Lisza: parfums de femme

Lisza aime les fleurs. Pas les étiquettes. "D'ailleurs, je n'écris pas mes chansons en ayant un public en tête." © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Formats latinos, féminité, Frida Kahlo: de ce triptyque rythmé est né Charango. Le second disque de la Bruxelloise Lisza est une épatante réussite.

Rendez-vous est donné dans une buvette du parc Josaphat. A table: clopes, jus de fruit, bière artisanale et bouquet de fleurs. Ce dernier, « avec quelques échantillons offerts par ma voisine fleuriste », dixit l’intéressée, est raccord à la bouffée végétale de cette fin juillet, au coeur de Schaerbeek et d’un public bobo. Lisza, 32 ans, yeux laser, sourire large, ne botte pas en touche lorsqu’il s’agit d’identifier son biotope: « Les fleurs, j’aime cela, certainement. Quant à mon boboïsme, je suppose qu’il existe, mais est-ce vraiment péjoratif? De toute façon, je n’aime pas les étiquettes. Et puis, je n’écris absolument pas mes chansons en ayant un public en tête. Je ne prévois pas les choses. Je pense que ma musique peut parler à plein de gens, encore faut-il qu’elle leur parvienne. »

J’avais en tête Frida Kahlo, femme magnifique dont j’adore la peinture et ce qu’elle symbolise.

Lorsque paraît, début 2017, le premier album de Lisza, La Vie sauvage, Le Vif /L’Express évoque « une jeune Françoise Hardy qui aurait rencontré son Dutronc en la personne de Vincent Liben [… ] pour un premier disque de chansons finement contagieuses ». Le disque, sinueux et sensuel, est déjà impeccablement cocomposé, arrangé et produit par Liben (ex-Mud Flow), qui partage aussi la vie de Lisza. Les louanges de la critique accompagnent ce premier essai qui reste néanmoins en dehors d’un réel succès commercial. En cause? Peut-être la paresse des radios désormais davantage préoccupées de « formats » que de bonnes chansons. Cosignées par Lisza.

Découvrir et explorer

La surprise de Charango se dévoile dès le titre, celui qui désigne ce modèle de mini- guitare originellement pratiquée dans les Andes. Un son cristallin et rêveur, d’une couleur mixant joie et mélancolie, identifiable à ses accords galvanisants. Joué quasi en virtuose par Vincent Liben, il parcourt une bonne partie des onze morceaux gagnés aux parfums hispaniques de l’album, trempant aussi un doigt de portugais brésilien dans le charmant O Sonho Voltou. Liben, qui accomplit ici un remarquable travail d’arrangeur-producteur, définit la méthode sonore concoctée au départ des maquettes guitare-voix de Lisza: « On a voulu surtout un travail de découverte et d’exploration des musiques et sonorités d’un peu partout dans le monde, sans se mettre de barrières. La difficulté, c’est qu’à l’écoute, cela doit paraître évident alors qu’on a mélangé des choses qui ne le sont pas forcément, dans la mélodie, le texte et ses sonorités, les arrangements ou les parties instrumentales. Par exemple, dans Capitaine, il y a des rythmes afro-beat avec du reggaeton (NDLR: version caraïbe du reggae) mais en suivant une grille d’accords et une mélodie plutôt occidentales. Ou encore, O Sonho Voltou qui combine une guitare samba avec des cordes chaâbi (musique arabo-andalouse), alors qu’a priori, cela ne se mélange pas du tout. »

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Recherche sans limite, puisque dans le splendide Forêt, la plus belle prestation vocale du disque, les cordes frémissantes croisent un solo de…saxophone. Instrument chéri par Lisza, pratiqué dans sa jeunesse, et qui revient d’ailleurs agréablement secouer son métal sur un autre titre, Le Choix. Le tout navigue entre le Bruxelles 2020 – et ses récits notamment amoureux – et une Amérique latine fantasmée. « L’espagnol a été une langue qui m’a passionnée lorsque j’étais en secondaires à l’Institut de la Providence à Wavre avec un prof formidable, confie Lisza. L’espagnol aussi parce qu’aujourd’hui, toutes les barrières et toutes les frontières se dissolvent. Un monde où tout se mélange, c’est très beau! Et puis je fais aussi la musique que j’ai envie d’écouter. » En fait, le franco-espagnol Charango fonctionne d’emblée, un peu comme le premier disque de… Manu Chao avait emporté le public international dans une fougue d’enthousiasme. Espérons que l’histoire se répète.

Charango sort le 14 août (distr. Cod&s). Lisza se produit le 15 août à Louvain-la-Neuve.
Charango sort le 14 août (distr. Cod&s). Lisza se produit le 15 août à Louvain-la-Neuve.

Briser les codes

Avec ce disque, difficile de ne pas penser au hit de Jeanette, Por que tevas, repris dans le film de Carlos Saura Cría cuervos en 1974. Moins pour la similitude mélodique ou l’intention que pour la voix caressante, sensuelle, friable, de femme-enfant. L’album slalome donc entre ses semi-ballades (Daddy) et d’intrépides accélérations (Canta Querida). Synchro à la nouvelle apparence de la chanteuse, cheveux tressés, bijoux vintage incluant bagues voyantes. « Les bagues, précise-t-elle, j’ai commencé à en acheter dans des brocantes, et puis pour les accompagner, les tresses me semblaient bien. Ce look va avec la musique qui est colorée, et plus fouettée que sur le premier album. Parce qu’il y a du rap – l’un de mes fantasmes adolescents – et des rythmiques plus entraînantes. Ce qui m’intéresse, c’est de briser les codes et d’être libre, notamment dans ce que l’on appelle la « sono mondiale ». »

Sur Charango, Lisza – qui n’est jamais allée en Amérique latine – construit aussi des chansons qui témoignent de cette vie qui avance: « Mon premier album était encore un peu ancré dans l’enfance. J’y suis une fille racontant les histoires qui l’ont formée. Et puis ici, c’est plus sensuel, même si j’ai encore un peu de mal à dire « je suis une femme ». J’avais en tête Frida Kahlo, femme magnifique dont j’adore la peinture et ce qu’elle symbolise, qui a réussi à transcender les choses. Ce qu’elle a fait avec sa souffrance, clouée au lit par de graves problèmes de dos, en se mettant à peindre, c’est magnifique. C’est une référence, une iconographie (NDLR: qui inspire fortement la pochette), un cadre, pas un copier-coller de son univers. »

Le mot féminisme arrive naturellement dans la conversation, poussé par la chanson Le Choix où il est question de liberté de disposer de son corps: « Le premier couplet parle de l’avortement, du fait que c’est à la femme d’être maître de son corps. Le second traite d’un abus […]. Je crois qu’il faut se réapproprier le terme de féminisme, peut-être parce que j’ai été, entre guillemets, victime de machisme. Il y a quelques années, j’ai commencé à lire plus de livres écrits par des femmes. J’ai découvert un monde inconnu, ayant grandi avec des bouquins essentiellement masculins et un père qui a pris énormément de place dans ma vie, même si je ne l’ai connu que huit ans et demi. Mon chemin, c’est aussi de me libérer de cela. » Charango, splendide disque de toutes les libérations? Afirmativo.

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