Les synthèses de Jain

Du col Claudine au bleu de chauffe. © PAUL & MARTIN
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Trois ans après le carton de son premier album, porté notamment par le tube Makeba, la jeune Française change de tenue mais pas sa formule « melting pop » voyageuse.

Le dernier morceau du nouvel album de Jain est aussi sa chanson-titre, Souldier. Derrière le mot-valise, un reggae au ralenti et une histoire de soldat, d’arc-en-ciel, d’amour et de fleurs. Cette chanson, la jeune femme l’a écrite après avoir regardé un sujet du JT sur la tuerie d’Orlando: le 20 juin 2016, un terroriste tuait 49 personnes dans un club gay de la ville de Floride. « C’est l’une des premières chansons que j’ai composées pour l’album, explique Jain, rencontrée lors son intense tournée promo bruxelloise de la semaine dernière. En dix minutes, tout était quasiment là. J’avais envie de quelque chose de doux. Et de glisser aussi ce message qui est, d’une certaine manière, un peu plus engagé que les autres. » Un peu.

Une pop euphorisante et multicolore, aux gimmicks entêtants

Avec son premier disque, Jain avait déjà été rattrapée par le désordre du monde. En 2015, Zanaka sortait tout juste une semaine avant… les attentats parisiens du 13 novembre. La France est alors traumatisée, sous le choc. De longues semaines anxiogènes commencent. Le pire moment pour lancer un disque, a fortiori le premier d’une quasi-inconnue. Comment réussir à se faire encore entendre, au milieu du chaos? Est-ce que cela a même encore une quelconque importance? Visiblement, oui. Juste avant les événements dramatiques, le single Come, sorti cinq mois plus tôt, se contentait de tourner gentiment en radio, végétant dans le ventre mou du classement des ventes. Avant la fin de l’année, il en atteindra la première place… Un peu comme si la pop colorée de Jain avait fait office de baume réconfortant. Cliché? On soumet quand même l’hypothèse à l’intéressée: « Je pense que le timing joue, évidemment. Vous pouvez sortir le plus gros tube possible, s’il ne tombe pas au bon moment, qu’il ne correspond pas à l’époque, il fera un flop. Dans mon cas, le fait de proposer un disque qui soit en effet optimiste, solaire, précisément pendant cette période, a pu aider à son succès… Après, je suis quand même contente que cela ne se soit pas arrêté à ça. Mais c’est vrai qu’après ce qui s’est passé au Bataclan, j’étais très fière de faire de la musique, de me retrouver dans cette position de pouvoir rassembler les gens. Je n’ai voulu annuler aucun concert, par exemple. »

Ligne claire

La potion de Jain tient donc dans cette pop euphorisante et multicolore, qui a le gimmick aussi évident qu’entêtant. L’exemple parfait est l’autre tube, Makeba et son fameux refrain: « Makeba/Ma che bella/Can i get a ‘wooohe’? ». Le tout servi par des visuels et des clips hypersoignés – celui de Makeba, justement, a empoché une Victoire de la musique en 2017 et une nomination pour les Grammys en début d’année.

Oui, car, entre-temps, la carrière de Jain, qui chante en anglais, a pris un tour international. A l’instar d’une Christine & The Queens ou de Stromae, elle n’a pas hésité à traverser l’Atlantique, se retrouvant notamment invitée sur le plateau du late show de Stephen Colbert. On compare souvent la musique de la Française et du Belge. Même tendance au bidouillage électronique de chambre. Même talent pour dénicher les trois notes qui font mouche. Même goût aussi pour une certaine ligne claire: « C’est vrai que j’aime quand c’est bien propre (rires). Ma musique est déjà un tel mélange d’influences, il faut qu’elle soit un mininum structurée. » Enfin, comme Paul Van Haver, Jain glisse volontiers des influences africaines dans son univers. Une question de parcours. Celui de Jeanne Galice, de son vrai nom, née en 1992, à Toulouse, a suivi les pérégrinations familiales du paternel, cadre dans l’industrie pétrolière: de Dubaï, où elle atterrit à l’âge de 9 ans, à Pointe-Noire au Congo-Brazzaville, où elle a enregistré ses premières maquettes, en repassant par Abu Dhabi. D’où une musique qui picore volontiers dans les cultures visitées. Au point de parler d’appropriation culturelle ? Zappée dans les interviews françaises, la question revenait systématiquement dans la presse anglo-saxonne. Jain sourit: « Je m’y attendais un peu. Entre l’Europe et les Etats-Unis, on n’a pas la même histoire, la même approche. J’ai dû leur expliquer tout mon parcours, le fait que j’avais vécu en Afrique, que c’était même au Congo que j’étais vraiment née artistiquement, ou même les influences musicales de ma mère (NDLR: franco-malgache). De toute façon, la musique est une appropriation culturelle constante, du blues au rock, en commençant par Elvis! »

Jain, Souldier, distr. Sony. En concert le 15 juin 2019, à Forest National.
Jain, Souldier, distr. Sony. En concert le 15 juin 2019, à Forest National.

Réseaux non troppo

Sur son nouvel album, Jain glisse donc du derbouka et des cordes orientales quand elle se rappelle Abu Dhabi, ou invite la kora malienne de Sidiki Diabaté sur Oh Man. Elle en profite aussi pour changer de look. Loin des lolitas pop, la jeune femme garde toujours ce profil de jeune actrice slapstick, comme tout droit sortie d’un film de Buster Keaton. Mais à la sage robe noire col Claudine a succédé le bleu de chauffe. Toujours signée Agnès b., la combinaison lui donne un petit côté Rosie the Riveter, icône culturelle américaine et symbole des femmes qui faisaient tourner les usines pendant la Seconde Guerre mondiale. On tend la perche féministe. « En fait, je voulais surtout souligner le côté travailleur. Quelqu’un qui met les mains dans le cambouis, qui veut en découdre. Parce que je crois beaucoup dans ce disque, j’ai envie de me battre pour le défendre. » Un coup dans l’eau.

C’est que Jain prend garde de ne pas déborder du cadre. Ses chansons peuvent avoir leur grain de fantaisie, elle-même ne lâche pas grand-chose. C’est sa force et aussi en partie sa faille, comme elle le glissera un jour sur le plateau de Laurent Ruquier : ne pas en avoir justement. D’où une frilosité à sortir des rails, pour glisser dans le commentaire en général, politique en particulier – « J’ai l’impression de faire partie d’une génération un peu désabusée par rapport à ça ». De manière plus surprenante, cela implique aussi chez elle une utilisation extrêmement timide des réseaux sociaux, alors qu’ils semblent pourtant être devenus des outils de com privilégiés. « C’est quelque chose qui me fait en effet assez peur. Du coup, j’essaie de garder une certaine distance. Je n’ai pas envie que les gens viennent me voir pour qui je suis, mais pour le show et la musique. Alors oui, à la fin, ils n’ont pas forcément l’impression de bien me connaître. Mais ce n’est pas important. Moi, en tout cas, cela ne m’intéresse pas. Personnellement, je respecte beaucoup d’artistes qui, apparemment, ne sont pas très sympas dans la vie. Nicki Minaj, par exemple, a l’air un peu d’une bad girl, mais j’adore ce qu’elle fait » (rires).

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