Critique | Musique

L’album de la semaine: Shabazz Palaces – Lese Majesty

Shabazz Palaces © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

HIP HOP | Le duo Shabazz Palaces sort un deuxième album de rap psychédélique captivant, loin de tout ego trip. Le crime de Lese Majesty était presque parfait…

On a pu pas mal gloser ces dernières années sur le retour du single-étalon. Le Net aurait redécoupé la musique en morceaux, désormais vendue à l’unité. Cela étant dit, cela n’empêche pas le format long de tenir bon. Dans certains genres plus que dans d’autres. Plus qu’ailleurs, le rap continue ainsi à fantasmer des albums. Intégré au mainstream, élément central de la culture pop du moment, il court évidemment derrière la fulgurance tubesque. Pour autant, il ne cesse d’imaginer des univers et des narrations plus vastes. Il suffit d’y constater la persistance des interludes: la plupart des disques rap ne peuvent s’empêcher de glisser ces petites parenthèses, qui ne trouvent leur raison d’être qu’une fois intégrées dans un album…

L’un des plus brillants exemples de ces derniers mois est le dernier album des Roots, And Then You Shoot Your Cousin. L’autre est Lese Majesty, deuxième pépite du duo Shabazz Palaces. Pour l’un comme pour l’autre, impossible de les cerner ou les apprécier sans les prendre comme un tout. Il y aurait d’autres parallèles à dresser entre les deux plaques. La première piochait volontiers son esthétique dans les côtés les plus dark des années 60. Shabazz Palaces s’inspirerait lui davantage d’un certain psychédélisme seventies. Comme dans l’afro-futurisme, pratiqué notamment par Sun Ra, le duo mêle temps anciens (l’Antiquité égyptienne) et trip cosmique. Bienvenue à bord!

Shabazz Palaces est le binôme hip hop formé par Tendai Maraire et le rappeur Ishmael Butler. Ce dernier a déjà connu le succès il y a près de 20 ans, au sein des Digable Planets, formation rap dont les samples lorgnaient avec insistance vers le jazz. On peut encore en entendre des vagues échos sur Soundview, intro de 40 secondes plantée au milieu de Lese Majesty. Pour le reste, le deuxième album de Shabazz Palaces est moins jazz dans le son que dans l’esprit: libre, affranchi de tout carcan strict, souverainement indépendant.

Cette liberté a un prix. Celui qui voudra la goûter devra notamment prendre le temps de s’immerger. Il en faut pour apprécier le voyage, qui tout en creusant une même fange cosmique (façon Flying Lotus ou RZA sous codéine), ne suit jamais plus de 30 secondes la même piste. Appelez ça du hip hop fractal ou du rap quantique. Le résultat est en tout cas passionnant. Découpé en 18 morceaux, regroupés en sept « suites », Lese Majesty semble suivre ses propres règles. Il démarre avec des échos noisy à la My Bloody Valentine (Dawn In Luxor), joue le beat minimaliste avant de balancer les infrabasses (Forerunner Foray)… La voix de Butler se traîne, élément parmi d’autres, comme larguée dans l’espace (The Ballad of Lt. Maj. Winnings). Le rap n’est pas ici un prétexte. Lese Majesty est bien un disque de hip hop, mais tordu, halluciné, réinjectant un peu d’air (vicié, voire vicieux) dans un genre parfois noyé dans ses tics. Pas d’ego trip ici, ou de selfie musical, mais bien une virée collective en apesanteur (Ishmael).

En 2011, Jay-Z et Kanye West consacraient leur statut d’aristos de la pop en sortant Watch The Throne. Trois ans plus tard, le crime de Lese Majesty rééquilibre la balance, sans réinventer le genre, mais en lui rappelant son goût de l’aventure.

  • DISTRIBUÉ PAR SUB POP.

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