[l’album de la semaine] Earl Sweatshirt – « Sick! »: Quoi de neuf, doc?
Quatre ans après la décharge Some Rap Songs, Earl Sweatshirt continue d’imaginer un rap sombre et grinçant, tout en lançant de nouvelles pistes.
En débarquant comme des fous furieux, à la fin des années 2000, le collectif Odd Future n’avait eu aucun mal à marquer les esprits. Bordéliques, outranciers, les sales gosses avaient réussi à mettre un bon coup de pied dans la fourmilière rap. Qui aurait cru que, une décennie plus tard, la plupart de ses membres seraient toujours en activité? Mieux: que plusieurs d’entre eux seraient devenus des personnages centraux de la pop culture? De Tyler, The Creator, présent sur tous les fronts, à Frank Ocean, ce révolutionnaire soul, en passant par Syd Tha Kid (et son projet psyche-soul The Internet). Et bien sûr, Earl Sweatshirt.
De l’équipage Odd Future, il est certainement celui qui a le plus cultivé la marge. Cela tient sans doute à la manière, brutale, dont il a atterri sous les projecteurs. Quand il sort sa toute première mixtape en 2010, il n’a que 16 ans. Le jusqu’au-boutisme de la démarche et le parti pris trash attirent instantanément l’attention. Il effraie aussi sa mère, qui finit par éloigner son fils en l’envoyant en pension sur les îles Samoa. Il n’en faut pas davantage pour qu’un hashtag Free Earl soit lancé. Internet, ton univers impitoyable…
L’épisode laissera des traces. En 2019, à la sortie de son EP Feet of Clay, le rappeur devenu adulte proposera à sa mère de le rejoindre sur scène. Dans un auditorium du Musée d’art contemporain de Los Angeles (MoCA), bondé pour l’occasion, Thebe Kgositsile de son vrai nom et Cheryl Harris, universitaire reconnue, reviendront sur l’emballement et les tempêtes qu’il a provoquées entre eux. La boucle était ainsi bouclée. Et Earl Sweatshirt de pouvoir ouvrir un nouveau chapitre. Quatre ans après le fulgurant Some Rap Songs, Sick! aurait dû acter cette mutation. Les événements en auront toutefois décidé autrement, explique le rappeur…
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Dans une récente interview à Rolling Stone, Sweatshirt expliquait ainsi avoir revu sa copie avec la pandémie. Lui qui pensait mettre de côté ses ruminations misanthropes pour s’essayer à des textes plus ouverts a fait machine arrière. Mauvais timing: l’éclaircie attendra. Par bien des côtés, Sick! prolonge donc l’univers torturé du rappeur au flow grumeleux. Sur Old Friend, en ouverture, il précise: « Don’t cross the picket line and get the virus« . Les rimes sont volontiers cryptiques, l’humour grinçant -« Asymptomatic, but I get sick of the delays« , sur Tabula Rasa.
Bataillant avec la dépression, Earl Sweatshirt a pourtant appris à décaler son regard. Sa récente paternité a pu aider, suggère-t-il. Non pas à arrondir les angles -son rap indé continue de grésiller, toujours un peu hirsute. Mais bien à ouvrir un peu le jeu. Prêt à » faire un pas vers le public« , il n’exclut plus de clarifier (un peu) son message, ou de tailler dans une musique broussailleuse. La plupart des morceaux de Some Rap Songs ne dépassaient pas la minute 30. Sur Sick!, Earl Sweatshirt n’abandonne pas ses fulgurances, mais se permet aussi des formats plus longs – Vision ou Tabula Rasa (avec Armand Hammer). La musique même se fait plus lisible. Au point de clôturer le disque avec un piano solitaire, inédit pour un rappeur aussi tourmenté qu’Earl Sweatshirt ( Fire in the Hole). Le rappeur n’a rien perdu de son magnétisme louche. Mais Sick! montre qu’il est prêt à laisser certains tics derrière lui.
Earl Sweatshirt, « Sick! », distribué par Warner. ****
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