Le bruit du train à l’arrêt et autres musiques pour drogués

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

SORTIE DE ROUTE | Il a chanté et dansé tout l’été. La rentrée marque le retour de son éthos ronchon pour Serge Coosemans, notre reporter du service de nuit. La troisième saison de Sortie de Route est lancée. S03E01.

Ce dimanche 8 septembre 2013, vers 17 heures au Parc Royal, on est quelques-uns à avoir pris le Piknik Elektronik comme alibi pour se revoir après s’être un peu perdus de vue durant l’été. Ca papote de tout et de rien, principalement de ces deux mois plutôt mirifiques que nous venons de traverser, vacances particulièrement festives; du genre à faire aimer Bruxelles, sa sérénité, sa douceur de vivre sous le soleil et son aptitude olympique à lever le coude même par les bobos namurois et les militants NVA les plus provincialistes. Dans l’air, autour de nous, malgré cette détente du string, flotte pourtant comme un petit fumet de lassitude. Blues du dimanche après-midi? Nostalgie des vacances? Stress de la rentrée? Pas vraiment. Il se fait que même si l’on se trouve au milieu d’une foule qui se la joue à la barcelo-berlinoise -hipsters, pédés, freaks, branchés-, qu’il fait beau et cool et que ça danse sur une house-music ni bonne ni franchement mauvaise, c’est un sentiment désabusé qui domine.

C’était sans doute mieux avant, vers 15 heures, quand certains n’avaient toujours ni dormi, ni cuvé, en mode décadent. C’était sans doute mieux après, vers 20 heures, quand d’autres allaient passer du cidre de leurs brunchs dominicaux à d’autres formes d’excitants et opter pour des modes de sociabilité nettement plus canailles. Mais là, à 17 heures, il y a ce ventre mou, ce flottement, qui s’éternisent. Les gens dansent et parlent mécaniquement sur une musique sans saveur particulière, un flux qui ne semble avoir ni début, ni fin. Un rythme cotonneux et constant qui fait à la fois anticiper et rendre nostalgique d’une excitation et d’une magie en l’occurrence absentes. Perdure l’attente d’un climax qui ne viendra pas, alimentée par une musique linéaire et générique, aux disques et aux artistes interchangeables. « Le bruit du train à l’arrêt », quelque-chose pouvant être à la fois très anxiogène mais aussi paradoxalement très rassurant. C’est exactement là que house et techno gagnent leurs galons de musique pour drogués. Parce que ce n’est pas la musique qui change, c’est la perception qu’en ont les gens sous substances et c’est pourquoi certains se mettent soudainement à bondir et à hurler comme des babouins. Leurs récepteurs de sérotonine viennent de se prendre un bon gros rush narcotique. Aux oreilles sobres, il ne s’est par contre absolument rien passé. Ni musicalement, ni artistiquement.

C’est en fait tout le drame de la scène tech-house bruxelloise qui se résume là sous nos yeux et à nos oreilles. Elle se gargarise d’une belle vitalité, malgré son papier-peint sonore. Elle se vante culture alternative alors qu’il n’y a pas plus conformiste. Les organisateurs sont toutefois moins critiquables que leur public, qui ferait passer une belote dans un parc au son d’une face B de Pantha du Prince pour un nouveau summer of love. Culture Instagram, personal branling Facebook où, par exemple, une soirée sur une petite terrasse au roofing dégommé décorée de 4 pauvres palmiers prend des allures de W Hotel durant le Sonar par la magie du manque de mesure, de l’absence d’esprit critique, de la frime fastoche. Les autres éléments à charge sont eux aussi bien connus: période socio-culturelle sans vraie folie, formatages, producteurs tout simplement incapables de gérer un programme de son au-delà des presets les plus basiques, DJ’s au spectre musical étroit (comme le déplorait Olivier Gosseries dans notre podcast d’été), qui entretiennent par ailleurs un véritable rapport de fonctionnaire au métier; refusant les horaires trop zygotos, les allnighters à l’ancienne, tout simplement, la prise de risque. Une propagande bien huilée et souvent sous influence nous bassine donc le contraire, mais en vérité, cela ne va pas si bien que ça du côté de la scène tech-house qui n’en finit pas de se mordre la queue, qui persiste à se prétendre à la pointe tandis que sa représentation musicale sonne de plus en plus comme la bande son de publicités pour terrains de karting.

Dimanche, on m’a présenté deux solutions à cela. Un deejay à la quarantaine bien tapée m’a vanté l’éclectisme de soirées plus sauvages, plus jeunes, celles d’une génération qui considère aujourd’hui la minimale et ses suiveurs comme nous considérions dans notre jeunesse Dire Straits et les scrogneugneux de la hi-fi à écouter avec un cigare et un Cognac dans le confort d’un salon en alcantara véritable. L’autre solution, c’est l’option terroriste: passer un slow au milieu de cette soupe à 123BPM. Joe Dassin. L’été indien, Il était une fois nous deux, Et si tu n’existais pas. Voilà qui serait terriblement décalé, décadent, osé, borderline. Qui offrirait le frisson, l’hilarité, la transgression. Cette saison comme les deux précédentes, Sortie de Route continuera à balancer entre ces deux options: le bon plan et la pignolade. Où tu voudras quand tu voudras.

(with a little help from my friends: LG, ST et VL. Special poutous to ER pour l’idée générale et la relecture)

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