L’Or du Commun: « On est dans un clair-obscur, c’est notre album caravagesque »
Pour leur premier « véritable » album, intitulé Sapiens, les rappeurs bruxellois de l’Or du commun slaloment élégamment entre leurs états d’âme. Un coup de blues lumineux.
On peut enfin souffler. Prendre un peu du recul et constater. Après trois ans d’emballement général, la vague hip hop belge n’est pas en train de retomber, loin de là, mais bien de se « normaliser ». Sur l’intervalle, certains ont décollé, d’autres sont restés à quai. Du côté de l’Or du commun, on a mûri. Manoeuvre pas évidente: en même temps que le trio bruxellois voyait son auditoire s’élargir, il muait et mutait, lentement mais sûrement. De la bande rigolarde, énergie boom bap décalée à la Saïan Supa Crew, l’Or du commun a conservé la spontanéité, mais en rendant le propos plus personnel. L’an dernier, Loxley, Primero et Swing sortaient ainsi le projet Zeppelin. Neuf titres en tout, dont le morceau Apollo: boosté par la présence de leur camarade Roméo Elvis, il leur valait leur premier million de clics sur YouTube (depuis, le chiffre a quintuplé).
À peine douze mois plus tard, on retrouve l’ODC dans leur QG, les bureaux/studio de leur label La Brique. Le sujet du jour: Sapiens, à nouveau entièrement produit par le Lyonnais Vax1. Même équipe, même résultat? Pas tout à fait. Cette fois, Sapiens est d’ailleurs présenté non pas comme un EP, ou une mixtape, mais bien comme un premier véritable… album. Un détail? Le trio sourit. Primero: « Disons que c’est davantage un album, parce qu’il sort en physique, qu’il propose plus de titres… Et puis aussi parce que l’identité visuelle est plus prononcée, et le fil rouge mieux défini. » Une nouvelle évolution en effet. Elle se marque aussi dans le ton. En juillet dernier, le clip du premier single Prison vide en donnait un premier indice. Faisant référence à la vidéo d’Apollo, il fonctionne un peu comme son négatif. À l’enjaillement succède la sortie de route. La virée en bagnole a tourné au drame: la voiture crashée, le groupe fracassé. Comme dirait Orelsan, la fête est finie…
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Rap conscient 2.0
Il ne faudrait pas forcer le trait, mais tout de même: Sapiens a des airs de lendemain de veille. Voire carrément la gueule de bois. Certes, il est plus musical que jamais. Mais derrière le miel des mélodies, et la chaleur indéniable des productions, le ciel paraît bien plombé. Autant poser directement la question: Sapiens est-il un disque sombre? « Un peu, oui », admet Primero. « C’est possible. Même si à côté de Damso, notre noirceur reste très relative », rigole Swing. « C’est vrai qu’on conserve encore pas mal de zones lumineuses, nuance Loxley. Disons qu’on est dans un clair-obscur, c’est notre album « caravagesque » » (sourire).
À certains égards, Sapiens sonne comme le premier album de rap belge « post-hype ». Le buzz est retombé, l’ivresse des spotlights évaporée. Et dans la foulée, le récit d’une scène soudée s’est peut-être également émoussé? « Le rap jeu, un sitcom, des faux rires, des faux buzz », glisse par exemple Loxley sur Nos Gènes… Swing: « Au fil du temps, on observe notre milieu, en essayant d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Du coup, avec le recul, certaines absurdités deviennent plus visibles. Mais pour autant, cela ne change rien à l’énergie qu’il y a dans cette scène. »
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Comme le suggère le titre Sapiens, le malaise est en effet bien plus général. Le monde donne l’impression de tourner fou. Au point qu’il est compliqué de ne pas le devenir soi-même? Derrière l’image rangée de mecs « normaux », l’ODC semble en effet en permanence au bord de la crise de nerfs. « Je finirai plus fou que Don Quichotte », grince Swing sur Antilope. « Je crois être extrêmement équilibré. Mais c’est précisément l’avantage de notre position que de pouvoir se mettre dans des états ou dire des choses qu’on ne se permettrait pas forcément dans la vie de tous les jours. » Primero précise: « Ce n’est pas qu’on est « borderline », mais plutôt qu’on a une certaine sensibilité. Ce qui est un avantage, surtout quand tu es un artiste, pour être plus créatif. Mais qui est aussi une faiblesse, une barrière que l’on n’a pas contre certaines choses. On a des doutes, des angoisses. C’est ce que l’on met, notamment, dans notre musique. »
Sur Sapiens, elles sont assumées, frontalement. C’est même la principale ambition d’un groupe, qui ne veut plus se cacher -quel rappeur osera sampler comme eux la voix de feu Jean d’Ormesson? (« Ne meurent que ceux qui ont vécu », sur Antilope). Un trio qui se permet d’ouvrir la discussion à ce qui se passe au « dehors », dans une sorte de « rap conscient 2.0 » assumé. Loxley: « En filigrane, on a voulu faire un pied de nez à beaucoup de tics de l’époque qui nous énervent. C’est un album qui s’est fait un peu en réaction à la bêtise ambiante. Moins celle des gens en eux-mêmes que celle d’une culture pop un peu vaine, rap compris. Certains jours, quand tu ouvres ton fil Facebook, c’est désespérant… »
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Personne n’est dupe de la position délicate qu’ils occupent eux-mêmes dans ce jeu-là – « Le remède, il est d’abord pour nous ». Comment dès lors glisser des propos plus engagés dans une forme « entertainment »? L’exercice semble toujours plus casse-gueule… « Les discours de paix, c’est devenu rasant », dixit Loxley sur Homosapiens. Par petites touches, l’ODC apporte pourtant sa contribution au débat, y compris les plus chauds comme celui sur les migrants. « Ce n’est rien si le bateau se fissure/plutôt mourir dans l’eau que dans le sang », rappe Loxley sur Sous les pavés. « Au départ, on ne voulait pourtant proposer qu’une variation poétique autour de l’expression de Mai 68, « Sous les pavés, la plage ». Ce n’est qu’après qu’on nous a fait remarquer la seconde lecture que pouvait proposer le morceau. »
Bien sûr, tout cela ne reste que de la musique, du « divertissement » – « on n’a pas écrit un livre », insiste Primero. Mais tout de même: plus « adulte », Sapiens cherche et trouve une épaisseur qui a le mérite de ne jamais sonner faux. Swing: « Tout ce temps, toute cette énergie que tu consacres à la musique, cela ne peut pas être complètement futile. Je sais l’impact qu’un disque comme Sapiens a eu sur ma vie, sur nous. Et c’est sans doute ce qui est le plus important. »
L’Or du commun, Sapiens, distr. La Brique/PIAS. ****
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