Ivan Tirtiaux: « J’ai compris au Brésil qu’il fallait que je chante dans ma propre langue »
Un premier album sous perfusion chanson, jazz et Brésil. Des mots déviés de la routine et les parfums d’une voix de pluie. Ivan Tirtiaux, le charme discret de la mélodie.
Au naturel -mince, plutôt grand-, il rappelle Pierre Clémenti jeune. Oui, l’acteur de Belle de jour qui semait aussi le trouble chez Pasolini. Moins de venin arrogant mais une même teinte de cheveux défaits et ce charbon naturel qui souligne le dessous des yeux. Où des lèvres tiendront peut-être leurs promesses charnues, comblées par l’onde des mots: « Printemps tu n’es qu’un sombre charlatan/Comme tu te défiles/Par-dessus les tuiles tu nous le sers encore longtemps/Ton sirop de grenouille? » (Charlatan). Cet album bien nommé (L’Envol) s’acharne à saisir la couleur du vent et du temps. Avec l’obligatoire météo internationale, orages du coeur et crachin des veines inquiètes. « Viens dans mon mirage/Dans ma galerie/De rosiers sauvages/Au-dessus des débris/Quel heureux présage/Ce bel amour qui/Nous montre son visage/D’ange épanoui » (Présage). Oui, chez Ivan, des anges passent dans le ciel des chansons qui ont les pieds dans la tradition, peut-être bien celle des années 60/70. Un peu comme Ferré revu par Milton Nascimento, ou Brassens -son « Shakespeare« – kidnappé par Chico Buarque. On parlera donc forcément du Brésil, dans la conversation tenue au centre de Bruxelles, à deux pas de la répétition menée en compagnie des trois musiciens multi-instrumentistes, Raphaël Dumas, Daniel Vincke et Matthieu Vandenabeele. De ces décalages sensuels, subtilement défiés par quelques cordes perchées, un banjo, un Farfisa, poussent des sentiments divers: la musique s’approche, enroule, berce, plane -fluide sous hypnose. Pour la seule reprise des onze titres, Tirtiaux va chercher la poésie de La Guitare d’Aragon qu’il aime pour sa vie « passionnante », ses audaces de ponctuationet la qualité mercuriale des alexandrins: « Oh la guitare, oh la guitare! Elle fait nuit mieux que la nuit/Les larmes sont mon seul nectar, tout le reste n’est que du bruit. » Quand Ivan s’est fait voler la sienne (de guitare) à Liège il y a deux ans, une acoustique pratiquée depuis des années, il en a perdu ses marques. Oiseau sans tête ni repère, soldat désarmé, manuel sans truelle: « Dans ma musique, l’équilibre tient beaucoup à la façon dont la voix s’accouple à la guitare acoustique. Quand j’ai fini par récupérer mon instrument -qui avait sans doute été fauché par un tox-, j’ai pu reprendre un dialogue interrompu. Avec d’autres guitares, je n’étais plus le même musicien. »
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Elève Tirtiaux
Né en janvier 1977 à Charleroi, Tirtiaux grandit au nord de celle-ci, à Fleurus. Son père Bernard est artisan, maître-verrier: « Mais il a également écrit des livres (Le Passeur de lumière entre autres, ndlr), fait du théâtre, c’est d’abord un raconteur d’histoires. J’en entendais également beaucoup avec ma mère puisqu’elle tient La ferme du Martinrou, ferme reconvertie en théâtre où je voyais des spectacles à textes, des musiciens, des folkeux. » De ces années-là, Ivan retire le goût des mots et des musiques: « Aragon par Ferré plutôt que par Ferrat, et puis tout ce blues, Skip James, Son House, Robert Johnson, Leadbelly. J’aime les chanteurs-guitaristes, c’est pour cela que le Brésil me touche autant: aussi parce que leur musique populaire n’a rien de la merde qu’elle peut être chez nous (sourire). Ils arrivent à rendre simple la complexité, présenter des textes d’une grande beauté. Chez Chico Buarque, les cadences harmoniques sont totalement surprenantes, moins attendues que dans le jazz, et hyper modernes. » Le passage au Conservatoire flamand de Bruxelles ne se fera pas sans douleur: on reproche à l’élève Tirtiaux une trop grande dispersion. Il y reste quatre ans, assez pour pouvoir décrypter les chansons miracles de la samba-bossa et des innombrables rythmes du continent Brésil. Il en est tellement raide de cette musique-là, « surtout du vintage des années 60″, qu’il finit par aller voir sur place. Trois mois en 2000 passés dans une boucle Rio-Bahia et des bribes de concerts improvisés çà et là: « Jusqu’alors, je ne chantais qu’en anglais, notamment dans un groupe funk décalé, Capsicum, très influencé par Sly Stone et Parliament. On portait même des capes en scène et j’ai pleuré lorsque j’ai vu Sly en concert à Gand il y a quelques années… Et puis là, au Brésil, face à une culture qui n’avait rien cédé à l’anglo-saxon, j’ai compris qu’il fallait que je chante dans ma propre langue. Même si en revenant de voyage, j’avais ce pays en tête et que je m’étais même mis à chanter en portugais (sourire).«
Capacités pulmonaires
Le charme de L’Envol tient pour beaucoup à la voix: funambule, crayeuse, modulable. Hélium tendance volatile. Ivan proteste lorsqu’on le questionne sur ses capacités pulmonaires: « Tu trouves que je n’ai pas tellement de volume? Tu aurais dû entendre comme ma voix couvrait le funk et les cuivres chez Capsicum (sourire). Mais le français n’autorise pas les mêmes rémoulades. Ce disque, je l’ai travaillé comme la recherche d’un Graal, quelque chose qu’on ne pourrait pas dater, indémodable, intemporel. Je fais un peu les choses à l’ancienne -tout en écoutant aussi des musiques actuelles-, comme utiliser du papier à musique ou pratiquer le circuit analogique. Sans pour autant refuser l’électronique: elle arrivera peut-être dans de futures compositions. » Le poids des morceaux vient sans doute de leur existence prolongée: beaucoup ont bénéficié des quelques 500 concerts déjà bourlingués avant le disque. Elles ont donc « traîné » (sic) sur des années, ramassant au passage les alluvions du quotidien, des chagrins, de la naissance aussi -Ivan a une fille de douze ans-, toutes façons de mettre la pluie en bouteille. On pourra le découvrir via une dizaine de dates, en duo ou quartet, programmées en Belgique d’ici la fin décembre. Le printemps Tirtiaux promet d’être chaud.
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« Il suffit d’une chute pour connaître l’envol », chante Ivan Tirtiaux sur son premier album. Si on ignore la nature de la gamelle en question, le décollage lui est indiscutablement spectaculaire. Disque de chansons boisées et de folk lumineux, L’Envol parle de vin blanc, d’herbes sèches et de grand large. On pense éventuellement à Dick Annegarn pour le grain de voix éraillé ou à JP Nataf (Charlatan). Cela ne suffit toutefois pas à résumer un album qui trempe sa mélancolie automnale aussi bien dans le blues que dans la bossa (La Marche du soleil, Ta tristesse), se permettant même de reprendre les mots d’Aragon en fin de parcours (La Guitare).
DISTRIBUÉ PAR PIAS. ***
EN CONCERT CE 25/10, À L’ESPACE DELVAUX, 1170 BRUXELLES
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