Le grand bordel d’Angèle
Omniprésente depuis un an, Angèle sort enfin son premier album. Intitulé Brol, il pratique la légèreté pop, avec un sens du tube, certes, mais aussi une autodérision qui cache pas mal d’angoisses. Rencontre.
C’était il y a un peu moins d’un an. On rencontrait Angèle une première fois, dans les loges de Forest National. Plus excitée que vraiment stressée, la jeune femme devait monter quelques heures plus tard sur la mythique scène bruxelloise, en première partie de Damso. À l’époque, elle n’avait pas encore sorti le moindre morceau. Soit. Cela ne l’empêchait pas de faire déjà sensation. Couvertures de magazine, début de buzz à Paris et une première date de concert « officielle » à la Rotonde du Botanique, affichant rapidement sold out. Le décollage était amorcé. Depuis, la fusée Angèle a définitivement décollé. Ticket French pop du moment, on l’a vue partout ces derniers mois: en festivals (de Couleur Café à Rock Werchter), à la radio, à la télé (pour qu’elle puisse participer au plateau de la Fête de la musique, France 2 lui affrétera même un jet privé), sur les sites Web à fort taux de clics, ou sur les écrans publicitaires du métro, etc. C’est l’emballement, le vrai.
Pour rappel, Angèle Van Laeken, bientôt 23 ans (en décembre), est la fille de Laurence Bibot, la comédienne, et de Marka, le chanteur. Son frère, lui, est le rappeur Roméo Elvis… Aujourd’hui, elle chante, ironique: « Pour une fille drôle, t’es pas si laide/Tes parent et ton frère, ça aide. » On peut pourtant difficilement l’accuser de « népotisme »: au départ, c’est via Instagram que la rumeur s’est répandue. Sur son compte, ouvert en 2015, la jeune femme a commencé par y alterner extraits vidéo de piano-voix et touches d’humour décalé. Ses premiers posts sont toujours accessibles en ligne. Elle n’y affiche pas encore sa frange, mais annonce déjà le nom de son futur premier album –Brol– collé sur le dos de son ordinateur: elle ne le sait juste pas encore.
Porte-bonheur
Un premier single a déboulé en octobre 2017. Clippé par sa copine photographe Charlotte Abramow, La Loi de Murphy renvoie à la théorie de l’emmerdement maximal: quand tout ce qui est susceptible de foirer, foire en effet. Exemple concret, tout frais de la semaine dernière: alors que l’on attend Angèle, retardée par la manifestation des fonctionnaires (tuile n°1), un volatile en profite pour se soulager, redécorant le sac à dos (tuile n°2). « C’est vrai?, s’enthousiasme la chanteuse, enfin arrivée. Moi, j’ai déjà eu ça avec un caca de chien. En quatrième primaire. L’humiliation totale. On revenait de la bibliothèque. Je voulais faire une blague à une copine, en lui piquant son livre -déjà, mauvais karma. Donc je cours, et quelques mètres plus loin, je me viande, en tombant dans une énorme merde de chien. J’en avais partout! J’entends encore le « Hèèèèè, elle est pleine de caca » faire écho dans toute la rue. Horrible. Avec une moquerie d’autant plus féroce que je passais volontiers pour la petite fille parfaite, blonde, habillée tout le temps en rose: les gamins se délectaient. Ma mère a dû venir me chercher, elle-même osait à peine me toucher… Après, on dit que ce genre de choses porte bonheur. D’ailleurs, je le réalise aujourd’hui: je suis sûre que ma vie a basculé ce jour-là! » Un ange passe. On n’est pas loin de la croire…
Fut jaune, sweat gris siglé TheVie (la marque de Damso), Angèle est assise sur une banquette de l’Archiduc, célèbre bar jazz de Bruxelles. C’est là qu’elle a donné l’un de ses premiers concerts, début 2016. À l’époque, elle venait tout juste d’arrêter ses études de jazz à Anvers. Avec sa pote Sylvie Farr, ex-baby sitter/ex-cheffe scoute/future manager, elles s’étaient décidées à dénicher des petites dates. « Ce jour-là, la salle était blindée, le public était quasi assis sur le piano. Il y avait mes parents, ceux de Sylvie, mais aussi plein de personnes que je n’avais jamais vues. » Quelques mois plus tard, un deuxième concert est organisé au même endroit. Cette fois, les gens du métier sont aussi de la partie. Dont Nicolas Renard, manager du groupe Puggy. Il va bientôt rejoindre les deux jeunes femmes. « Il m’avait envoyé un message deux semaines avant. Mais je n’avais jamais répondu. J’imagine que j’avais un peu peur. Tout à coup, ça rendait le truc beaucoup plus sérieux. »
De fait. Entre-temps, le projet a pris une ampleur inédite. À La Loi de Murphy ont succédé Je veux tes yeux, La Thune, et plus récemment Jalousie: en tout, leurs vidéos cumulent quelque 23 millions de vues sur Youtube. Si Angèle a mis au point son propre label, elle bénéficie en outre de l’appui d’Initial, labo « jeunes talents » monté par Universal France -où l’on retrouve également Eddy de Pretto et Clara Luciani. Preuve, s’il en fallait encore, que l’affaire est devenue en effet très « sérieuse« . Du coup, si Angèle reste disponible et bavarde en interview, difficile de ne pas deviner une certaine lassitude: le résultat d’une promo qui ne s’est jamais vraiment arrêtée depuis un an, a fortiori ces dernières semaines. Une saine fatigue?, lui demande-t-on. « Une scène-fatigue?« , comprend-elle. Angèle en est là.
