Serge Coosemans

La question du bar idéal et le débat sur la mixité sociale

Serge Coosemans Chroniqueur

Entre flagrant délit de personal branling et invitation à réfléchir à notre rapport aux bars bruxellois, Serge Coosemans nous raconte la prolongation en radio d’un débat initié au sein même de cette rubrique. Sortie de Route, SO3E10.

Qui a re-peur de la grande mixité sociale ? L’autre soir, j’ai été invité sur Radio Panik afin de participer à une émission qui avait pour sujet les bars bruxellois. Ce fut l’occasion de répéter quelques petites choses déjà écrites ici : non, je ne pense pas que ce soit le premier rôle des bistrots de générer de la mixité sociale. Oui, je pense que certaines personnes ont tendance à un peu trop idéaliser les cafés dits populaires et oui, je pense que les bars dits branchés cristallisent des fantasmes et des critiques qui ne résistent pas forcément à une analyse moins passionnée, moins socio-politique, moins partisane. Je crois à la gentrification, je crois à la spéculation, mais je ne crois pas à la systématisation du danger que feraient peser les fantasmes de rénovations sur les cafés de proximité et le tissu social « fragilisé » qu’ils abritent. Ce scénario tient même carrément pour moi du cliché western où le pionnier défend sa terre à la Winchester face à l’élargissement du Cheval de Fer.

Il est certes évident que certains entrepreneurs et représentants des pouvoirs publics rêvent d’une ville plus clean, plus bobo et chipotent pas mal pour y arriver. D’autres gardent la vue courte, zéro idées et un art consommé du cafouillage, c’est tout aussi indéniable. C’est pourquoi je reste toujours étonné que certains détracteurs, je pense un peu trop obnubilés par l’idée de la lutte des classes, continuent de maintenir qu’en matière d’urbanisme et d’affectation commerciale, il existe des plans précis, un drill systématique et un système performant destinés à cacher le pauvre sous le tapis. Parce que l’amateurisme, le manque de vision, l’absence de coordination et le cafouillage sont à Bruxelles généralement plus décriés que l’efficacité procédurière. Ca naviguerait en fait plutôt à vue, au cas par cas, souvent même sans concertation entre les différents services.

On me sort souvent cet exemple des petits bistrots de quartiers qui ont dû payer des amendes faramineuses pour avoir placé par beau temps une table et trois chaises sur le trottoir alors que chaque jeudi, Place de Luxembourg, la STIB détourne ses bus pour ne pas ennuyer les eurocrates en goguette. Ce serait la preuve ultime du favoritisme envers les rupins. La piste est exploitable, Docteur Watson, au moins tout autant que la théorie du rouston qui ballotte sans toucher l’autre, de l’idée imposée par l’un sans même que l’autre ne soit au courant pour au final tous les deux se retrouver critiqués pour quelque chose à laquelle leur cerveau en phase béta n’a tout simplement même pas pensé. Personnellement, j’ai effectivement vraiment du mal à croire que tout serait à Bruxelles pensé pour cacher le populaire, zapper le pauvre et accueillir le branché à bras ouverts. Les branchés, déjà, ce n’est pas toujours riche. Ca galère de trop de taxes, il y a plus d’endroits qui ferment ou remettent qu’il n’en ouvre. Il suffit sinon de se promener Boulevard Anspach, artère jadis à moitié prestigieuse aujourd’hui place to be du gobeur de kebabs et du night-shop à la chaîne du froid pas trop fiable pour deviner le manque de vision, le pédalage olympique sur nappe de choucroute, voire même le chaos total, qui doit régner au sein des services prenant les décisions d’affectations commerciales bruxelloises. Oui, j’ai davantage cette vision du générateur de couillonnades que celle d’une machinerie implacable uniquement destinée à flatter le rupin. J’ai peut-être tort. Mais, après tout, à chacun son image d’Epinal.

Le bar idéal. S’est sinon posée tout à la fin de cette émission sur Radio Panik, une question a priori anecdotique mais en fait assez essentielle : à quoi ressemblerait, selon chacun des participants présents, le bar idéal ? Personnellement, il me faudrait trois points de chute. En journée, un café tranquille où travailler, écrire, communiquer, avec donc wifi, ambiance chill, musique pas trop forte et presse internationale à disposition. Pour le soir, j’aimerais un bar musical à l’identité forte, comme il en existe pour le jazz et le rock muséal (Muséal, oui : DNA, Rock Classic, Excelsior défendent tous le rock d’il y a 30 ou 40 ans). Je trouve en effet qu’à Bruxelles, trop de bars utilisent la même tournante de deejays, qui y jouent tous une sélection souvent éclectique. Il manque un bar où l’on pourrait être sûr de se coltiner une nuit entière de rock arty ou de techno plus Aphex Twin que dancefloor. Enfin, j’ai besoin d’un point de chute totalement déglingosse, un endroit de perdition où l’on s’achève complètement à la vodka, à l’absinthe, et plus si affinités, à 8, 9, voire 11 heures du matin (celui-là existe déjà!). Ce n’est là que mon avis et il n’était pas le même que celui des 6 autres personnes présentes en studio. C’est là une riche diversité, je pense, et ces idéaux sont tous aussi honorables les uns que les autres. Des bars techno, des bars à la bière pas chère, des bars un peu bobo, d’autres davantage prolos, des bars avec de vieilles poétesses qui vous tiennent la jambe. Au moins 50 nuances de gris entre le populaire et le branché, donc, et c’est bien ça le plus important : ne pas polariser, ne pas catégoriser, sortir des clichés, chercher la diversité. Peu importe le plafond, pourvu qu’on ait l’ivresse.

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