L’épure a ses vertus que la surcharge ignore

De collectionneur à deejay, il y a un pas à franchir, des disques à acheter et des enchères à remporter, et une chronique à renommer … De « Hardware » à « In my hard drive » et inversement, Deejay Kwak partage ses bonnes vibes du moment. In my hard drive, épisode 21.

C’est parce que voyez-vous, je suis présentement une enchère de disques sur Ebay; elle sera finie quand vous liez ces lignes. La vente est organisée par mon vendeur préféré qui a ramené mille disques de son dernier périple africain. Il vend des disques africains, pressés en Afrique, ce qu’on appelle du « collector’s item » … Certains (les plus rares) partiront à des sommes gargantuesques, d’autres, à des tarifs raisonnables. Les collectionneurs … Drôle d’engeance … Me dire qu’il y a une personne quelque part dans le monde qui est prêt à lâcher deux-tiers de mon salaire mensuel pour un obscur (et excellent au demeurant !) disque d’afrobeat me laisse pantois. Et ça me ramène à une soirée où j’étais voici quelques lunes, écoutant des deejays et collectionneurs fanfaronner sur le prix de leur collection. « J’ai payé un bras pour ce 45 tours » me dit un type manchot et pourvu d’humour. Le disque en question était une mauvaise copie d’un médiocre ersatz d’un pâle imitateur de James Brown.

Toujours est-il … Les collectionneurs légendaires, ça ne court pas les rues. Les grandes et belles collections me stimulent, me motivent. J’y pénètre avec le regard avide d’un gamin dans un magasin de jouets. Je me souviens de photos de collections incroyables dans Wax Poetics, notamment celle de ce DJ légendaire qu’est Danny Krivit. Tous les collectionneurs les plus fondus que j’ai eu le plaisir de rencontrer m’ont TOUS dit que Kenny Dope est au-dessus du lot … Kenny est un chic type, partageur, qui met en ligne et propose au téléchargement ses mixes de raretés et autres incunables …

Que ce soit clair, je suis dj, pas collectionneur, la philosophie est différente. J’ai besoin de mes deux bras pour jouer, pour câliner, pour écrire. Et pour porter mes sacs. Je me suis offert le plaisir d’un set « vinyl only » la semaine passée, fort plaisant. C’est retourner aux racines finalement. Je viens de cet âge de pierre, époque perdue durant laquelle on achetait ce bon vieux plastique. Quand je travaillais pour un label, j’envoyais des galettes, des plaques aux quatre coins du monde. Maintenant, ma corporation reçoit des fichiers informatiques. Moderne, certes, mais franchement dépourvu de poésie. Peut-être devrais-je renommer cette chronique ? « Hardware » (ou comment je me ruine en disques).

Mais puisque c’est de mon disque dur qu’il s’agit … Il a un peu travaillé cette semaine … Sy Smith, charmante chanteuse californienne de son état, pose son mignon filet de voix sur de coquettes productions de Mark de Clive Lowe. Le disque ne casse pas trois pattes à un canard, il est plaisant et efficace néanmoins. Un peu trop propre, peut-être ? Il contient de belles mélodies, comme toujours avec MdCL, pianiste-remixeur-homme-orchestre, et pilier de la scène broken-beat londonienne voici quelques années. Sa façon, reconnaissable entre mille, de tisser des rythmiques « à l’anglaise« , le son, éthéré et large ainsi que la voix sexy de Miss Smith donnent à ce disque son intérêt. Le bât blesse au niveau du songwriting (les plus chouettes morceaux étant des reprises) et de certains arrangements vocaux tellement touffus qu’ils perdent en force. L’épure, mon bon Monsieur, a ses vertus que la surcharge ignore.

Homeboy Sandman est un MC de New York signé sur le référent californien Stones Throw. Dans sa dernière livraison, son flow caoutchouteux, ses paroles pleines de sens et ses jeux de mots ciselés se baladent sur d’adéquates productions de Dj Exile ou Paul White, la dernière sensation anglaise matière d’orfèvrerie du beat. « Cops get scared of me » est même offert au téléchargement.

Sandman est l’une des voix les subtiles et prometteuses du rap game à l’heure actuelle. Force tranquille. Avec, dans un registre plus brut de décoffrage et plus street, ce petit jeunot nommé Joey BadA$$ à propos duquel On Point ne tarit pas d’éloges … Et je peux difficilement lui donner tort … Fougue de la jeunesse. Il me fait penser à un gangster rapologique du nom de Freddie Gibbs (en version « culottes courtes ») dont le single « Thuggin » produit par Madlib était juste énorme.

Autre téléchargement gratuit, et non des moindres, le légendaire Bobby Womack (110th Street, les Gens ?) est en studio avec le protéiforme Damon Albarn pour un album façon Gil Scott Heron; XL Recordings a lâché le morceau ce lundi … Tout simplement beau … Et cette voix !! L’épure, ma bonne Dame, a ses vertus que la surcharge ignore.

Le gros morceau de la semaine, c’est « Hidden », le premier album (après un superbe EP) du collectif amstellodamois Jungle By Night. Dépeint par Tony Allen (le batteur de feu Fela Kuti) comme le futur de l’afrobeat, le (jeune) groupe dépasse les étiquettes pour livrer un album tant afro dans l’esprit que jazz dans la lettre. C’est superbement joué, énergique, enlevé, subtil. On entend la pièce dans laquelle ça a été enregistré, on sent le grain du vieux micro à lampes, la chaleur des compresseurs analogiques. À l’ancienne et sans esbroufe. Pas question d’épure ici, et c’est très bien ainsi.

Quoi que vous fassiez, faites-le bien. En vous souhaitant une excellente semaine.

Deejay Kwak

EN ROTATION LOUDE CETTE SEMAINE

Albums

+/ Jungle By Night : Hidden (Kindred Spirits) / afro beat – jazz
+/ Part Time Heroes : Lightfalls (Wah Wah 45’s) / Soul -electronica
+/ Boddhi Satva : invocation (Vega / BBE) / house – afro – soul
+/ Lee Fields & The Expressions : Faithful man (Truth & Soul) / Soul
+/ Sy Smith : Fast and Curious (Psyko Rekords) / soul – broken beat

Singles & EP

+/ Homeboy Sandman : Chimera EP (Stones Throw) / hip hop
+/ Nas : the don (Def Jam)
+/ Decyfer : MiYU (XIV Records) / House

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