Insecure Men/Warmduscher/Fat White Family: Saul Adamczewski, génie déglingué

Adamczewski n'a pas la tête et l'allure d'un sportif de haut niveau mais il a pour l'instant relativement bonne mine. © Sacha Lecca
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Il s’est fait bannir des Holiday Inn, virer d’une tournée de The Coral et même de son groupe la décadente Fat White Family… Qui est vraiment Saul Adamczewski? Réponse sur fond de soft music et de rock vicelard. Provocation, déglingue, génie et addictions…

Il préfère l’intimité moite et l’odeur masculine de sa loge (ils sont sept entassés dans 20 petits mètres carrés) au soleil et à la verdure de la terrasse. Il est quatre heures de l’après-midi aux Nuits Botanique et Saul Adamczewski n’est pas encore défoncé. Certes, il a le regard scintillant d’un zombie et le sourire non rafistolé d’un bon vieux Ken Loach mais le guitariste de la Fat White Family a le visage assez sain et les idées plutôt claires. Saul Adamczewski est un peu le Syd Barrett du XXIe siècle. Ou plutôt, pour l’instant, une espèce de croisement entre l’ancien Pink Floyd, Baxter Dury et Brian Wilson. Si la Fat White Family est ce qui est arrivé de mieux au rock anglais depuis 20 piges, Saul, son génie cramé, est né il y a 30 ans, le 22 septembre 1988, dans le sud de Londres au Camberwell’s King’s College Hospital. « J’ai grandi dans le coin. Ma mère était assistante maternelle et mon père était chef. » Au divorce de ses parents, il s’en va vivre avec son frère et sa génitrice à Tulse Hill, près de Brixton. L’enfant est difficile. À onze ans, il se fait virer de l’école pour avoir attaqué physiquement l’un de ses professeurs. Il échoue dans un établissement scolaire hippie expérimental où les élèves décident de tout. En ce compris de le virer (ce qui deviendra, on va le voir, l’histoire de sa vie). Puis dans un autre pour gosses en difficultés aux allures de quartier de sécurité avec des alarmes aux portes. C’est en en sortant qu’Adamczewski lance au milieu des années 2000 son premier groupe: The Metros. Signature sur 1965 Records, label fondé par James Endeacott (The Libertines, The Strokes). Saul a alors 18 ans. « On avait quelques fans dans le sud de Londres. Des mecs de notre âge. On a conclu un deal et enregistré un disque qui n’était pas génial, More Money Less Grief . Puis on l’a sorti. Personne ne l’a aimé. Et on s’est fait jeter. »

La brève histoire des Metros (trois ans seulement) sent déjà le soufre, la drogue et le rock’n’roll. Saul et ses potes se font bannir de la chaîne d’hôtel Holiday Inn et virer de la tournée des Coral dont ils assurent la première partie. Les charges? Trop turbulents, énervés et enclins à arroser de bière les potes et le matos des Liverpuldiens. « À l’époque, je n’étais même pas tant que ça dans la musique. J’étais surtout branché par les fringues Mods et l’ecstasy. Mais on s’est quand même produit au Japon. C’est là que j’ai rencontré Joey qui joue du clavier dans Insecure Men. On a fait connaissance au Summer Sonic, dont on s’est sauvés une fois qu’on a trouvé les gens avec qui passer la meilleure soirée. » « On a échoué dans un karaoké beuverie, se souvient Joe Isherwood, l’alcoolique acolyte en question. On a bu, bu et encore bu avec des Japonaises avant de se rendre compte qu’on devait 500.000 yens ou un truc du genre. Le mec nous a chassés aussi loin qu’on est parvenus à courir. »

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Attentat, héroïne et désintox…

Avec Lias et Nathan Saoudi, frères britanniques aux origines berbères qui traînent dans des écoles d’art sans trop y croire, Adamczewski fonde en 2011 la Fat White Family. Humour noir, paroles provocantes, comportement de têtes brûlées… Les Fat White boys sont l’antidote à la gentrification de Brixton et à l’embourgeoisement du rock, pas qu’anglais d’ailleurs. Ils fêtent la mort de Margaret Thatcher avec une banderole « The bitch is dead » et créent une page Facebook « Yuppies Out » quand un restaurant Champagne + Fromage ouvre dans leur quartier. Disques brillants et malsains, concerts incendiaires… Les sales gosses de cette famille un peu consanguine s’imposent comme les rejetons déglingués de The Fall, des Cramps, du Brian Jonestown Massacre… Les Londoniens enchaînent les couvertures de magasine, remplissent les salles de concert et les colonnes les plus trash des pages people.

