La Smala et L’Or du commun, la nouvelle génération du rap belge décomplexé

La Smala 2015 © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Signés désormais sur une major, les Bruxellois de La Smala viennent de sortir leur 2e album. Avec leur hip hop à la fois crédible et accessible, ils symbolisent une nouvelle génération de rappeurs belges décomplexés, bien décidés à casser les codes.

Le second rendez-vous est le bon. Quelques jours plus tôt, une première tentative avait échoué: F.L.O. et Senamo, un tiers de la Smala, n’étaient jamais arrivés. Ce qu’on appelle poser un lapin. Toujours bon pour la street credibility, ça… Les deux rappeurs se marrent. « Non, désolé, c’était juste un souci de communication. La street cred, tous ces trucs-là, sincèrement, tout le monde s’en fout aujourd’hui. » Depuis le temps qu’ils sont actifs sur la scène rap belge, bruxelloise en particulier, les gars de la Smala n’ont en effet plus besoin de leur diplôme de rue pour prouver quoi que ce soit: difficile de leur contester l’amour du job, de la punchline, du flow qui tape juste. Puis, il en faut aussi, de l’acharnement et de l’entêtement, pour faire du rap en noir-jaune-rouge dans le texte. Refrain connu: alors que le rap made in France bouleversait l’industrie musicale (devenant même la deuxième scène au monde, après les Etats-Unis), le hip hop belge, de son côté, a toujours peiné à se faire entendre, quasi invisible médiatiquement.

La situation est cependant en train de peut-être changer. Cela fait quelques années maintenant qu’une série de formations pointent le bout du nez en Belgique. Elles s’activent en coulisses, accumulent les likes sur Facebook et les écoutes sur YouTube, se retrouvent à jouer dans des festivals comme Dour ou les Ardentes. Parmi elles, la Smala. Pour certains, le crew bruxellois est même le principal porte-flambeau de cette nouvelle « promotion ». En ce printemps 2015, c’est plus vrai que jamais. Après avoir sorti l’an dernier un premier huit titres intitulé Un murmure dans le vent, la Smala livre aujourd’hui une suite baptisée Un cri dans le silence. Petite différence: cette fois, c’est une major qui distribue l’album. Sony a mis la main sur les Bruxellois. Depuis combien de temps une multinationale n’avait plus signé d’artistes belges francophones? Rap de surcroît? Hormis le cas particulier Stromae, il faut probablement remonter à James Deano, ou plus loin encore, à Starflam, au début des années 2000.

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Le moment est d’ailleurs symbolique. A l’heure où le groupe liégeois se reforme, une nouvelle génération monte au créneau, avec laquelle il partage au moins une chose: la volonté de combiner un rap crédible, authentique, et une certaine ouverture. La Smala en est un parfait exemple. Son histoire débute en 2007, avec la réunion de deux premiers groupes (L’Exutoire et… Nouvelle Génération). Il y a Senamo, F.L.O., Seyte, Rizla, Shawn-H, rejoints plus tard par DJ X-Men. Ils viennent tous de Bruxelles, dispersés entre Jette, Uccle et Forest. Senamo: « Bruxelles, c’est petit. Surtout quand tu fais du rap. Quand on avait 15, 16 ans, il y avait très peu de gens autour de nous qui étaient là-dedans. » F.L.O.: « Le hip hop était très mal considéré. C’était vu comme un milieu de racailles, alors qu’au final, ça reste une culture musicale comme une autre. » Dans le groupe, chacun connaît ses classiques, français surtout: NTM, Iam, les Sages poètes de la rue, la Fonky Family… Tout en écoutant aussi du son belge. Senamo: « Ultimate Team, James Deano… Des types qui montraient qu’il y avait moyen de faire du rap en Belgique. Cela nous a confortés. » La suite se passe sur le Net. A partir de 2009, la Smala y balance, forcément gratuitement, au moins trois mixtapes, puis enchaîne avec un disque solo pour chacun des membres. Le boulot finit par payer. Le nom circule, les vidéos diffusées sur YouTube accumulent les clics… « Les gens peuvent se reconnaître dans ce qu’on rappe. On parle d’ici, de ce qu’on vit. » C’est une explication. Ce n’est pas la seule.

