Jasper Steverlinck: « Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’émotion »

© PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le nouvel album de Jasper Steverlinck, Night Prayer, place la voix dans un romantisme exacerbé qui doit autant au lyrique qu’au rock. Une pureté d’équilibriste.

Ces jours-ci, Studio Brussel -bonne pioche du service public flamand- met en ligne une vidéo de Jasper reprenant le Human de Rag’n’Bone Man. Le quadra (1976) y traite le tube soul selon sa technique habituelle: ralentir le tempo, désosser la mélodie sans la dépouiller et livrer le solde de nectar émotionnel à la guitare électrique et à la voix. Organe à quatre octaves « et plus » qui vaut à Steverlinck des comparaisons avec Jeff Buckley depuis ses débuts dans le groupe Arid, au milieu des années 90. D’où les sensations de renouer en ce printemps 2018 avec le larynx planant de Songs of Innocence paru en 2004, le premier album solo de Jasper. Onze reprises, de Colin Blunstone, Leon Russell, Madness, Dylan, Jann Arden ou Elton John, invitaient une merveille secondaire – Late Again de Stealers Wheel- et Life on Mars, l’incunable de Bowie. Sorti initialement pour un film flamand indie – Science Fiction de Danny Deprez-, le classique Bowie emballé par Jasper et les deux pianos à quatre mains des frères Kolacny (Scala) reste une quinzaine de semaines Numéro 1 au hit-parade néerlandophone belge. Logiquement, le jeune homme d’alors 28 ans aurait dû filer vers le succès global mais l’album est vite fauché pour cause de virus. « Dans la foulée, j’ai attrapé une toxoplasmose qui m’a complètement arrêté pendant 18 mois: au début, le docteur hésitait et me parlait de cancer, donc ça m’a soulagé que ce ne soit « que cela ». Quand je suis sorti de cet énorme coup de fatigue, l’effet Life on Mars avait disparu. »

Jasper, la bio? La famille Steverlinck est établie à Gand: pa & ma sont tous deux de formation psy, même si la mère ne pratique pas. Elle décèle par contre que le fiston Jasper « chante bien », ce qu’il fait d’ailleurs sans cesse, partout, avec ou sans spectateurs . Mais il faut que l’ado Jasper balance sa version de Break On Through des Doors -« je les adore »- dans un club de freaks flamands pour que s’annonce la vérité: cette tête de chérubin a une putain de voix. Celle qu’il balance dans le groupe rock Arid, tout de suite embarqué dans l’aventure: « On était signés sur le label belge Double T qui s’occupait de K’s Choice et on a eu un début de succès aux États-Unis. J’avais 20 ans et je me retrouvais à chanter à New York et Los Angeles. Pour le second album d’Arid, Sony International qui, entre-temps, avait racheté le label Double T, nous avait dit qu’il nous mettrait sur le marché mondial dès qu’on aurait un disque d’or en Belgique. » Même quand cela arrive, rien ne se passe. Un peu l’histoire de sa vie à l’export: le talent de Jasper a du mal avec l’industrie planétaire. Dans son studio campagnard flamand de Ronse, à une heure de bagnole de Bruxelles, il l’explique sans amertume: « À plusieurs reprises, j’ai pensé que c’était parti au-delà des frontières de la Belgique. À l’époque de Songs of Innocence , avec Arid, quand j’ai chanté avec des mecs de Guns N’ Roses à New York pour Tommy Hilfiger et puis aussi, avec le nouvel album Night Prayer . » La saga de l’album commence par un plan roastbeef: managé par la connexion Placebo -« ils m’avaient repéré lors d’un concert à la Grand-Place de Bruxelles où je chantais avec un grand orchestre »-, Jasper se retrouve en studio avec Jake Gosling, producteur au CV commercialement affolant (Lady Gaga, Ed Sheeran, Adele).

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Titanic anglais

Sans contrat discographique mais renfloué par deux saisons de coach au The Voice flamand, Jasper autoproduit les futures chansons de Night Prayer dans le studio de Gosling aux environs de Londres. Juste eux deux et une vision « contemporaine » du son qui, sur place, s’articule bien. Seulement, une fois rentré dans ses quartiers personnels, là où il vit avec sa femme et leurs deux jeunes enfants, une fois retombée l’excitation d’enregistrer avec de la star british, le sentiment est différent: « J’ai tout réécouté et j’ai eu le sentiment que comme chanteur, ce n’était pas moi. Où était passée la profondeur de la voix? J’avais perdu quelque chose en route, c’est sûr. » Confusion, déception, hésitation et puis décision d’abandonner le résultat des sessions anglaises, le lien au management britannique opérant le même Titanic. Face à ces morceaux qu’il ne faut pas laisser mourir, Jasper entend alors prononcer le nom de Jean Blaute, sexagénaire flandrien qui agite depuis un bout de temps le grigri de la réussite et pas trop mal: une trentaine de disques d’or et de platine à son actif. Le solde de Night Prayer -au passage n°1 au top belge ces temps-ci- s’écrit à l’ICP. Dans les confortables studios ixellois, « l’enregistrement se fait live, sans les éternels clicks, en une prise de voix, voire deux. Et la volonté que les histoires de vie et de mort que je chante soient là, sans s’encombrer des contingences digitales le plus souvent dictées par la technique. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’émotion. Point. »

Jasper Steverlinck – « Night Prayer »

Distribué par Sony Music. ****

Jasper Steverlinck:

Cela commence par un orgue lointain qui fait le drone avant que la voix -cette voix- n’atterrisse. Il y a du slow motion dans les chansons de Jasper, l’obligation de ne rien précipiter, y compris le nombre de titres: quatorze. Le mix, par exemple celui d’ Open Your Heart, insiste sur l’impression de chansons qui naissent doucement avant de s’effacer pareillement, comme une marée de la plage. Jasper sait aussi qu’il faut cadrer les horaires océaniques: c’est le but du single à succès, Here’s to Love, où la mélodie emporte tout, comme dans Need Your Love, autre moment d’intimité épique. Ou encore la superbe plage titulaire que n’aurait pas reniée le Neil Young de 1970. Le tout signé du producteur Jean Blaute qui s’assure de la limpidité assumée: celle d’une cathédrale mélo avec des manières de chapelle virtuose.

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Au Reflektor de Liège le 28/04 et au BSF le 17/08.

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