Dans l'arbre généalogique d'Adamczewski se promène aussi le génie timbré d'un Brian Wilson.
Dans l’arbre généalogique d’Adamczewski se promène aussi le génie timbré d’un Brian Wilson.© DR

Bastons, exhibitionnisme, came, addictions… La vie du groupe est tout sauf un long fleuve tranquille. En 2015, Saul s’aventure sur d’autres terrains. Avec Lias pour épauler le groupe de Sheffield Eccentronic Research Council (la collaboration débouchera sur la création du vrai faux groupe The Moonlandingz) et avec son pote d’enfance Ben Romans-Hopcraft au sein des expérimentaux et sauvages Warmduscher. « L’endroit de notre première rencontre? C’est de l’archéologie, sourit Ben. On parle de l’ancêtre de la plaine de jeux. On devait avoir sept ou huit ans. Saul n’a pas exercé une influence trop néfaste sur moi, non. Il a seulement essayé. Avant d’être dans un groupe, il vendait des chaînes en or devant mon école. S’il n’était pas devenu musicien, il serait sans doute bijoutier sur Camden Market. Bijoutier ou maquereau… » Les deux mecs se marrent. Semblent sur la même longueur d’ondes alors que tout a l’air de les opposer. Tempérament calme, hygiène de vie saine…: Romans-Hopcraft semble être la petite voix qui sait remettre son génie de pote sur le droit chemin quand il le faut. « Ben est vraiment un bon musicien. On a continué de se voir au fil des années. On bosse dans la musique tous les deux. On a toujours fréquenté les mêmes cercles. Quand je me suis fait éjecter de la Fat White, je me suis dit que ça avait du sens. Je n’avais rien d’autre à foutre. Je ne sais pas vraiment dire à quand ça remonte. »

Le garçon, on l’excusera, n’est pas très à l’aise avec le calendrier et la ligne du temps. Apparemment, les faits remontent au 13 novembre 2015. Jour de l’attaque terroriste au Bataclan. La Family joue ce soir-là à Paris. À la Cigale pour être précis. « Je ne me souviens pas de grand-chose, reconnaît Saul qui avait apparemment refusé d’évacuer les lieux parce qu’il y avait fixé rendez-vous à un dealer d’héroïne. J’étais assez loin je dois dire à l’époque. Je suis d’ailleurs parti un peu plus tard faire une cure de désintoxication aux États-Unis. Quel type de rehab? C’était le genre d’endroit où tu prends des drogues psychédéliques vraiment fortes. Ça te fait tripper pendant une semaine et te sentir comme une grosse merde pendant un mois. C’est censé avoir des qualités spirituelles que je ne trouvais pas en moi. C’était de la désintoxication holistique. Un truc de branleurs hippies américains capitalistes. Ça n’a pas vraiment marché (tout le monde rigole un par un dans la pièce) . Enfin, disons que ça a marché pendant cinq minutes. Tu sais ce que c’est… »

De Gary Glitter à Whitney Houston

Adamczewski n’a pas la tête et l’allure d’un sportif de haut niveau prêt à s’avaler un Iron Man mais il a pour l’instant relativement bonne mine. L’album d’Insecure Men, auquel Ben a largement contribué, est né il y a deux ou trois ans. Après des répétitions de Warmduscher au Queens Head, le pub de Brixton qui leur servait alors de Quartier Général. « C’est là que les choses ont vraiment commencé et qu’on s’est mis à jouer de la soft music, retrace Saul. Toutes ces merdes noisy finissaient par nous filer la migraine. C’était aussi l’occasion pour une fois de ne pas réveiller les voisins… » Une chanson de Noël haïtienne par-ci, un petit tour chez David Lynch par-là… « On a voulu jouer avec un tas de trucs qui nous branchaient. Harry Nilsson, Denim, Go-Kart Mozart, Felt, les Carpenters, les productions de Joe Meek, la lounge fifties, l’Exotica de Les Baxter, Martin Denny et celle hippie d’Eden Ahbez dont tu dois à tout prix écouter le disque Eden’s Island. On a aussi pensé à la musique des dessins animés de notre enfance et à celle enregistrée par des gosses dans les années 60.  »

Adamczewski avait immortalisé les reprises lo-fi de Karaoke for One (Wicked Game de Chris Isaak, le Streets of Philadelphia de Springsteen…) chez sa petite amie à Paris. Il a enregistré les premières démos de l’album dans le corridor de Sean Lennon à New York pendant qu’il y bossait avec Moonlandingz. Enrôlant pour l’occase Cole et Zumi des Black Lips. Lias a participé à l’écriture de la moitié des titres présents sur le disque. On y entend aussi entre autres Marley Mackey, le fils de Steve, bassiste de Pulp. « Sean joue sur toutes les chansons. Il en a écrit des bouts et a tout coproduit. Il nous a amené le studio, l’équipement… On n’aurait jamais pu faire ce disque sans lui. « 

