Critique | Musique

[L’album de la semaine] St. Vincent – Masseduction

St Vincent © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

POP | St. Vincent plonge les mains dans le cambouis pop et prend la pose pour mieux sublimer névroses et autres angoisses existentielles. Brillant.

À en croire le proverbe, il ne faudrait jamais juger un livre à sa couverture. Il n’y a évidemment rien de plus faux. Car, aujourd’hui plus que jamais, qui oserait affirmer que l’emballage n’est pas important? Que la forme ne dit rien du fond? Certes la devanture d’un livre ou la pochette d’un album ne disent pas tout, mais elles disent beaucoup. En l’occurrence, celle de Masseduction, le 5e album d’Annie Clark sous le nom de St. Vincent, vaudrait un article en soi. Longtemps, l’Américaine s’est montrée de face (sur trois de ses quatre albums précédents). Ici, elle apparaît de fesses. Combinaison léopard sur legging rose et escarpins clinquants, tournant et courbant le dos à l’objectif. Bravade ou positionnement sexy? Il est aussi possible de se perdre dans une image hyperstylisée, quasi jusqu’à l’abstraction. Soit un bon résumé de la musique de St. Vincent: de l’indie rock qui, aussi séducteur soit-il, manie la distance intello -ce n’est pas pour rien que Clark a réalisé un album en collaboration avec David Byrne (Talking Heads)-, l’ironie et l’humour à froid. Quitte à ce que l’arty vire parfois à l’artifice.

[L'album de la semaine] St. Vincent - Masseduction

Couleurs flashy, vernis glossy: la pochette de Masseduction révèle surtout son parti pris musical. Il est (outrageusement) pop. St. Vincent a parfois hésité à mettre le doigt dans cet engrenage. La reconnaissance obtenue avec son album précédent (un Grammy en 2015), la médiatisation de sa relation passée avec l’actrice Cara Delevingne (Valérian) ont peut-être accéléré la mue: quitte à être dans le viseur, autant investir définitivement le terrain, et voir ce qu’il permet. Derrière les manettes, signalé comme co-producteur, on retrouve donc Jack Antonoff, connu pour avoir bossé sur les blockbusters de Lorde, Taylor Swift ou encore Pink. St. Vincent se glisse dans les habits du jour avec une rare conviction. Beats qui tachent, gimmicks accrocheurs: les morceaux n’hésitent pas à forcer le trait, surlignant à coups de synthés fluo, et d’éclat eighties (Sugarboy). Faisant écho à l’époque, Masseduction semble ainsi ne rien aimer tant que les positions tranchées et clivantes. Avec tout ce que cela peut générer d’angoisse.

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Car derrière les grands effets, Masseduction a du mal à cacher son caractère anxiogène. À l’image de l’explicite Fear the Future, Los Ageless (les dérives hollywoodiennes du mythe de la jeunesse éternelle) ou Pills, comptine sur les multiples formes d’addictions, ponctuée par le saxo de Kamasi Washington et ces mots désespérés: « Come all you children, come out to play/Everyone you love will all go away. » Disque sur le pouvoir, la domination et les dépendances (« How can anybody have you and lose you/And not lose their minds, too? »), Masseduction est à la fois raccord avec les enjeux du moment et directement branché sur la psyché de son auteur. À l’en croire, l’album serait même son plus personnel (voir les désarmants New York, Happy Birthday, Johnny, ou en toute fin Smoking Section). Dit comme cela, on pourrait presque en déduire qu’Annie Clark tombe le masque. Avec Masseduction, elle l’assume au contraire complètement. C’est sans doute pour cela qu’elle peut se permettre d’être plus transparente que jamais.

St. Vincent, « Masseduction », distribué par Caroline. ****

Le 23/10 à l’Ancienne Belgique, Bruxelles.

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