Le Noise de Neil Young, son petit plaisir solitaire

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Produit par Daniel Lanois, ce disque solo démontre comment une voix, des guitares et des noises peuvent raconter une époque et ses blessures.

Il fallait peut-être que Young se retrouve seul face à son disque pour en faire une telle oeuvre. Le projet se devait d’être acoustique: Neil et une six cordes, mais dès que Daniel Lanois s’est emparé de la chose, la musique a muté vers d’autres horizons, plus électriques. Après tout, c’est bien là le travail d’un producteur: interpréter un univers et lui suggérer une route, ce que Lanois a fait avec un succès certain en tirant le meilleur de Dylan, Emmylou Harris, Ron Sexsmith, Peter Gabriel ou U2, souvent en compagnie de son alter ego, Brian Eno.

Outre leur commune nationalité canadienne d’origine, Lanois et Young slaloment volontiers entre mainstream et alternatif, passant de disques consensuels à des entreprises abrasives, s’essayant aussi à mélanger les deux. C’est le cas de ce 35e album studio de Neil Young qui, depuis ses débuts éponymes en 1968, n’a cessé de multiplier les pistes (au sens d’un rébus comme de la technique de studio), brassant folk, détonation sonique, blues, complaintes country, synthé-pop, au rouleau compresseur de sa curieuse voix d’équilibriste gavée d’émotions. Il y en a aussi dans les huit morceaux de Le Noise (clin d’oeil franco-anglais à Lanois) mais elle est le plus souvent corrosive, dérangée et dissonante.

Coeur de tonnerre

Dès la première plage qui s’ouvre d’une voix fantomatique propulsée par un effet delay, on comprend que l’habillage ne va pas faire dans le conte pour enfants folk: à deux exceptions près (Peaceful Valley Boulevard, Love & War) où les mélodies spleen rappellent la capacité de Young à emballer ses textes noirs dans du miel. Sur une six cordes à l’espagnole, Love & War replonge dans la chair brûlée des conflits: « I see a lot of young men go to war/And leave a lot of young brides behind/I see them try and explain it to their kids/I see a lot of them falling ».

Sinon, la musique circule dans un magma de brume magnétique et d’orages soniques orchestrés par Lanois, ses synthés, ses distorsions et ses couches électroniques. Young ressemble parfois à un monstre du Loch Ness qui sortirait un instant de son invisibilité pour déballer des bouts d’âme, filant ensuite vers d’autres croisades souterraines. A nous de comprendre ce qu’il a laissé sur la rive, alors que les échos bruitistes de sa grosse Gretsch s’éteignent dans un paysage ravagé de doutes.

Une fois de plus, les désastres personnels rencontrent sa musique: la mort de deux de ses collaborateurs historiques, le multi-instrumentiste Ben Keith et le cinéaste Larry LA Johnson, résonne clairement dans les chansons. Celles-ci sont aussi l’occasion de se retourner sur son propre parcours, comme dans Hitchhiker, titre datant déjà de 1992, où il liste les drogues consommées au fil des décennies… Alors, même si Young n’est pas à une critique près, notamment sur les prix prohibitifs de ses tickets de concert, il reste à quasi 65 ans d’une vitalité créatrice qui (d)étonne.

Neil Young, Le Noise , distribué par Warner.
www.neilyoung.com

Philippe Cornet

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