LaSemo J2: prendre du beau temps

Gaëtan Streel. © Chloé Glad
Stagiaire Le Vif

Le Grand Jojo, Gaëtan Streel, et Barcella ont, chacun à leur manière, joué avec le flot du temps ce samedi, laissant derrière eux des souvenirs forcément impérissables.

Il fait un de ces cagnards, au Parc d’Enghien. Le soleil brûle la plaine, crâme les peaux des mâles au torse découvert, picote les petons nus sur l’herbe, et fait suer le fou furieux Barcella occupé à ébranler la grande scène de son verbe brillant, mi-rappé, mi-chanté. Le concert a démarré depuis une dizaine de minutes, Mathieu de son prénom est debout sur une chaise. Il se dandine, fait résonner sa voix claire sur un piano enveloppant. Le public est chaud comme la braise. Pourtant, le Français réussit à faire encore grimper la température un peu plus à chaque morceau. « Calme toi, calme toi! », lui conseille-t-il de son air taquin avant de repartir dans une ahurissante logorrhée sur Mixtape. « Je suis amoureuse! », piaille une jolie blonde devant nous. C’est vrai qu’il est terriblement doué, le lascar. Non seulement sa plume est virtuose (Salope, Les monstres), mais en plus il réussit à conquérir la foule en un temps record grâce à son bagou unique. Le voilà qui s’invite dans les rangs des spectateurs, toujours perché sur sa chaise. Un spontané « Il n’y a pas une bière ici? » finit de le lier définitivement à son public. Il l’avale goulûment à la gloire de LaSemo, rend gentiment le gobelet réutilisable à son propriétaire, et part sans aucun complexe en crowd-surfing, direction la scène. Autour de nous, tout le monde sourit bêtement. « Je crois que je suis amoureux aussi « , confie l’ami de la blonde de tout à l’heure, tandis que le concert se termine déjà (ça fait une heure là?). Bref, cette année encore, Barcella a foutu le feu en un éclair.

On a encore la tête étourdie par ses rythmes quand le Grand Jojo monte sur la même scène, deux heures plus tard. Violent changement de registre. L’accordéon arc-en-ciel et les grandes initiales « GJ » jaunes imprimées partout ont remplacé l’homme à chapeau qui berçait un peu plus tôt la Clairière de sa poésie nerveuse. De la chanson à texte, on passe à la chanson d’ambiance. On est à la fête de village annuelle, au mariage kitsch d’une cousine éloignée de Lorraine. Et pourtant, les festivaliers sont, là encore, survoltés. De furieux applaudissements retentissent dès les premières notes de Jules César. Le Grand Jojo nous fait ses classiques et indémodables Chef, un petit verre on a soif, Vive les Saints, et Mexico. On finit sérieusement par croire à un bug dans la Matrice quand pour la onzième fois une queue leu leu nous passe sous le nez. Alors, par prudence, on s’éloigne, et on laisse les spectateurs à leur transe d’une autre époque.

Dernier concert auquel nous assistons, celui de Gaëtan Streel. Au début, on n’est pas vraiment convaincus par ses sonorités lentes, presque fainéantes, lourdement marquées par les coups de la batterie-métronome. Et puis, on se cale sur son registre, on comprend la nonchalance de ses musicos, le calme de sa voix. Il a réussi son pari: il a créé une atmosphère. Quand la guitare s’éteint, on applaudit doucement, de peur d’abîmer la magie de l’instant. Un type hurle malgré tout un « Gaëtan, on t’aime » -il lui dédicace sa prochaine chanson, toujours flegmatique. Il a gardé I’m gonna get through fall, la plus connue (et la plus énergique) pour la fin, pour le plus grand plaisir des demoiselles hystériques qui squattent le devant de la scène. Mais avant, Gaëtan ferme les yeux, entonne Cadavre Exquis, perce l’air de « oooh » et de « aaah » aïgus. Il est ailleurs. Par moments, il semble avoir quitté notre dimension. On le suit volontiers.

C.G.

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