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Old school is the new school

Derrière la Smala, ça se bouscule en effet. Il suffit de se pencher: Jean Jass et Exodarap, Caballero, Sixo, Romeo Elvis, Tonino, Ligne 81… Récemment, c’est l’Or du commun qui a dégainé avec son nouveau projet, un douze titres intitulé L’Odyssée, disponible en téléchargement libre. Groupe relativement récent, basé à Bruxelles, côté sud, il avait déjà sorti L’Origine à l’automne 2013. Là aussi, la musique et l’engouement qu’elle avait créé avaient réussi à titiller une major. « Mais ça ne s’est pas concrétisé. On s’est trop mis la pression, on avait l’impression de devoir endosser une responsabilité pour tout le mouvement. Ça nous a bloqués. » C’est Robin (alias Loxley), qui parle, l’un des quatre rappeurs du crew ixellois. Aussi jeunes soient-ils, l’une des caractéristiques du collectif est de cultiver un son hip hop nineties typique. Ils ne sont pas les seuls, loin de là. C’est même une dominante de cette nouvelle vague. Siméon, sorte de Mos Def jeune, mieux connu sous le nom de Swing: « Ma grande soeur écoutait MC Solaar, mais ça m’intéressait pas vraiment. C’est plus tard, vers mes 16 ans, que je suis tombé dans le rap ‘ricain’. Plutôt old school d’ailleurs, genre Lord of the Underground, A Tribe Called Quest… Pas mal de nos potes sont aussi là-dedans en fait. » Loxley: « Entre 2000 et 2010, en Europe en tout cas, le rap a commencé à un peu tourner en rond. C’est devenu assez plat. » Swing continue: « Au bout d’un moment, les gens ont été un peu gavés de cette musique, souvent trop formatée, et peu musicale au final. Ils sont retournés à un groove plus organique. » Vingt ans après le Western moderne de Claude MC, l’Or du Commun rappe ainsi Les Daltons et confie l’artwork de L’Odyssée à Sozyone, membre de De Puta Madre (la référence Une ball dans la tête, en 1995)…

Si l’Or du commun et la Smala viennent tous les deux de la capitale, la nouvelle scène rap est loin de se résumer aux groupes bruxellois. Les deux formations partagent d’ailleurs une même association avec Back in the dayz, structure de management et de booking, basée à Gilly. Max Meli en est l’une des deux têtes pensantes, avec Anthony Consiglio: « On est fan de hip hop depuis le début. On organisait depuis un moment des soirées (F*ckin’ Beat, ndlr). C’est en 2009 qu’on a fini par se lancer aussi dans l’organisation de concerts. Le Botanique venait d’annuler Orelsan (suite à la polémique autour du titre Sale Pute, ndlr). On a repris la date. C’était notre grande première. »

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Toujours du côté de Charleroi, cela fait une dizaine d’années que le collectif Exodarap (paradoxe en verlan) s’active. Jean Jass en fait notamment partie. En novembre dernier, le rappeur/producteur de 26 ans sortait l’excellent Goldman, chaînon manquant entre le rap jazzy nineties et celui plus décalé d’un Veence Hanao. Le Carolo confirme l’émulation ambiante. Tout comme l’ouverture d’un milieu qui a trop longtemps vécu en vase clos. « Jusque récemment, le rap restait encore trop coincé dans des codes. Tout le côté caillera, par exemple, ne m’intéresse pas du tout. J’écoute évidemment des trucs comme Gradur ou Kaaris. Mais quand tu lis leurs interviews, ils sont les premiers à dire que ce n’est qu’une imagerie. Les vrais gangsters n’apparaissent pas dans les clips. » Il y a donc une vie à côté de Booba et consorts. Le hip hop serait même en train de muter. « Cela fait trois, quatre ans que les choses se sont accélérées. Des barrières sont tombées. C’est normal: le rap vieillit. Tout le monde en écoute. Vous pouvez avoir des rappeurs de 15 ans et d’autres qui en ont 45. Ce n’est plus un truc de niche, une musique limitée aux « quartiers ». » Le rap n’est plus un ghetto. C’est la bonne nouvelle du jour.

