio. Ses catacombes, comme il dit, où il organise souvent des concerts privés et gratuits. « Pourquoi répéter tout seul alors que je peux le faire en rencontrant des gens? » Il a cependant désormais signé sur Invada, le label de Geoff Barrow (Portishead), qui ressort son premier album solo agrémenté de deux nouveaux titres. « J’avais prêté mon studio à un type maintenant devenu mon manager. Quand il a entendu mon disque, il m’a proposé de l’envoyer en Angleterre à des amis. Je ne connaissais pas ce gars moi. Quoi? Qui? Jack Sparrow? Geoff a aimé, a voulu me voir, m’a invité à jouer en ouverture de Beak. Et aujourd’hui, il est devenu mon boss. »

Sorte de Colin Stetson de l’accordéon, le prodigieux Batkovic hypnotise. Crée avec son seul instrument un univers à part entière. Beau. Intense. Viscéral. « Je parle avec humour de musique contemporaine primitive. Parce que mes harmonies sont extrêmement simples. C’est ce qui me permet d’embarquer les gens. L’idée est de faire sonner l’accordéon comme un groupe tout entier. On a bu beaucoup de bières pour finalement comprendre qu’on devait utiliser trois micros. Tout est dans la façon de les positionner. Les mecs se marrent quand tu arrives avec ton accordéon dans un festival et que tu dis avoir un technicien avec toi. Mais personne dans le monde ne peut le sonoriser comme ça à part lui. L’accordéon n’est pas un vieil instrument. J’espère que de jeunes musiciens le feront avancer. Je ne vois pour l’instant pas grand monde en exploiter toutes les possibilités… »

Mario Batkovic, distribué par Invada Records/Pias. ****

Le 20/04 à De Roma (Anvers) avec Colin Stetson, le 14/05 au Grand Salon de Concert (Nuits Botanique).

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