Critique | Musique

[l’album de la semaine] Arlo Parks – Collapsed in Sunbeams: spleen spirit

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec son premier album, la jeune Arlo Parks réussit à mettre en musique le vague à l’âme de l’époque avec une intimité et une chaleur réconfortantes.

Voici deux ans, on découvrait Arlo Parks en tombant sur son deuxième single, le morceau Super Sad generation. À 18 ans, la Londonienne glissait une ballade indie pop, dont la mélancolie était portée par une voix chaude et traînante. Des paroles, on pouvait déduire à la fois un spleen ado intemporel, et le malaise d’une jeunesse groggy, la fameuse génération Z sonnée par une époque qui ne semblait lui promettre que le pire. « When did we get so skinny/Start doing ketamine on weekends/Getting wasted at the station/And trying to keep our friends from death. » Qui oserait dire qu’entre-temps, les perspectives sont devenues plus rassurantes?

Après une série d’autres chansons douces-amères -disséminées sur deux EP-, 2020 aurait dû être l’année du décollage définitif pour Arlo Parks. Et, quelque part, il le fut, du moins en partie. Son titre Cola fut repris dans la série HBO I May Destroy You, et son nom cité à la fois par Billie Eilish et Michelle Obama. Mais sa première tournée mondiale a dû être annulée, et il a fallu goûter cette nouvelle notoriété du bout des lèvres, continuant de lâcher de nouveaux morceaux -le single Eugene, par exemple, dont le clip fut réalisé par Loyle Carner-, sans être certaine qu’ils ne se perdent dans le trou noir de la pandémie…

[l'album de la semaine] Arlo Parks - Collapsed in Sunbeams: spleen spirit

Au moins, le ralentissement général aura permis de peaufiner Collapsed in Sunbeams, premier album à la fois intime et universel, indie dans l’esprit mais accessible dans la forme. Sentimentalement, la couleur dominante est le bleu. Musicalement, il oscille entre légèretés soul (Just Go, Too Good), réminiscences trip-hop (For Violet), et r’n’b emo (Portra 400). À cet égard, il est certainement le reflet de son autrice, qui avoue avoir autant écouté Jai Paul que The Cure, Frank Ocean que King Krule.

Née à Londres en l’an 2000, Anaïs Oluwatoyin Estelle Marinho, de son vrai nom, est d’origine nigériane (par son père) et franco-tchadienne (par sa mère). Attirée par la poésie, elle explique lire aussi bien Joan Didion, Allen Ginsberg, Sylvia Plath, Zadie Smith (le titre de l’album est tiré du livre De la beauté) que les posts Instagram de l’autrice Nayyirah Waheed. D’où des textes à la fois travaillés et ancrés dans le concret, réussissant à planter le décor en quelques détails. Ouvertement bisexuelle, elle évoque sur Green Eyes les regards désapprobateurs dans la rue (« Could not hold my hand in public« ), ou les tourments d’un triangle amoureux sur Eugene, où le troisième élément est un garçon (« You play him records I showed you« ). Sur Black Dog, la jeune femme chante encore la déprime existentielle -« You do your eyes like Robert Smith/Sometimes it seems like you won’t survive this »

On ne trouve toutefois jamais aucun pathos dans la voix de Parks, mais bien une sorte de rumination bienveillante. L’écho d’un vague à l’âme, qui laisse pourtant toujours de la place pour une note d’espoir. À cet égard, Collapsed in Sunbeams n’est pas seulement la BO d’une vie anesthésiée par un virus vicieux. Il fonctionne aussi comme son parfait antidote mélancolique.

Arlo Parks

« Collapsed in Sunbeams »

Distribué par Transgressive/Pias.

8

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