Cela n’est pas neuf évidemment. A sa manière, Orelsan a ouvert une brèche -en venant non pas d’une cité du 9-3 ou d’un quartier chaud de Marseille, mais d’Alençon, Basse-Normandie. Loxley de l’Or du commun continue: « Dès 2010, en France, il y a eu une vague de groupes comme l’Entourage, 1995… Tout à coup, les Blancs avaient le droit de rapper. » Du côté de la Smala, Senamo explique encore: « Le rap peut être repris par la classe moyenne. C’est assez récent, cela fait peut-être cinq, six ans. Aujourd’hui, tu peux écouter du hip hop, sans forcément venir d’un quartier difficile. On ne va plus te regarder de travers… »

New deal

En fait, le vrai virage a lieu avec le Net. D’abord parce qu’il permet aux groupes de se passer des labels, et des circuits médiatiques classiques -et des formats qui vont avec… F.L.O, par exemple, de la Smala: « Même sans disque, si votre vidéo circule bien sur YouTube, vous pouvez vous en servir comme argument pour trouver des dates de concerts. » Via le Net, les échanges se multiplient également: sur les douze morceaux de L’Odyssée de l’Or du commun, deux seulement ont été produits par des beatmakers belges, les autres ayant été piochés chez des producteurs français et suisses. Via le Web, surtout, le rap a pu ouvrir les fenêtres et se désenclaver. Le son nineties que l’on retrouve dans pas mal de formations a d’ailleurs moins à voir avec la nostalgie d’une époque -que les rappeurs actuels n’ont pas pu vraiment connaître- qu’avec l’une des nombreuses pistes explorables sur le Net. Senamo: « Tu viens de la campagne, tu fais de la bonne musique, t’as des bonnes prods, tu fais une chouette vidéo, vas-y, fonce. Si t’as quelque chose à dire, que tu parles bien des vaches, que tu parles bien de la ferme, des gens vont écouter. Le rap est nettement moins fermé qu’avant. » F.L.O: « Grâce au Net, on se retrouve à regarder des vidéos de MC’s japonais, des rappeurs québécois… Il y a quelques années, on n’aurait jamais pu tomber là-dessus. »

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C’est le côté libre et décomplexé de la génération des millenials. Les digital natives circulent d’un hyperlien à l’autre, fouinant au hasard, et se perdant dans les arcanes du Web (pour mieux se trouver). Quitte à mélanger des genres qui se tenaient jusqu’ici à distance l’un de l’autre. Exemple avec l’Or du commun, né dans le sillage de la Brique, groupe de potes formé en asbl, qui, à côté des rappeurs, prévoit de produire aussi un groupe de rock (les Sunday Charmers)… Jean Jass d’Exodarap: « Le public est beaucoup plus mélangé. Des mecs qui écoutent Jaco Pastorius (bassiste jazz américain culte, ndlr) à longueur de journée viennent me voir après le concert pour me dire qu’ils ont kiffé. » Loxley renchérit: « Quand les gars de la génération Starflam t’expliquent les concerts hip hop à ce moment-là, l’ambiance était complètement différente. Aujourd’hui, par exemple, il y a des filles. A l’époque, il y en avait peut-être une. Et c’était toujours la même… »

Par le passé, le milieu hip hop belge a en effet souvent ressemblé à un vrai panier de crabes. Aujourd’hui, la situation semble s’être complètement apaisée. Jean Jass: « C’est vrai. Il y a toujours une sorte de compétition, mais elle est plutôt saine. Elle n’empêche pas une vraie convivialité. » La preuve par exemple avec le projet A Notre Tour. Un supergroupe dans lequel on retrouve la Smala, Exodarap, Caballero, les Bruxellois de JCR et le Français Lomepal. Peace, Love, Unity, en quelque sorte. Et surtout having fun…

LA SMALA, UN CRI DANS LE SILENCE. *** – EN CONCERT E.A. LE 22/05 À L’EDEN DE CHARLEROI, LE 05/07 À COULEUR CAFÉ, LE 09/07 AUX ARDENTES…

L’OR DU COMMUN, L’ODYSSÉE. *** – EN CONCERT E.A. LE 13/05 AUX NUITS BOTANIQUE À BRUXELLES, EN JUILLET AUX ARDENTES…

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