Dans l’arbre généalogique d’Adamczewski se promène aussi le génie timbré d’un Brian Wilson. All Women Love me en est le plus bel exemple. « On est de grands fans. C’était un petit peu le cahier des charges de cette chanson: « Let’s sound like an english kind of Beach Boys! » Les Beach Boys ont de superbes chansons, d’incroyables harmonies et mélodies. Et Wilson est un putain de freak. Il avait de drôles de frères et un père violent. C’est une excellente histoire. En plus, ils avaient de belles chemises et des bonnes dents… » Saul a le sens de l’humour. Le titre Mekong Glitter? « L’histoire légendaire de Gary et de ses crimes à l’Est (affaires de pédophilie et d’abus sexuels, NDLR). On a essayé de sonner comme lui. Ce qui était incroyablement profond et intelligent. » Whitney Houston and I? « C’est censé être un morceau que sa fille lui chante dans l’au-delà, de tombe à tombe. Elles sont mortes toutes les deux sous les eaux, dans leur baignoire. »

Baxter Dury, Boney M. et George Michael

Insecure Men/Warmduscher/Fat White Family: Saul Adamczewski, génie déglingué

Racines polonaises, juives, teutonnes (son grand-père paternel fut un soldat nazi)… Adamczewski ne s’encombre pas de considérations futiles comme se faire remplacer une dent (qu’a fait sauter le bassiste des Metros quand il avait 18 ans). Anti star-system, il préfère les ruelles obscures aux tapis rouges. Une vocation? « J’ai beaucoup écouté les disques de ma mère quand j’étais gamin. Il y avait en permanence de la musique à la maison. J’ai vraiment baigné là-dedans. Mon frangin et moi, on faisait des danses synchronisées sur les mixtapes de son petit ami. Il y a des groupes que j’écoutais à l’époque qui ont clairement influencé Insecure Men. Colorblind James Experience et son vibraphone notamment… Mais je n’ai jamais eu de révélation. Ça marcherait peut-être bien pour ton histoire. Je me souviens quand j’ai commencé à apprendre la guitare, je n’allais pas aux cours. Je restais assis dans le hall de l’école à jouer de la gratte. Tout le monde s’en foutait. Parce qu’au final, pour une fois, je faisais un truc d’un peu constructif. Je me suis dit: « Super, tout le monde est content. Je n’ai pas besoin de faire autre chose. » Et c’est encore comme ça que je vois le truc aujourd’hui. »

Le mec a plutôt du pain sur la planche. Il sort ces jours-ci le nouvel album de Warmduscher. « On avait pris pour habitude de tout improviser mais maintenant, jouer de vraies chansons, ça change tout. On ne peut pas tenir plus de 20 minutes. » (1) Il va aussi bientôt s’envoler pour New York avec son pote Ben pour les démos du prochain Insecure Men auxquelles devrait participer cette vieille connaissance de Baxter Dury. « Il a produit mon premier album. Celui des Metros. Je le connais depuis des années. On a eu le même manager. Le même manager et les mêmes blessures. J’aimais vraiment beaucoup ses disques avant Happy Soup. Len Parrrot’s Memorial Lift . Ses trucs sur Rough Trade. Tu l’avais récupéré pour une interview complètement cuit avec les mêmes fringues depuis trois jours? Sache que maintenant, il fait son jogging quotidien. C’est devenu un mec sain. Il a bossé sur le nouveau Fat White. » D’ores et déjà enregistré, le disque devrait sortir d’ici fin 2018, début 2019. « La direction? Pop. Beaucoup plus pop. Pense à Boney M. et George Michael… »

(1) Leur concert à Eurosonic en janvier dernier a duré dix minutes. Quinze à tout casser. Saul: « Eurosonic? C’est où? Je ne me souviens pas. T’es sûr? J’étais là? »

Insecure Men, distribué par Fat Possum/V2. ****

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Warmduscher: « Whale City »

Insecure Men/Warmduscher/Fat White Family: Saul Adamczewski, génie déglingué

Side project, supergroupe. Pour le troisième Warmduscher (traduisez par mauviette), Saul Adamczewski retrouve Jack Everett (ancien batteur de la Fat White Family), Ben Romans-Hopcraft (à ses côtés dans Insecure Men) et le chanteur Clams Baker alias Mutado Pintado échappé de Paranoid London… Une affaire de famille donc. Et une tornade d’album qui fait dans le rap rock de Blancs (Standing on the corner), le post-punk à la Pere Ubu, la soul malade survoltée (1000 Whispers) et le garage enragé à la Thee Oh Sees (Big Wilma) pour mieux s’éteindre sous les lampions et les cocotiers (Summertime Tears). Whale City, ville imaginaire dont le disque est la chronique, ne manque ni de couille ni de groove. Bordélique, varié, sauvage et « jouissivement » chaotique.

Distribué par The Leaf Label/Konkurrent. ****

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