Le cas Burgalat

"Un disque sert à dire ce que l'on éprouve sans être imprécateur, accusateur ou narquois." © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le nouveau Bertrand Burgalat, Les choses qu’on ne peut dire à personne, est une réflexion mélancolique face aux échéances. Où la chanson sert aussi de puzzle philo à nos vies terriennes.

Costume bleu électrique -« un cadeau de ma femme« – lunettes larges, sourire peu économe, Bertrand Burgalat aura 54 ans le 19 juillet. On le croise depuis un bout de temps avec le même constat: quelles que soient les sensations évoquées par sa musique depuis le premier album perso en 1999 (The Genius of Bertrand Burgalat), ce fils de haut fonctionnaire est un conversationniste remarquable. Courtois et éduqué, comme si ce profil établi sans ironie aidait à crypter une démarche musicale hybride, composite, voire trouble. Démarche qui l’a entre autres vu signer, à la tête de son label indépendant parisien Tricatel, le loustic Michel Houellebecq et l’accompagner dans une épique tournée n’oubliant pas les troisièmes mi-temps borgnes, et produire pour d’autres des disques sans cesse atypiques. Un vendredi bruxellois, on commence par la question de la mélancolie: « Auparavant, j’ai sans doute fait des disques beaucoup plus noirs mais enrobés dans quelque chose de plus solaire, et je trouve ce malentendu intéressant parce qu’un disque doit fonctionner sans mode d’emploi unilatéral. Chacun peut l’appréhender de façon très différente. » D’autant qu’ici, les textes de Burgalat -3 sur 19- rejoignent l’écriture d’auteurs invités, comme la jeune et douée Blandine Rinkel, dans un flirt prolongé avec la fin des certitudes. « Je crois qu’un disque doit justement permettre de dire ce qui ne l’est pas autrement, d’où le titre, Les choses qu’on ne peut dire à personne. Un disque sert à dire ce que l’on éprouve sans être imprécateur, accusateur ou narquois. »

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Parler de Burgalat passe autant par la température globale de son pays, la France, que par le vague à l’âme intime. Quand BB décrypte les récentes élections françaises, il dit justement: « Personne ne croit plus en un homme ou une femme providentiel(le), ce qui est bien parce que ça devrait rendre moins manichéen ». Il souligne la violence des débats politiques, mine de rien, possiblement cousine de la sienne: chez lui, l’ingrédient est d’autant plus rentré que le nouvel album -comme les autres- drague et caresse les sonorités filandreuses, sort volontiers les violons pour mieux les assassiner. « Oui, j’ai en moi une violence qui traduit la cruauté du monde, celle assez totalitaire de la communication, des réseaux. Je le fais tout en restant un peu vague, peut-être en la poétisant comme dans L’Enfant sur la banquette arrière, qui parle des vies par procuration. Si j’ai toujours fonctionné par dédales, il n’y a rien à déchiffrer: on peut passer mon disque dans l’autre sens, il n’y a pas de Vive Satan (sourire) ». N’empêche que Burgalat, chanteur cosmique, poursuit d’infinies étoiles. Celles du cinéma aussi, qu’il cite via Marianne de ma jeunesse de Duvivier ou L’Acrobate de Jean-Daniel Pollet, pas exactement vos blockbusters favoris mais là encore, de la matière grise allurée dont on fait ce que l’on veut. Tout cela conjugué par exemple à l’amour des Kinks « et une chanson telle que Waterloo Sunset, du réalisme fantastique qui a infusé en moi ». Toujours un peu le cul entre deux chaises, celle d’une pop cultivée et d’une variété digne -ceci n’est pas un oxymore- qui habiterait les ondes radio bien connues de BB, qui a d’ailleurs mené un moment son propre programme sur France Inter. Au titre révélateur: Face B. « Je suis un outsider mais je bénéficie d’une attention avec de vraies chroniques où les gens écoutent mes disques et où j’en apprends même sur moi-même. » Il y a d’autant plus de raisons de le faire que les 19 chansons nouvelles sont pour un tiers, voire une moitié, des tubes radiophoniques en puissance, même si BB n’a pas forcément l’armada promo qui pousse à la consommation: « Je ne crois pas qu’il n’y ait que la force de frappe industrielle dans le fait d’imposer un succès à une chanson parce que le grand public n’écoute pas un disque pour une question de snobisme ou de statut social! Les gens qui achètent les disques de Renaud ne le font pas pour frimer. Je n’ai jamais eu ce don pour parler directement au coeur des masses mais je crois que la seule façon d’éventuellement y arriver un jour, c’est d’être d’une sincérité totale. »

Comas

BB l’est dans Diabétiquement vôtre, livre sorti en 2015 sous sa signature, à la fois enquête/reportage sur cette maladie qui tue, et carnet de bord de l’ennemi intime découvert à l’âge de onze ans, en 1975. Au départ, il s’agit d’une carte blanche dans Libération où Burgalat stigmatise le cynisme d’une certaine industrie pharmaceutique, mais un éditeur le pousse à aller plus loin. « Je suis insulinodépendant, j’ai fait plein de comas et j’ai donc aussi raconté mon expérience. Celle d’un malade irrégulier alors que l’on présente la chose avec des traitements formidables, alors que le type 1 dont je souffre -comme un acteur français très connu qui ne veut pas le dire- reste une maladie honteuse. Le diabète coûte trop cher et les industries font des bénéfices immenses sur ce médicament qui n’est pas disponible dans les pays pauvres où les diabétiques meurent et tout le monde s’en fout. » Sans freudiser l’expérience de vie de BB, ce livre paraît aussi comme un trampoline de colère froide qui donne sa chair chaude au nouvel album: « L’avantage d’être plutôt dans un succès d’estime, c’est d’être viscéral, de faire des choses dont on est fier ». Tu peux l’être, Bertrand.

Bertrand Burgalat – « Les choses qu’on ne peut dire à personne »

Distribué par Tricatel. ****

Le cas Burgalat

Six instrumentaux plus treize chansons avec ce constat immédiat: au-delà des moments de grâce funambule sans paroles (Crescendo, Tombeau pour David Bowie), on sent bien que le spleen comme son double jouissif -union constante chez BB- traquent les profondeurs. Grâce à la qualité supérieure des arrangements, signés Burgalat, et à celle de l’écriture, parfois impressionnante de concision (Tour des Lilas) ou alors jouant de références décalées pour guider l’émotion (Ultradevotion). Etablissant au final une carte des sentiments orchestrée en réussites manifestes (Musées et cimetières, 36 minutes, Un ami viendra ce soir) et l’envie de réécouter ce disque qui pourrait bien être le Sgt. Pepper’s de Monsieur Burgalat.

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