Jamie xx: « en club, j’ai eu comme une seconde épiphanie »

Jamie xx © Flavien Prioreau
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Jeune producteur prodige, remixeur ultracoté, Jamie Smith s’est finalement décidé à sortir un premier album solo. Avant de retourner au plus vite vers son groupe, The xx…

Il a l’air un peu puni, assis dans son coin. Les mains en-dessous de la table, Jamie Smith, dit Jamie xx, attend résigné le prochain journaliste -le énième d’une longue journée promo bruxelloise. En faisant un petit effort, et avec une moue un peu plus arrogante, il pourrait facilement incarner la nouvelle belle gueule de la scène anglaise. Au lieu de ça, il passe surtout pour le boy next door, droopy anonyme et transparent. Ce qui, pour le coup, doit très bien lui aller…

Habillé tout de noir, il a intitulé son disque In Colour (lire critique ci-dessous). C’est là son principal trait d’humour du jour -et on n’est même pas certain qu’il soit volontaire… Ce n’est pas la première fois que Jamie Smith sort un premier album. En 2009, avec son groupe The xx, il publiait xx, carton critique et populaire venu de nulle part. Même si son successeur, Coexist (2012), a moins marqué, l’album initial du trio formé avec Romy Madley Croft et Oliver Sim est devenu une sorte de classique. Un disque ovni qui ressortait les guitares twangy new wave et les combinait avec un spleen électronique de fin de nuit. « Pour moi, The xx est d’abord un groupe soul. Ce qui dans ma tête est moins une question de son que de feeling, d’attitude. » Par ailleurs, The xx symbolise bien le basculement du moment: vrai groupe de potes qui passent aussi tous pas mal de temps sur le Net, en bons « digital natives », chacun reclus dans sa chambre, « chattant » et envoyant des fichiers sons aux deux autres…

Il y a tout de même une anomalie dans le plan The xx. Alors que l’ambiance est à l’auto-célébration et au buzz permanent, le trio a toujours préféré l’effacement. Des anti-stars se planquant derrière deux « x ». Interviewer les deux voix du groupes, Romy Madley Croft et Oliver Sim, s’apparente ainsi toujours à un pari -pas désagréable, mais souvent un peu vain. Comparés à Smith, responsable des programmations électroniques et de la production, les deux sont cependant de vraies pipelettes. Interroger le troisième larron donne en effet encore davantage l’impression d’être dans la peau d’un inspecteur de Guantanamo. L’homme est charmant, disponible, à l’écoute. Mais ses réponses sont souvent arrachées. « L’interaction avec les autres n’est pas mon fort », avoue-t-il… Sur In Colour, il y a notamment ce morceau, I Know There’s Gonna Be (Good Times), sur lequel interviennent le rappeur américain Young Thug et le Jamaïcain Popcaan. « Je ne les ai pas rencontrés directement. C’est dommage, mais d’un autre côté, ce n’est pas toujours évident de se retrouver en studio avec des gens que vous ne connaissez pas. Je ne suis jamais très à l’aise… »

D1 de la ligue pop

Si la flamboyance n’est donc pas dans le style de la maison, la prétention et la crise d’ego non plus. Pas question par exemple, même pour un premier projet solo, d’écarter du projet ses potes de The xx. « Surtout pas! In fine, si je peux sortir cet album, c’est grâce à eux. Vous savez, je ne suis pas très doué pour aller vers les gens, pousser les choses… S’ils n’avaient pas été là, j’aurais continué à faire de la musique dans mon coin. » Et? « Je me rends compte aujourd’hui que je n’aimais pas trop le résultat. A certains égards, cela ne me correspondait pas vraiment. Le groupe m’a permis de grandir. » A l’écouter, In Colour ne serait même qu’une parenthèse, à refermer le plus vite possible avant de passer à la suite de The xx.

La modestie n’est pas feinte. A se demander comment Jamie Smith, 26 ans à peine, a pu se retrouver là où il est maintenant, en D1 de la ligue pop, remixeur ultracoté (Adele, Florence & The Machine…), auteur d’une relecture remarquée de l’ultime album du grand Gil Scott-Heron (We’re New Here), cité par Drake (Take Care)… « La musique a toujours été mon premier choix, le seul en fait. En 2006, j’ai dû trancher: m’inscrire à l’unif ou me lancer dans une première tournée merdique. Je n’ai pas hésité. » Il n’y avait donc pas d’alternative? « Non. Enfin, si: le skate », rigole-t-il à moitié (on le voit errer dans les rues sur sa planche, aux côtés de Romy, dans le clip de Loud Places).

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Au départ, gamin, il s’essaie déjà un peu à la batterie, ou au saxo. Mais sans jamais prendre de cours. « L’école, cela n’a jamais été trop mon truc. » A l’adolescence, il se retrouve quand même inscrit à la fameuse Elliott School de Londres, où sont passés Burial, Four Tet, ou les gens de Hot Chip. Un peu avant, pour ses dix ans, il a reçu des platines de son oncle DJ. « Il m’a filé aussi une paire de maxis de house music. Ils étaient vraiment pourris, mais cela m’a permis de m’exercer. » Il se retrouve à seize ans à mixer dans des bars -moins pour faire danser que pour servir une musique de fond branchouille. Quand il tombe dans la musique électronique, c’est d’ailleurs d’abord via les albums d’électronica cérébrale et les radios pirates, plutôt que sur la piste de danse. « Du coup, quand j’ai commencé à sortir en club, j’ai eu comme une seconde épiphanie. J’ai complètement redécouvert les musiques électroniques, leur « physicalité », l’impact qu’elles peuvent avoir sur les corps. » Il passe ainsi pas mal de temps au Plastic People, club légendaire de la capitale, qui a dû récemment fermer ses portes. « Je sortais souvent seul. Juste pour écouter la musique pendant des heures. Aujourd’hui c’est moins le cas. J’aime toujours ça, mais j’ai appris à apprécier aussi l’aspect plus social et collectif des soirées. »

C’est un peu ce que raconte d’ailleurs In Colour, disque voyageur, partant toujours de l’héritage dance British (du UK garage au dubstep, du son du steelpan caribéen à celui des radios pirates), mais pour mieux aller voir ailleurs. « Aujourd’hui, je connais plus de musiques, plus de styles. » Ce qui, avoue-t-il, lui donne plus recul, de libertés, mais aussi d’occasions de sur-réfléchir et gamberger. « Entre 18 et 26 ans, c’est une période assez charnière. Pour tout le monde. Si ce disque doit illustrer quelque chose, c’est ça: le fait de grandir, d’évoluer, d’acquérir une certaine confiance en soi… En gros, devenir une personne adulte, presque normale. » Presque.

Jamie xx – In Colour ***

De son propre aveu, le premier essai solo de Jamie Smith, bidouilleur en chef du trio xx, aurait dû se limiter à une mixtape gratuite; In Colour est finalement un véritable album. Sur les onze morceaux, Stranger In a Room est celui qui aurait pu aboutir sur un disque de The xx. Pour le reste, Smith creuse son esthétique post-dubstep de fin de nuit, fouillant dans l’histoire récente de la dance made in UK (Gosh). Mais tout n’est pas que mélancolie urbaine, au contraire. Quand il n’épate pas par sa facilité à dégainer la virgule mélodique qui fait mouche, Smith réussit plusieurs sorties de spleen, du surprenant Good Times à Girl.

DISTRIBUÉ PAR XL RECORDINGS.

EN CONCERT LE 21/08, AU PUKKELPOP, HASSELT; LE 23/10, À L’AB, BXL.

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