L’album de la semaine: Doolittle des Pixies n’a pas pris une ride

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Il y a 25 ans, les Pixies sortaient l’album Doolittle, magnum opus tordu dont la réédition prouve qu’il n’a pas pris une ride.

Ces dernières années, la trajectoire des Pixies a fait l’objet de pas mal de commentaires, pour ne pas dire de railleries. Enchaînant les tournées de reformation lucratives, avant de sortir l’an dernier un nouvel album sinon scandaleux au moins boiteux, et de se séparer (définitivement?) de sa bassiste historique Kim Deal, le groupe a pu agacer. Au point de donner un coup de canif à sa propre légende? Si cela a pu être éventuellement le but maso des intéressés, c’est en tout cas loupé. Malgré ses errements, Black Francis n’a toujours pas réussi à dévaluer l’héritage discographique de son groupe. Pour preuve, la réédition de Doolittle. Vingt-cinq ans après sa sortie initiale, l’album paraît toujours intouchable. Un petit sommet d’indie-rock qui s’essaie à arrondir les angles, sans rien renier de son étrangeté. Ce qu’on appelle encore la quadrature du cercle…

American Psycho

Flash-back. Fin des années 80, les Pixies ont déjà lâché deux premières saillies: l’EP Come On Pilgrim et Surfer Rosa. Alors que les stars de l’époque aseptisent leur son à l’extrême, le rock indie du groupe fait tache. Produit par Steve Albini, Surfer Rosa est un disque rêche, sec, qui joue déjà sur une dynamique calme-bruit qui restera la marque de fabrique du quatuor. L’album fait forte impression, à défaut d’atteindre des sommets de vente. En 1989, Doolittle est censé y remédier en se montrant un peu plus hospitalier. Derrière la table d’enregistrement, l’ours Steve Albini cède donc sa place à l’Anglais Gil Norton. Le résultat est en effet moins brut. Plusieurs morceaux sonnent même presque pop. L’exemple le plus évident est Here Comes Your Man et son riff cowboy en intro, débutant la face B du LP. Il ne faut toutefois pas se leurrer. Au moment où s’agite une nouvelle scène indie rock, remettant le boucan et le larsen au goût du jour en réaction à tous les Bon Jovi trustant la bande FM (un an plus tôt, Sonic Youth a sorti le manifeste Daydream Nation), les Pixies n’oublient pas leurs fondamentaux. Après un coup de semonce (la ligne de basse!), c’est bien l’énervé Debaser qui ouvre le disque. Il est suivi de Tame, particulièrement malsain, ponctué par les halètements sexuellement outranciers de Black Francis et Kim Deal, évoquant une scène trash d’American Psycho (Patrick Bateman découpant l’une de ses victimes). Lui succèdent d’ailleurs les titres Wave of Mutilation et I Bleed… Les Pixies ont beau avoir des ambitions pop, Black Francis trousse toujours de drôles d’histoires perverses, mélangeant sexe louche et références bibliques étranges.

Cette bizarrerie, on la retrouve intacte dans l’actuelle réédition. Celle-ci est constituée du disque original, des faces B, de la session enregistrée pour la BBC chez John Peel, et des démos de chacun des morceaux. Où l’on découvre par exemple, entre autres « geekeries », que la référence surréaliste tordue de DebaserI am a chien andalucia- a remplacé une première phrase plus simple mais tout aussi énigmatique –I want you to shed Appolonia. Où l’on constate surtout que dès le départ, les chansons de Doolittle pouvaient compter sur des solides fondations. Un quart de siècle plus tard, elles n’ont d’ailleurs toujours pas bougé.

  • Doolittle 25, Pixies, distribué par 4AD

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