Les Nuits Secrètes, si loin, si près

© Maxime Dart/Les Nuits Secrètes
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À un jet de pinte de la frontière belge, les Nuits Secrètes confirment plus que jamais leur formule gagnante: du pas cher, des surprises et de la proximité.

Aulnoye-Aymeries, c’est à peu de chose près une grosse heure quart de route depuis Bruxelles, quelques minutes depuis Dour. Un petite commune française (8.652 habitants), planquée dans l’Avesnois, pas loin de Maubeuge, dans laquelle on ne se serait probablement jamais arrêté s’il n’y avait les Nuits Secrètes. Lancées en 2002, elles étaient un pari – lancer un festival au milieu de nulle part – et une alternative – face aux méga-festivals, l’idée d’un événement qui garderait de la place pour une certaine proximité, voire une intimité.

Quand on débarque par exemple vendredi, en fin d’après-midi, certains jouent au beach-volley dans un terrain de sable installé en bord de parc, entre deux bus « impérial » anglais (à bord desquels auront lieu plus tard une série de mini-concerts guérillas). Ici, c’est le Noooord, oui, mais avec ce petit air de reggae roots qui sort des enceintes, et le soleil généreux. De quoi donner des couleurs a un coin qui a pas mal dégusté, économique et socialement. De cette sinistrose, il ne faut pas aller loin pour en trouver encore des traces. Là, le squelette métallique d’une usine désaffectée borde les voies de chemins de fer. On est à deux cents mètres de la scène principale. En début de soirée, le duo Casseurs Flowters (Orelsan + Gringe) y rameute le gros des troupes avec son hip hop déconneur et branleur. Ils seront suivis par la double bastonnade électro, Surkin et Boys Noize: carton assuré. Précision: la scène principale des Nuits Secrètes est gratuite. Cela fait partie de la philosophie du festival qui pratique les prix modiques – sauf quand il s’agit de s’abreuver: à 5 euros la chope, ce n’est pas ici qu’on risque de se mettre une mine…

Côté jardin (12 euros la soirée), c’est carrément cosy. On tombe sur Melanie De Biasio, décidément de toutes les fêtes. Son jazz tracé à l’encre noire trouve son bonheur dans l’intimité du parc. Chemise blanche ample au milieu de ses musiciens vêtus de noir, la chanteuse serait le centre de gravité évident du concert si elle ne s’échinait à fuir toute idée de leadership. Ce soir-là, c’est donc essentiellement entre elle et son batteur Dre Pallemaerts que cela se passe. C’est fascinant à regarder et écouter, mais le dialogue entre les deux tient aussi toujours un peu à distance. Cela dit, le public a beau se retrouver exclu de la dynamique scénique, il ne semble pas en prendre ombrage et applaudira franchement la prestation.

Christine & the Queens
Christine & the Queens© DR

La distance, Christine and the Queens, le buzz Frenchy du moment, la fait sauter en quelques minutes. D’aucuns ont pu émettre des réserves sur la froideur et le côté trop maîtrisé de son premier album Chaleur humaine. Sur scène cependant, habillée straight (chemise blanche, veston et pantalon noirs), Christine danse et se tortille dès qu’elle en a l’occasion. Le show fait mouche. Son attitude décontractée et ses textes transgenres, aussi. Deux danseurs l’accompagnent la plupart du temps pour des chorégraphies à « l’américaine », aussi simples et fluides qu’efficaces, multipliant les clins d’oeil à Michael Jackson. Le côté r’n’b est ici pleinement assumé, dans les mouvements comme dans la voix, faisant de Christine & The Queens l’une des énigmes les plus intrigantes du moment de la scène française. On en reparle très vite.

Toujours au Jardin, Arno était un peu la tête de gondole d’une Belgian touch qui a infiltré chaque coin de l’affiche – on a déjà évoqué Melanie De Biasio, on peut encore ajouter Raving George, ou les Compact Disk Dummies. Vendredi, on essaie d’y échapper en montant à bord de l’un des derniers « parcours secrets » du jour. Le concept résume bien l’esprit des Nuits Secrètes: on choisit l’un des 6 parcours, sans savoir qui l’on va voir, ni où… Sur le coup de 23h, on embarque donc dans un bus aux vitres couvertes d’aluminium – histoire de ne pas reconnaître la route -, le chauffeur s’amusant même systématiquement à faire plusieurs fois le tour des ronds-points pour perdre tout le monde. Quelques minutes plus tard, en pleine « pampa », le bus s’arrête devant une ferme éclairée aux bougies. Dans la grange, des micros, des chaises, une table, des portraits accrochés aux murs. Après une courte séquence vidéo n/b touchante (Rudy Toorop, le père de Sacha, filmé par Brice VDH), le suspense prend fin: voilà que déboule… Saule! Pour la surprise et le dépaysement, on repassera. On le connaît par coeur: en deux morceaux, le gentil géant en formule trio a déjà mis tout le monde dans sa poche. Il ne faut pas toujours aller très loin pour rester tout près…

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