Critique | Musique

L’album de la semaine: Joanna Newsom revient avec Divers

Avec son dernier album, Joanna Newsom reste fidèle à son onirique marque de fabrique. © AFP
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

La harpiste californienne à la voix de petite fille espiègle sort des bois et du silence avec un quatrième album au folk somptueux, bucolique et baroque.

« Qu’est-ce qu’un ange sans sa harpe sinon un démon triste et nu, et que serait pour lui le paradis hormis un exil plein d’ennui? » Yasmina Khadra a dû écrire Les anges meurent de nos blessures après avoir écouté les compositions étranges, magiques et féériques de la douce Joanna Newsom. On la pensait perdue. Enlevée par une vilaine sorcière. Enfermée à jamais dans une tour par des barbares sans coeur. Cinq ans après Have One on Me, l’enfantine et savante musicienne californienne réapparaît comme par enchantement avec Divers. Quatrième album qui a le folk délicat, expressif et baroque des temps anciens.

Ambiance Renaissance, voix mutine et charme bucolique. Piano aérien, harpe distinguée et orchestrations luxuriantes. Joanna Newsom est fidèle à son onirique marque de fabrique. Cette singularité qui l’a rendue si spéciale et précieuse dans un univers folk aux héroïnes trop souvent interchangeables.

Epouse du comédien américain Andy Samberg (Saturday Night Live), célèbre pour son tube Dick in a Box avec Justin Timberlake, l’énigmatique Newsom renvoie aux elfes islandais. Ces Björk et ces Emiliana Torrini élevées comme des princesses sauvages au beau milieu des forêts, coupées du monde et forcément perchées sur leurs planètes.

Le tournoyant clip du single Sapokanikan (selon les archéologues, le nom du sud-ouest de Manhattan quand il n’était encore que village indien) est l’oeuvre de Paul Thomas Anderson. Le réalisateur de The Master et There Will Be Blood dont Newsom était la narratrice du dernier long métrage (Inherent Vice)… Arrangé avec l’aide de Nico Muhly, de Ryan Francesconi (qui vient de sortir un disque avec Alela Diane) ou encore du Dirty Projector David Longstreth qui tous y apportent leur touche, enregistré avec Steve Albini et Noah Georgeson, Divers parle de notre rapport au temps et à l’espace, de la perte et des souvenirs. Le tout de manière toujours lettrée et avec un souci obsessionnel du détail.

Fruit de deux mois de recherches et de deux semaines d’écriture, le splendide Sapokanikan par exemple cite Ozymandias. Poème de Percy Bysshe Shelley qui veut que la nature toujours triomphe. Mais fait aussi référence à Van Gogh, Titien, au poète romantique Horace Smith ou au peintre impressionniste australien Arthur Streeton… Cryptique, Joanna Newsom? « Je ne peux définitivement pas écrire une chanson facile, commentait récemment la harpiste dans le New York Times. Il y a des gens qui ont une foi absolue et totale dans l’idée que ça vaut la peine de creuser dans les paroles. Si je ne le fais pas, c’est comme casser un contrat. » « Je ne sais pas ce que I am the Walrus veut dire mais je n’en veux guère aux Beatles de ne pas l’avoir expliqué. »

Irritante, crispante, voire purement et simplement insupportable pour certains, avec ce timbre unique qui pourrait appartenir à une gamine à la voix aiguë et criarde comme à une arrière-grand-mère plus proche du cimetière que de la pension, Joanna Newsom a fabriqué avec Divers un nouveau disque important et précieux. Le genre d’album qu’on chérit jusqu’à son dernier souffle. A fortiori si on est fan de Joni Mitchell, Kate Bush et CocoRosie…

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