Jawhar, arab strap

Jawhar © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Électron libre, fan de Nick Drake et de musique populaire algérienne, Jawhar Basti se partage entre sa Tunisie natale et la Belgique. Jongle avec sa compagnie théâtrale et un folk en arabe délicat et lumineux.

Mercredi. Début d’après-midi. Callenelle, un petit patelin du Hainaut occidental à deux minutes de Saluc, l’usine où ont été fabriquées les boules de billard utilisées par Tom Cruise et Paul Newman dans La Couleur de l’argent. Jawhar Basti joue les GPS humains pour nous sortir des sens interdits et attend devant chez lui, une coquette fermette dans une rue au calme apaisant. Jawhar revient tout juste du Liban où il a joué au festival Beirut and Beyond. « Un événement sur lequel souffle le vent de la nouvelle vague, raconte le bientôt quadragénaire. Le printemps arabe n’est pas un mythe. Je constate le réveil d’une jeunesse dont la voix a toujours été étouffée, tenue sous l’éteignoir. Parce qu’elle donnera de l’importance aux femmes. Parce qu’elle remettra en cause la société patriarcale. Et évidemment parce que, comme partout, ceux qui détiennent le pouvoir ne veulent pas que ça change. »

Jawhar a grandi à Radès, dans la banlieue sud et populaire de Tunis. Il débarque à Lille pour poursuivre ses études après le bac au milieu des années 90. Sa mère est prof de littérature. Son père bosse dans le théâtre puis la politique culturelle. « Mes parents avaient plus de considération pour le métier d’écrivain et de comédien que pour celui de musicien. Le musicien a un statut un peu particulier en Tunisie: on le voit comme un animateur de soirées, on l’associe aux cabarets, aux mariages et à une vie dépravée. Le joueur de oud Anouar Brahem, que j’ai adulé, m’a permis de réaliser qu’on pouvait faire de la musique un art majeur.  »

A Lille, Jawhar étudie l’anglais et le théâtre à l’Université et au Conservatoire d’art dramatique. Il s’achète aussi une guitare et commence à gratouiller dans son coin. Aidé par une subvention régionale, il enregistre son premier album avec le peu de fric et d’expérience qu’il possède. Epaulé par des Lillois du jazz, de la pop et du rock -notamment l’alors débutante Laetitia Shériff. Il sort le disque en autoproduction et envoie une copie au mensuel gratuit Rif Raf pour une chronique. « Fabrice Delmeire et Sébastien Carbonelle m’ont contacté. Ils m’ont dit qu’ils ne pourraient pas le critiquer parce qu’il n’était pas disponible en Belgique. Mais ils m’ont proposé de le distribuer avec la petite structure, Top 5 Records, qu’ils venaient de lancer.  »

Retravaillé, When Rainbows Call, My Rainbows Fly voit le jour chez nous en 2004 et fait son petit bonhomme de chemin. Jawhar a grandi avec Oum Kalsoum, Michael Jackson et Bob Marley. Mais à Lille, il s’est passionné pour le chaabi algérien. « Une vraie musique maghrébine vivante. » Et a craqué pour le folk de Nick Drake. En attendant, son disque reçoit un succès d’estime mais pas de foule. Doutes. Repli sur soi. Le Tunisien achète une ruine avec un jardin dans le centre de la France. Pense à changer de vie.

Le baiser et l’orientation de la prière

Mais la carrière de Jawhar rebondit en Tunisie. Sur le tournage de Trente (Thalathoun), de Fadhel Jaziri, dans lequel il incarne un méchant, « un rôle de composition » précise-t-il, il rencontre la comédienne et dramaturge Anissa Daoud. Associés au metteur en scène Lotfi Achour, ils décident de fonder une compagnie, les APA (Artistes Producteurs Associés), et signent une première création, Hobb Story, qui parle d’amour et de sexe dans le monde arabe. La pièce fait un carton en Tunisie. « Je pense que les gens étaient assoiffés d’un discours frontal qui ne se complaisait pas dans la langue de bois. Nous étions là pour mettre en exergue la schizophrénie entre ce que les gens disent et font. Pour affirmer la nécessité d’assumer son corps et sa vie sexuelle. Nous avons mis en scène des histoires vraies. Des histoires terribles dont on ne parlait pas dans les journaux, mais tirées de procès-verbaux sur lesquels nous avons mis la main grâce à des avocats. Le type qui immole sa femme parce qu’elle l’en a défié (elle ne l’a jamais dénoncé et lui s’est suicidé). Ou le mec de 20 ans qui viole une petite vieille. »

La pièce se base aussi sur la vieille littérature arabe et des textes du prophète. Elle mélange le théâtre, la vidéo, la musique. « Lotfi voulait des chansons et il aimait mon premier disque. Ecrire ces morceaux dans ma propre langue a débloqué quelque chose. Je suis revenu en Belgique plein d’idées et d’envies. »

Alors que le trio ancre McBeth dans les convulsions du monde arabe pour les Olympiades culturelles à Londres (un spectacle joué jusqu’au Brésil), Jawhar s’investit dans différents projets musicaux. Il enregistre son deuxième album à Beersel, au studio Pyramide. Qibla Wa Qobla signifie « Le baiser et l’orientation de la prière ». « Il mêle sensualité et mysticisme. Shahrayar Blues raconte l’histoire des Mille et Une Nuits à l’envers. Le roi y explique comment le sommeil le déserte après avoir assassiné sa femme adultère. Là où Ayech est une adaptation de Ali Riahi, un chanteur tunisien homo, une star dans les années 50, acceptée et adulée -ce qui ne me semble plus possible aujourd’hui: l’influence du Golfe et des autres pays arabes fait qu’on a régressé. La Tunisie s’est refermée sur elle-même. »

QIBLA WA QOBLA, DISTRIBUÉ PAR NAFF REKORDZ. ****

LE 19/01 À LA MAISON DES CULTURES DE SAINT-GILLES, LE 7/02 AU BOTANIQUE, LE 20/2 AU CENTRALE (GAND) ET LE 14/03 AU RAYON VERT (BRUXELLES).

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