Le souffle créateur d’Oscar Jerome

Oscar Jerome a la guitare et le jazz qui le démangent. © DENISHA ANDERSON
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Échappé de Kokoroko, le guitariste de jazz Oscar Jerome sort avec Breathe Deep un premier album solo engagé et blindé d’invités. Rencontre.

Il a eu droit à sa session Colors. C’était il y a deux ans. Il a joué avec Lianne La Havas. Elle chante sur son disque. Il a assuré les premières parties de Kamasi Washington lors de sa dernière tournée anglaise. À 27 piges, Oscar Jerome est l’un des guitaristes les plus en vue de la nouvelle scène jazz londonienne. L’ancien guitariste de Kokoroko a pas mal fréquenté Shabaka et Moses Boyd et il a étudié dans le même conservatoire de la capitale que Fela Kuti, mais à la base, O.J. est originaire de Norwich. Chef-lieu du Norfolk, à l’est de la Grande Bretagne. « Ma mère est assistante sociale et mon père docteur au NHS. Les deux travaillent dans l’État providence. Mon dad est d’ailleurs assez engagé politiquement. C’est un socialiste. J’ai grandi là-dedans, dans cet état d’esprit. Je me souviens avoir participé à des manifs contre la guerre et à des marches contre le racisme quand j’étais gamin. Ils ont exercé une vraie influence sur moi en ce sens. Mais certains types de musique aussi m’ont ouvert l’esprit à la politique. »

Le paternel étant lui-même musicien – « un grand fan de Zappa »-, Oscar a baigné dès son plus jeune âge dans la musique et a commencé les cours de guitare à huit ans. Ado, il a eu des groupes et joué au singer-songwriter. « Il y avait toujours du jazz, du rock, du funk à la maison. Ils nous ont vraiment encouragés à jouer d’un instrument mes frères, ma soeur et moi. » Aucun ne bosse dans le milieu mais l’un de ses frangins, Alfie, virevolte lui aussi dans le monde de la culture. Il se fait appeler Moth (papillon de nuit), apparaît dans un de ses clips (Misty Head/Sunny Street) et appartient à cette génération de drag queens qui tente de casser les codes à travers leurs performances artistiques.

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C’est le blues, John Lee Hooker, Muddy Waters puis aussi Jimi Hendrix qui ont ouvert les portes du jazz à Oscar. Un cheminement logique, dit-il. « À Norwich, il y avait assez d’endroits où se produire et de musiciens avec lesquels jouer. Mais à 18 ans, j’ai senti que je devais bouger. C’était nécessaire. Quand je grandissais, il y avait une scène rave, drum’n’bass, breakbeat, jungle, du dub, du reggae. Mais rien de comparable à Manchester. À de grands mouvements musicaux comme ceux-là. « 

Outil pour le changement

À Londres, Oscar Laurence (c’est son vrai nom) va se fondre dans une communauté jazz jeune et bouillonnante. Il participe aux soirées Steez organisées par Luke Newman, qui pour la petite histoire chante sur son disque. Ou encore aux événements Good Evening Arts déclinés dans différents pubs du sud de la ville. « J’étais très nerveux à l’idée de rencontrer tant de gens incroyables, tant de formidables artistes. Je me suis rendu compte que je n’étais pas aussi bon que je le pensais mais ça m’a permis de côtoyer différents types de gens, de musiciens… Steez, c’était un mouvement cool car il intéressait un très jeune public. Ça touchait à différents styles. Il y avait de la poésie. »

Le guitariste a très tôt joué avec Moses Boyd, qui était dans la même année que lui aux études ou encore dans un groupe de hip-hop, SumoChief, avec Joe Armon-Jones (encore un des invités du disque). Les pulsations afrobeat et le succès de Kokoroko ont complété son éducation mais avaient fini par brider ses aspirations… Breathe Deep est son premier véritable album. « Je compose vraiment beaucoup de chansons. J’ai réuni celles qui me semblaient bien fonctionner ensemble. Certaines sont récentes, d’autres plus vieilles. J’ai cherché une manière de les enregistrer pour qu’elles ne dépareillent pas. Je tenais à donner une représentation assez large de moi tant musicalement que politiquement parlant. »

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Oscar Jerome revendique les influences de Gil Scott-Heron, George Benson, The Clash, Ali Farka Touré, J Dilla… Il ne s’est longtemps considéré que comme un guitariste qui chante mais a fini par accepter et travailler sa voix. « En ce qui concerne les paroles, tu trouveras des critiques du système capitaliste. Des chansons qui parlent du mauvais traitement des réfugiés. Des choses plus personnelles aussi. » Le single Sun for Someone charrie un message environnemental… « Il aborde l’extinction de l’espèce humaine et ce que deviendra la Terre une fois qu’on ne sera plus là. Avec tout ce qui se passe pour le moment, c’est un sujet sensible. Mais ça parle aussi d’hypocrisie. Certains ont cette espèce de joie perverse, ce sentiment de faire ce qu’il faut mais que les autres ne le font pas. Beaucoup ne peuvent tout simplement pas se le permettre. N’ont pas les moyens financiers de se payer une voiture électrique voire des choses écologiques parfois élémentaires. Il faut à mon avis se tourner vers les gouvernements et les entreprises avant de mettre la pression sur les individus. »

Your Saint a été inspiré par une famille syrienne à Paris et les nombreux sans-abri dans les stations de métro. « Le morceau évoque la vision biaisée qu’on peut avoir de ces gens qui arrivent en Europe fuyant les conflits et la pauvreté. L’hypocrisie, encore, aussi, de nombreux pays qui sont censés reposer sur des valeurs chrétiennes. Je ne suis pas religieux et je peux entendre les craintes, la peur de perdre son boulot. Mais je crois qu’en tant qu’être humain, on a la possibilité de se donner des coups de main. »

Il en a eu lui de l’aide pour fabriquer ce disque de jazz teinté de soul, de funk, de hip-hop. Des membres de Kokoroko, d’Ezra Collective, de Sons of Kemet… Politique la scène jazz londonienne? « Il y a des gens qui sont politiquement marqués et se font entendre. Des musiciens qui à travers leurs projets essaient de donner de la visibilité à certaines communautés. Je ne sais pas s’ils sont tous très actifs. J’espère qu’ils le deviendront davantage avec ce qui arrive pour le moment. Notamment autour des questions raciales. J’espère que le contexte rendra les gens plus activistes avec leur musique. C’est un outil pour le changement. Des voix s’élèvent mais il y a encore de la place pour beaucoup d’autres. »

Oscar Jerome, Breathe Deep. Distribué par Caroline. ***(*)

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