Le melting pop de Tawsen

Tawsen, "chanteur avec du flow". © Romain Garcin
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Né en Italie, d’origine marocaine, le Bruxellois Tawsen sort un nouvel EP, Al Najma. Avec une formule qui se précise, mais toujours pas de recettes, s’amusant à mélanger toutes les couleurs de la pop.

L’anecdote remonte maintenant à un peu plus de trois ans. Ce jour-là, Tawsen est dans le métro quand son téléphone vibre. « Un invité avait annulé, ils cherchaient un remplaçant. » Une demi-heure plus tard, il se retrouve au Bota pour l’enregistrement de Rentre dans le cercle, le webformat du rappeur parisien Fianso. À l’époque, Tawsen vient à peine de publier ses deux premiers clips. Il se retrouve au milieu de tous les cadors de la scène locale: Caballero & JeanJass, Roméo Elvis, Isha, etc. « J’étais là, tout seul, j’avais même pas eu le temps de prévenir mes potes. » Quand il se lance, l’assemblée ne capte pas tout de suite: Tawsen ne rappe pas. Il chante.

La scène date de 2017. Mais elle raconte toujours bien la manière dont l’intéressé aime brouiller les pistes. Son nouvel EP, Al Najma (« L’étoile »), -après Al Mawja (« La vague ») en 2020 et Al Warda (« La fleur ») en 2019)- le confirme: le garçon est joueur, voire jouette. Tawsen n’est certainement pas « un rappeur, mais un chanteur qui a du flow« . Il le fait en français, arabe, italien, glisse de la chanson au r’n’b, du chaâbi à l’afropop… En d’autres mots, Tawsen a la bougeotte. Son parcours perso l’explique en grande partie…

Né en 1997, en Italie, Tawsen grandit à San Matteo, petit bled perdu de Lombardie. C’est là que ses parents marocains, originaires d’El Borouj, se sont installés, logeant dans un bloc social, « avec les cinq autres familles d’étrangers du coin« . Aux alentours, il y a le « village avec le terrain de foot, celui du Lidl où on allait le samedi« . Et puis celui de la mosquée, à 50 kilomètres de là, « installée dans un entrepôt vide« . En 2008, avec la crise, la famille commence cependant à se poser des questions. « Mes parents voyaient leurs amis partir les uns après les autres. À un moment, ils se sont dit que c’était peut-être mieux de bouger, avec l’idée qu’un diplôme en français serait plus utile au Maroc. » Bavard, Tawsen marque une rare pause dans son récit, puis continue. « Je pense aussi que la question du racisme a joué. Je peux pas dire que j’en ai souffert. Mais l’Italie est un pays très catholique. Et ma famille très musulmane. Quand ils ont fermé la mosquée, on s’est dit que ce serait peut-être plus simple de partir. »

Le melting pop de Tawsen

Quand il débarque à Bruxelles, Tawsen a douze ans et ne parle pas un mot de français. « Mais Anderlecht est un melting-pot. Quand je voulais payer mon pain en baragouinant trois mots de français, on me répondait en arabe » (rires). Il va notamment apprendre la langue dans les livres -« À ce moment-là, la situation dans le quartier était pas top, mon père m’a dit: « Il y a une bibliothèque au coin de la rue, va t’inscrire. On n’a pas fait tout ce chemin pour que tu deviennes délinquant«  » (rires). Il dévore Hunger Games, Harry Potter, etc. Et la musique? « À part des anachîd, des chants religieux pour les enfants que ma mère chantait, et des chanteurs comme Sami Yusuf, franchement, il n’y avait pas grand-chose. » Le basculement a lieu le jour où Tawsen reçoit un téléphone… « J’ai quatorze-quinze ans, le bluetooth, et UTorrent: je télécharge systématiquement le top 10 du Billboard US. Je ne sais pas ce que j’écoute, je prends tout, de Kelly Clarkson à Jay-Z, de Bon Iver à Rihanna. Et on s’étonne après que ce soit le boxon dans ma tête. »

Espéranto musical

À l’école, Tawsen fredonne volontiers du Adele. Alors forcément, quand les potes filent à la Maison des Jeunes pour enregistrer des morceaux rap, il peut venir, mais plutôt « pour chanter les refrains« . C’est là qu’il chope le virus. Avec Goldo, un pote qui sait à peine mieux que lui comment bidouiller des logiciels audio, il construit ses premiers morceaux. Il apprend « sur le tas« , comme pour tout -son premier clip, pareil, monté avec un « ordi HP à 200 balles qui buggait toutes les 3 secondes, un Premiere Pro craqué, et la page du tuto YouTube ouverte dans un coin de l’écran« .

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La méthode fonctionne. Le compteur à vues tourne, les portes s’ouvrent, l’équipe grandit. Mais le flou artistique est toujours la règle. Notamment dans ses vidéos, qui mélangent volontiers les esthétiques, entre Europe, Maghreb et références américaines (Cherry Bye Bye, et ses clins d’oeil au Bound 2 de Kanye West, l’Atlas remplaçant les montagnes du Wyoming). Mais surtout dans une musique qui refuse de trancher. « Parfois, on me présente comme « rappeur bruxellois »; la fois suivante, c’est le « nouveau prince du raï » -même si je n’ai jamais écouté des gens comme Cheb Khaled; et celle d’après, l' »artiste pop urbaine », qui est aussi très réducteur, voire raciste: un Noir qui chante en training Lacoste, ce sera de la musique urbaine, s’il est blond, ce sera de la chanson… » Où se place-t-il alors? « Moi, je fais de la pop. Point. Mon but, c’est de devenir Michael Jackson. » C’est dit sur le ton de la blague, mais pas complètement non plus: avec sa musique, Tawsen veut rassembler, distillant un espéranto musical qui colle à l’air du temps.

Alors, en attendant que tout le monde percute, le Bruxellois a trouvé la parade. « Si les gens ont besoin de catégorie, autant créer la mienne: le néoraï. C’est quoi? C’est moi! C’est ma case. » Il y parle essentiellement d’amour, « parce que les plus grosses chansons de l’Histoire de la musique tournent toutes autour de ça« . Même si l’amour est aussi souvent un prétexte, une toile de fond pour d’autres sentiments (la chronique du quartier dans le clip de La Météo). Il le fait avec son accent maroxellois, glissant ici et là quelques touches d’autotune, plus T-Pain que Cheb Mami, moins en mode latin lover que façon The Weeknd. « J’ai été très inspiré par sa première trilogie, tout ce truc de mec du ghetto qui parle sentiments et dépression. » Avec parfois encore une écriture à muscler, mais déjà une gourmandise et un manque de complexe attachants. Tawsen veut faire des hits, mais à sa sauce, et à son rythme -« En vrai, je suis toujours étudiant« . À la manière d’un work in progress, il a posé ses pions, tâté le terrain, avant un futur album. « Ces derniers mois, on a vu des artistes comme Dinos, Alpha Wann ou Freeze Corleone faire des disques d’or avec des propositions singulières. Alors pourquoi pas moi? »

Tawsen, Al Najma, distribué par Caroline. ***(*)

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