Au moins, elle ne doit pas cette fois expliquer la signification du titre de son album -comme c’est systématiquement le cas en France. Le brol, donc, manière d’appuyer ses racines bruxelloises. Une façon aussi de ne pas se prendre trop au sérieux. Ou encore une habile métaphore de sa musique, et de la pop en général: cette chose d’apparence un peu futile, foncièrement inutile, mais qu’on n’arrive jamais vraiment à jeter à la poubelle… « Oui, c’est vrai, il y a de ça. Ça me permet de rester dans ce truc d’autodérision. Puis ça s’applique bien aux thématiques que je peux aborder dans le disque. La jalousie, par exemple, qui tient une place de plus en plus grande dans la société avec l’influence des réseaux sociaux, est un sentiment complètement inutile. C’est vraiment un brol dont on aimerait se séparer. Mais en même temps, on peut aussi le voir comme une preuve d’amour, quelque chose qui pousse à rester attentif et à ne pas se reposer sur ses acquis. La Loi de Murphy , c’est un peu la même chose: se lamenter des petits tracas du quotidien veut surtout dire qu’on n’a pas vraiment de raisons valables de se plaindre. » (sourire)
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
On peut parfois douter de l’utilité d’un véritable album dans un format pop qui s’en passe aujourd’hui aisément. Dans le cas de Brol, l’exercice permet au minimum de nuancer l’image de l’intéressée. « C’est vrai qu’à un moment, j’ai eu peur d’être juste perçue comme un personnage jeune et mignon. » La lolita pop est avant tout bien de son époque. Démontant l’addiction aux réseaux sociaux dont elle est elle-même dépendante (La Thune, Victime des réseaux), dénonçant la tyrannie du bonheur (Tout oublier, avec son frère Roméo), ou glissant sur la question du genre (Ta reine). Pas question de transformer pour autant la bulle de savon pop en discours plus politique: même si elle appelait par exemple récemment à participer à une manifestation contre l’enfermement des enfants en centres fermés dans une story Instagram, Angèle ne se voit pas prendre position plus frontalement, par exemple contre la politique de Theo Francken. « Mais si mon frère montait au créneau par exemple (ce qu’il a fait récemment en traitant Francken de « crasse », NDLR) , je trouverais ça super, et je lui apporterais évidemment tout mon soutien. Je ne me vois juste pas le faire moi-même. »
Le tourbillon
Sur Balance ton quoi, Angèle fait encore profession de foi féministe. À cet égard, on note qu’après avoir collaboré avec Veence Hanao et Matthew Irons (Puggy) sur ses deux premiers singles, la jeune femme a pris tout le reste de l’album à son compte. Une manière d’insister sur le fait que c’est bien elle qui est aux commandes? « J’ai toujours revendiqué d’être auteure et compositrice. Mais ça m’ennuie de devoir me justifier. Chaque fois que je le fais, je m’en veux. Après tout, il y a un tas d’artistes qui se « contentent » d’être juste interprètes, et qui ont tout autant de talent et de mérite. »
Toujours sur le même morceau, elle chante: « J’ai vu que le rap est à la mode/Et qu’il marche mieux quand il est sale. » Qu’en a pensé son ami Damso? Elle sourit: « Dès que le morceau était terminé, je lui ai envoyé. Je voulais être « réglo ». Il sait tout le respect que j’ai pour lui. Mais il connaît aussi mon positionnement féministe. Les deux ne sont pas incompatibles. L’autre jour, je lui ai fait parvenir l’album. Il m’a donné un super retour, qui m’a beaucoup touchée. » Elle continue: « C’est quelqu’un qui m’a toujours demandé comment j’allais. Ce qui n’a pas toujours été le cas de tout le monde… Ça n’a pas toujours été facile de se retrouver en première partie de ses concerts. Je me rappelle d’une date à Rennes. La veille, j’avais joué au Botanique, devant une salle comble, avec mes parents, mes amis, etc. Quand j’ai rejoint Damso le lendemain, j’étais encore un peu sur mon nuage, mais aussi complètement crevée. À un moment, le régisseur est venu m’avertir qu’à cause d’un contretemps, j’allais devoir avancer mon soundcheck. C’était une bêtise, une contrainte absurde, mais j’ai fondu en larmes. Après, ils sont tous venus me voir, Damso et son équipe, pour me rassurer, me dire que je n’étais pas obligée de monter sur scène si je ne le sentais pas. » (rires)
