La grande défonce de Caballero et JeanJass: « En vrai, le confinement ne change pas grand-chose pour nous »

Les rois du bédo devenus princes des fourneaux. © ROMAIN GARCIN
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Caballero et JeanJass régalent avec une nouvelle saison de leur show High & fines herbes, une plantureuse mixtape ainsi qu’un livre de recettes. Tout pour le divertissement (et la culture)…

C’est à croire qu’ils avaient tout prévu depuis le début. À ma gauche, ou plutôt dans la fenêtre de gauche de l’écran du PC, Caballero; dans celle du dessus, JeanJass; chacun répondant depuis chez lui. Au moment d’entamer la semaine 5 du confinement, le duo sort sa nouvelle mixtape, High & fines herbes. Et rien qu’en jetant un coup d’oeil à la pochette, on comprend qu’ils avaient tout anticipé. À commencer par le concept de distanciation sociale, assis l’un et l’autre à un bout de la grande table préparée pour le festin… Sur le morceau De Loin, Caballero se fait même visionnaire: « Je retourne hiberner/Ma couette a comme un petit air de liberté.  » « Ah ben, c’est clair que rester enfermé à la maison ne me fait pas trop peur. Je suis même disque d’or du confinement. Je suis habitué à rester chez moi à fumer de la beuh et à enchaîner les divertissements divers et variés. » Le ton est donné. De nombreux artistes ont décidé de reporter la sortie de leur album. Pas Caballero et JeanJass. Certes, les précommandes physiques prendront un peu plus de temps à arriver, mais le streaming, lui, ne s’arrête jamais. « En vrai, cela ne change pas grand-chose pour nous, avoue JeanJass. Quelque part, le contexte n’est même pas si défavorable que ça. Les gens sont chez eux, ils ont besoin d’être divertis. » Or, en la matière, on peut toujours compter sur ce qui reste le binôme le plus « goleri » de la planète rap belge…

L’auberge espagnole

C’est en 2016 que la franchise Caballero & JeanJass est officiellement inaugurée. Dès le premier volet de leur série Double Hélice, le morceau Yessaï pose déjà toutes les bases de la bromance entre le rappeur de Bruxelles et celui de Charleroi: bouffe, beuh et autodérision pour tout le monde. Depuis, deux autres volets de Double Hélice ont suivi. La formule a également donné naissance à un « show télé », visible sur le Net. Baptisé High & fines herbes, l’émission mélange les passions des deux rappeurs pour la cuisine et la weed.

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La troisième saison vient de sortir. Elle reste fidèle au concept de départ, tout en l’élargissant. En gros, elle navigue quelque part entre Les Anges de la téléréalité et Top Chef, Maïté et Action Bronson (le rappeur dont l’émission fooding a été diffusée sur Viceland, comme le fut la saison 2 de High & fines herbes). En septembre dernier, les hôtes Caballero et JeanJass ont rassemblé six collègues dans une villa sur les hauteurs de Barcelone pour une compétition à base de fumette. Second degré, regards hébétés et fulgurances fumeuses s’enchaînent. L’entertainment est précis, soigné et référencé -« allemand« , aurait dit Le Roi Heenok, l’un des locataires de la fameuse villa des poumons dorés. Il est aussi foncièrement potache, volontairement couillon, avec tout ce que le côté colonie de vacances inhérent au format peut avoir de rigolo (et gênant à la fois).

Déclinée en six épisodes, l’émission fait également l’objet d’un livre de recettes (lire plus loin) et, donc, d’une nouvelle mixtape. Elle est en quelque sorte la BO du show. Tous les participants et invités s’y retrouvent, au milieu d’un générique assez foufou, rarement vu dans le rap francophone. À côté des habitués de la maison (Roméo Elvis, Lomepal, Isha, Senamo, etc.), il mixe les générations (Rim’K et Youv Dee, Oxmo Puccino et Luv Resval) et les styles (Lorenzo et Alkpote); pas vraiment les genres (Chilla, seule fille de la bande), mais bien les nationalités (des Marocains Shayfeen & Madd aux Suisses Slimka et Di-Meh). « Il n’y a rien de plus global que la weed, assure JeanJass. On s’en rend compte quand on tourne à l’étranger. J’ai rencontré des tas de gens en fumant. » « C’est tout un monde, toute une culture, poursuit Caballero. C’est comme quand tu croises quelqu’un qui aime bien le vin. Si tu t’y connais un peu, cela peut amener de chouettes discussions. »

C’est la grande connexion du bédo, l’internationale de la fumette, qui facilite les contacts et débloque les agendas les plus verrouillés. « Même si on a dû transpirer pour monter ce genre de création folle« , précise Caballero.

Caballero & JeanJass aiment recevoir.
Caballero & JeanJass aiment recevoir.

Ce casting pléthorique est la première force de la mixtape, « notre meilleure promo« , dixit celui qui se fait appeler aussi Jinedine Jidane. Certaines connexions semblent évidentes. D’autres sont plus surprenantes. « Les quatre cinquièmes des invitations se sont faites naturellement, sans trop réfléchir, affirme Caballero. Les autres sont un peu plus « stratégiques ». Le but était de ramener des gens que l’on connaît un peu moins. On s’est dit par exemple que ce serait cool d’avoir quelqu’un comme Rim’K, un grand nom du rap français depuis plus de 20 ans, et qui aujourd’hui encore nique tout, et qui ne touche pas spécialement le même public que nous. »

Ces dernières années, le rap n’a pas seulement explosé commercialement. Mais aussi stylistiquement. À l’exact opposé d’un ancien comme Rim’K, High & fines herbes propose donc un morceau avec… Bigflo & Oli. Soit deux des plus gros vendeurs français, toutes catégories confondues, fratrie adepte d’un rap très familial et grand public. Caballero: « C’était histoire d’être un peu original, d’amener une touche de folie, voire un moment un peu gênant. Quand on organise ce genre de collaboration, on sait ce qu’on fait, on sait très bien que ça va faire jacter derrière. Comme le dit JJ dans un de ses textes, on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs. Cela résume bien notre état d’esprit. Il faut parfois aller voir un peu plus loin, et toucher des endroits qui chatouillent un peu plus que d’habitude. » De fait, cela n’a pas manqué. Avant même que le morceau -hilarant dans son genre- ne soit publié, les commentaires se déchaînaient sur les réseaux…

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Mise en abyme

Avec 25 morceaux, le menu de la mixtape est copieux. Et les portions -pardon, les morceaux- relativement courts. « Aujourd’hui, on consomme la musique différemment, note JeanJass. On trouve que c’est vite long, un morceau. J’aime quand c’est clair, précis, efficace. » L’avantage est de pouvoir en offrir pour tous les goûts, quitte à ce que le résultat soit parfois inégal. Surtout, l’exercice montre bien la corde raide sur laquelle aime se balader le duo, cherchant à la fois à agrandir toujours plus son audience, tout en continuant de cultiver l’image de fumeurs intensifs qui pourrait éventuellement encore cliver. « Les moeurs évoluent quand même, se réjouit JeanJass. Peut-être moins vite en francophonie. Mais aux États-Unis, un mec comme Quavo du groupe Migos fait des pubs pour Sprite. Et Snoop Dogg signe toute la journée des autographes aux gamins dans la rue. C’est presque devenu un personnage Disney. »

Du personnage à la caricature, il n’y a évidemment souvent qu’une toute petite marge. Cela vaut d’ailleurs aussi pour Caballero et JeanJass qui ont tellement bien dessiné leurs deux rôles qu’ils risquent de s’y retrouver piégés. Ils en sont sans doute les premiers conscients. Du moins si l’on se réfère à certains de leurs textes. Comme quand Caballero fait semblant de s’offusquer sur l’interlude Skit-Eulz: « On l’a déjà fait 1 000 fois, non? La drogue, la weed, high & fines herbes, c’est bon, les gens en ont marre de ces délires. » Sur OKOK, la mise en abyme se poursuit avec JeanJass qui lâche: « Je suis mon plus grand jaloux, j’ai envie d’avoir ma vie » ou Caballero qui assène: « Dix ans dans le rap, et j’ai encore mon âme, même si on ne dirait pas. » Entre les lignes, on devine même les états d’âme de jeunes trentenaires qui pointent ici et là -« Y a plus de passion, je suis comme un prestataire« , glisse JJ sur Vie ordinaire. Pas question pour autant de troquer un cliché -Les Frères Pétard- pour un autre -les clowns tristes. JeanJass: « C’est le genre de sentiment par lequel tout le monde passe, toi aussi j’imagine dans ton métier: qu’est-ce que je fous là? Est-ce que c’est si intéressant? Est-ce que je suis vraiment utile? C’est important de garder les pieds sur terre. Et de continuer à le rapper. Ce morceau avec Oxmo et Swing est le plus transparent, le plus introspectif. Il en faut. » « On a toujours présenté des morceaux plus sérieux, qui ont souvent bien marché en plus, comme Un endroit sûr ou même Dégueulasse, ajoute Caballero. Mais je n’ai pas spécialement envie qu’ils passent au-dessus du côté entertainment. C’est juste un équilibre à trouver. »

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Dans cette balance, le binôme réussit même à glisser des phrases plus « old school », particulièrement bien senties. Comme quand Caballero donne une suite à Profondeurs, morceau datant de 2013, quand de « salle de concert« , il ne connaissait que « parc et salons« . « C’est un petit clin d’oeil aux gens qui nous suivent depuis le début. Puis c’est un style de rap qu’on affectionne beaucoup, qu’on écoute et qu’on pratique toujours. En cela, cette mixtape était idéale pour présenter tout ce que l’on sait faire. La cohérence est déjà là, via le côté High & fines herbes , cette espèce de convivialité. À partir de là, on pouvait aller plus ou moins où on voulait. »

Cela ne suffira probablement pas à ramener vers eux les fans les plus puristes, qui auront raison de penser que la formule arrive tout doucement à ses limites. En attendant, il sera difficile de nier la capacité de rassembler du duo et, surtout, leur amour du rap. Tout pour la culture, tout pour « la cause » . Sur le morceau en question, JeanJass sample The Start of Your Ending de Mobb Deep, déroulant le tapis rouge pour Le Roi Heenok. « Je savais qu’il était ultra fan, et nous aussi. C’est un peu du sur mesure, un morceau qui pue le rap de Queensbridge qui est l’une de nos autres passions. » Puisque, in fine, c’est bien de cela qu’il est encore et toujours question ici.

Caballero & JeanJass, High & fines herbes, distribué par Universal. ***(*)

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Hey Chef!

La grande défonce de Caballero et JeanJass:
© JB BONHOMME

High & fines herbes, c’est donc une mixtape, un show mais aussi un livre de recettes. L’homme en charge des préparations se nomme Jean-Baptiste Bonhomme. Derrière les fourneaux depuis la toute première saison, le Français de 37 ans est même à l’origine du titre. « J’étais à l’anniversaire d’un pote à Lyon quand j’ai croisé Max (Meli, manager de Caballero & JeanJass, NDLR ) . Je lui parlais d’une idée que j’avais eue de créer des chocolats en forme de weed, et que je m’étais fait piquer. » De fil en aiguille, il confie au manager qu’il verrait d’ailleurs bien ses rappeurs animer une émission de cuisine sur le même thème. « Je les trouvais beaucoup plus cool et décomplexés que la plupart des rappeurs français. » Ce qui n’aurait pu être qu’une discussion avinée de fin de soirée n’en est pas restée là. Dès le lendemain, il recevait un appel de Caballero & JeanJass. L’affaire était faite.

Il faut dire que Jean-Baptiste Bonhomme a de fameux états de service. Pâtissier, il a fait ses armes chez le chef-star triplement étoilé Pierre Gagnaire. « Mais à un moment, la cheffe de son restaurant parisien a voulu me virer. » Le patron, lui, veut le garder: il l’envoie à Londres où il fera pendant 5 ans de « la recherche et création« . À son retour, Jean-Baptiste Bonhomme raccroche pourtant le tablier. Il veut se rapprocher du milieu artistique, son autre passion. Avec sa copine, Violaine Truchetet, diplômée des Beaux-Arts, ils montent la structure Bye Bye Peanuts. « On a voulu proposer des buffets pour les vernissages des galeries, en rapport à chaque fois avec leur exposition. » Jusqu’à en faire de véritables « performances qui se mangent », comme quand ils proposent au public de « fatiguer » lui-même la salade dans une grande bâche de 20m2. Parallèlement, Jean-Baptiste Bonhomme s’est aussi lancé dans la photo, où il interroge l’acte de consommation et détourne la nourriture. Comme dans High & fines herbes? « En tout cas, on n’est pas obligé de cuisiner les recettes à la weed. L’important, c’était de proposer des recettes simples à faire entre potes. C’est pour ça que j’ai toujours voulu que ce soit Caba et JJ qui cuisinent. L’idée, c’est qu’au lieu d’aller s’acheter chacun un menu kebab à 6 euros, on aille plutôt se chercher un poulet et qu’on le cuisine, en passant un bon moment ensemble.« 

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