La mélancolie amoureuse selon Rhye

Mike Milosh, seul aux commandes du projet Rhye. © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Toujours aussi raffiné et élégant, Rhye sort son deuxième album, intitulé Blood. Où la mélancolie amoureuse prend les contours d’une slow pop en apesanteur…

C’était il y a cinq ans. Autant dire une éternité. En 2013, Rhye sortait un premier album, Woman, qu’on n’a pas oublié. Non qu’il ait chamboulé de fond en comble le monde de la musique, loin de là. Son pouvoir de persuasion fut plus subtil, plus insidieux. Sous son glacis pop et son décor zen, façon catalogue Ikea, la musique dévoilait un r’n’b intimiste, à fleur de peau. Aux couleurs éclatantes, il préférait le clair-obscur. Lors de ses premières apparitions sur scène, le groupe apparaissait d’ailleurs la plupart du temps planqué dans l’ombre. Au tout début, la maison de disque s’est même amusée à semer la confusion: à qui appartenait cette voix aux accents androgynes? Une femme? Un homme?

Le plus grand mystère au sujet de Rhye fut cependant tout autre: comment une musique aussi feutrée et effacée a-t-elle bien pu conquérir le monde? Certes, à sa sortie, elle était raccord avec un certain air du temps, qui préférait murmurer plutôt que hurler -de James Blake à The xx. Il n’empêche: des morceaux aussi délicats que Open n’étaient pas supposés faire le tour du monde, et se retrouver sur la scène de grands festivals (comme ce fut le cas par exemple à Coachella). « Mais qu’est-ce qui est supposé convenir au plus grand nombre? », glisse le Canadien Mike Milosh, qui se cache depuis le début derrière le projet Rhye.

On précise alors: si, par bien des côtés, Rhye tient de la musique de chambre, comment a-t-elle pu s’accommoder des grands espaces? « J’en ai pas mal discuté avec mon père qui est violoniste. J’ai moi-même joué du violoncelle toute ma vie. Je sais que la musique que je fais n’aura jamais le côté triomphant d’un opéra, par exemple. Si on veut faire le parallèle avec l’univers du classique, ce je fais se rapproche plus des chants grégoriens, ou du Stabat Mater de Pergolèse. C’est mon monde. Cela étant dit, la musique est toujours liée à son temps, et à la technologie. Les instruments du baroque ne convenaient que pour être écoutés par une trentaine de personnes. Aujourd’hui, l’électricité et l’amplification permettent d’autres choses. Quelque part, grâce à l’enregistrement, je peux délivrer ma musique tous les soirs, chaque fois que quelqu’un appuie sur la touche play. Donc même quand je la reproduis sur une grande scène, je le fais devant des gens qui ont écouté cette musique dans un univers plus intimiste. Si en plus, je peux le faire dans des salles assises, en tamisant les lumières, c’est encore plus simple de lier les deux expériences. »

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Mots bleus

Petite précision: au départ, Rhye était présenté comme le duo formé par Mike Milosh et le producteur danois Robin Hannibal. Désormais, Milosh est seul aux commandes. « En fait, ça a toujours été plus ou moins le cas. Mais je n’allais pas passer un coup de fil chaque fois aux journalistes pour rectifier. Je m’en fous un peu en fait. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, c’est hors de mon contrôle. Ça fait partie du jeu, de la manière dont les médias fonctionnent. Regardez les news: la moitié du temps, ils sont à côté de la plaque. » On fait tout de même remarquer qu’en 2013, pour discuter de l’album Woman, on avait rencontré Robin Hannibal. « Ah oui? C’était au Botanique, c’est ça? OK… C’était le deuxième concert du groupe… C’était un moment intéressant. Contractuellement, Robin ne pouvait pas être là, parce qu’il avait déjà signé sur un autre label (Epic) avec son projet Quadron. Il ne jouait d’ailleurs pas sur scène. Mais il tenait à participer aux interviews. Je trouvais ça assez marrant, donc j’ai laissé faire… En réalité, c’est quelqu’un qui fonctionne fort à l’ego. Mais je ne voulais pas lui dire comment il devait gérer sa vie. Tout le monde doit faire ses propres erreurs. » Dont acte.

Ce n’est pas la seule séparation à laquelle Milosh a dû faire face. En 2016, il a également divorcé de l’actrice Alexa Nikolas, muse déclarée de Woman. Sur YouTube , on trouve ainsi encore une version dépouillée du morceau Open, où Milosh chante directement ses « mots bleus » à Nikolas. Aujourd’hui, ils prennent évidemment un autre sens. « Pour être honnête, quand je chante ces chansons sur scène, je dois parfois prendre un moment pour faire le vide en moi. Il m’est arrivé à l’une ou l’autre occasion de me retrouver au bord des larmes. Ce n’est pas évident. Mais c’est quelque chose d’important dans l’art: vous êtes supposé parler de choses vraies. Des films comme les Avengers ne m’intéressent pas, par exemple. Pour moi, c’est juste un produit. Par contre, est-ce que vous avez vu Call Me By Your Name (de Luca Guadagnino, lire son interview) ? Pour moi, c’est l’un des plus beaux films que j’ai pu voir ces deux dernières années. C’est une histoire d’amour entre deux hommes, mais qui n’est pas racontée sous l’angle gay, mais comme une simple love story. Il y a notamment ce passage ou le père parle à son fils. Il est question d’assumer ce que l’on est, et de pas fuir l’amour quand il arrive, parce que ce n’est pas un sentiment qui arrive si souvent dans une vie. En réalité, c’est même quelque chose d’assez sacré… Ce genre de choses, ça n’arrive pas dans les Avengers . Les Avengers , c’est de la propagande, rien d’autre. »

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Autarcique, insulaire même, Rhye n’a pas de discours politique -« Je discute avec mes amis ou mes parents, je lis énormément, mais tout ça est une recherche intellectuelle. Ma musique n’a rien à voir avec ça, c’est davantage une recherche émotionnelle ». Plongé dans une ouate musicale d’une finesse et d’un raffinement sonique rares, le spleen amoureux de Rhye n’a ainsi rien perdu de son pouvoir de fascination. Comme Woman, Blood s’échine donc à creuser les sentiments, l’amour qui glace, qui étourdit. Qui égratigne aussi forcément. « You’re my favorite place to bleed », chante Milosh sur Song For You. « Pour moi c’est très beau comme sentiment. Est-ce que vous voulez vous empêcher d’aimer, de peur de souffrir? Moi non. Je veux essayer encore. Je veux aller de l’avant. »

Rhye, Blood. distr. Caroline. ****

En concert le 25/03, à l’AB, Bruxelles.

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