L’anecdote n’en dit pas seulement long sur le rappeur dont les textes « nwaar » et souvent vulgaires ont pu braquer certaines féministes. Elle illustre aussi bien l’accélération de carrière qu’a vécue Angèle, et la pression que cela peut générer. « Pour l’avoir lui-même vécu, Damso m’a donné pas mal de conseils. J’en parle aussi beaucoup à mes parents. J’ai d’ailleurs pris la décision de davantage les impliquer. Récemment, mon père nous a envoyés un mail avec le lien vidéo du Hep Taxi! avec Stromae. Il écrivait: « Regardez, c’est important. Voilà quelqu’un qui a l’air très vrai, très sûr de lui, très sain d’esprit, alors que sa carrière a pu lui faire du mal. « C’était une façon de dire, à mon frère et moi, que l’on devait prendre soin de nous. »
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Comment gère-t-on l’emballement pop à une époque où Internet démultiplie chaque annonce, créant des phénomènes avant même que ceux-ci n’aient toujours eu le temps de vraiment mûrir? Entre les lignes, Brol ne cesse de se poser la question. La notoriété et le succès sont des rouleaux compresseurs. Dans le cas d’Angèle, ils sont d’autant plus perturbants qu’ils n’ont longtemps pas reposé sur grand-chose. « Tout le monde te trouve géniale/Alors que t’as rien fait/Tout est devenu flou/Un peu trop fou pour moi« , glisse-t-elle en toute fin d’album (Flou). « Je ne me suis jamais vraiment sentie légitime. Bon, aujourd’hui un peu plus, parce que je travaille beaucoup. Mais comme plein de gens! » Comment aussi préserver une certaine spontanéité – » qui est, je pense, ce que les gens apprécient chez moi« – quand on est désormais au centre de l’attention? Paraphrasant -inconsciemment?- son idole avouée, Hélène Ségara, Angèle explique: « J’ai un peu perdu mes repères à partir du moment où j’ai pu avoir l’impression que, par rapport à ma petite personne, il y avait trop de gens qui m’aimaient. Alors qu’en fait, ils appréciaient ma musique, ce qu’ils voyaient quand j’étais sur scène, la personne en représentation. » D’où la nécessité, pour continuer à rester « honnête », de bien séparer les choses. Dans le cas d’Angèle, cela commence par exemple par prendre distance avec Instagram, l’appréhender autrement. « Clairement! Au début, c’était très pratique. Mais il a fallu un peu évoluer. » Elle prend son téléphone et finit par avouer. « En fait, je l’ai carrément supprimé… » On ne la croit pas. « Si, si, je le jure! Sinon, ça devient vraiment une drogue. Personne ne se rend compte du nombre d’infos que je reçois. C’est trop compliqué à gérer. Puis, Instagram est quand même un endroit très narcissique, vous n’apprenez pas grand-chose sur le monde… Le compte existe évidemment toujours. Mais on le gère depuis le téléphone de Sylvie. C’est devenu un outil de travail… »
Une question de bon sens? À peine reparti de l’interview, l’annonce tombe: après deux AB sold out en novembre, une nouvelle date bruxelloise est annoncée à Forest National, en mai prochain, cette fois en vedette principale. Angèle, idole pop, c’est maintenant…
Angèle, Brol, distr. Universal. ***
En concert les 26 et 27/11, à Bruxelles (AB), le 29/11, à Liège (Caserne Fonck), le 25/05, à Forest National…
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici