Gros plan sur le métier d’éditeur musical, acteur méconnu de l’industrie du disque

Pierre Mossiat (à gauche) et Michel Lambot (à droite) exercent un métier de l'ombre essentiel pour faire vivre le patrimoine musical. © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Pierre Mossiat et Michel Lambot, patrons de Strictly Confidential, maison d’édition musicale bruxelloise, parlent de leur travail marathonien. Celui qui consiste à placer les chansons d’un catalogue de 500.000 titres dans des disques, films ou pubs.

Depuis 1999, Pierre Mossiat (Namur, 1964) et Michel Lambot (Farciennes, 1960) sont partenaires et actionnaires dans la gestion de Strictly Confidential, qui gère « environ 25% du marché belge de l’édition musicale« . Le troisième larron, Kenny Gates, a quitté l’affaire il y a un an, pour se concentrer sur la direction de PIAS dont il est CEO. Il existe bien une proximité entre le fameux label de disques belge et Strictly Confidential, dans la mesure où Michel Lambot a été le cofondateur avec Kenny de PIAS en 1982/1983, et qu’il en est toujours administrateur. Vous suivez la piste? Celle d’un métier pas forcément public, peu connu, aux ramifications forcément internationales puisque les chansons ne connaissent pas de frontières. L’édition étant essentielle à la (sur)vie des auteurs-compositeurs-interprètes comme à la diffusion de la musique.

En quoi consiste le travail d’éditeur musical?

Pierre Mossiat: On représente d’abord les auteurs-compositeurs, également lorsqu’ils sont aussi interprètes. Il y a un boulot administratif en lien avec toutes les Sabam du monde, afin qu’elles puissent collecter les droits des titres en édition chez nous et nous en ristourner l’argent. Vu le streaming et le volume de data musical absolument inoui, il est indispensable d’avoir les outils pour gérer tout cela, au niveau international. Au final, c’est un travail de précision et de profondeur.

Michel Lambot: L’idée au départ est de signer des artistes avec lesquels on a des rapports en tant que management ou producteur. D’où l’intérêt d’une proximité avec PIAS. C’est un peu une pièce rapportée: il vaut mieux être éditeur que de ne pas l’être (sourire). Mais très rapidement, chez moi comme chez Pierre, il y a une volonté de bien faire le travail et pour cela, il faut mettre en place des structures, faire des économies d’échelle et représenter des catalogues d’autres sociétés, devenir sous-éditeur…

« On fait circuler la musique, on ne sait jamais ce qui peut advenir d’une bonne chanson qui est quelque chose de magique, d’unique, d’irremplacable. »© PHILIPPE CORNET

Pratiquement, il s’agit de placer des chansons en pubs, films, séries et bien évidemment sur disques!

PM: Oui. On essaie de combiner l’édition à l’ancienne -celle qui vendait Charles Aznavour- à des artistes contemporains. Par exemple, on a placé des titres d’auteurs-compositeurs signés chez nous sur l’avant-dernier album de Vanessa Paradis, parce qu’elle avait fait un duo avec Carl Barât sur l’une de ses compos, qui est lui chez Strictly. Et comme on est également l’éditeur de François Villevieille (du groupe Éléphant), on a très simplement présenté la chanson à Vanessa. C’est le travail à l’ancienne, qui consiste aussi à organiser des rencontres. Notre sous-éditeur allemand nous avait informé que le rappeur Casper -très connu outre-Rhin- cherchait des titres, on en avait parlé à Tom Smith, des Editors, que l’on a envoyé trois jours à Berlin. Il en est ressorti une chanson numéro 1! C’est aussi Strictly qui a démarché le directeur artistique de Johnny avec des titres de Miossec, qui en a retenu une demi-douzaine.

ML: L’éditeur travaille sur la longueur. Là, on a signé un jeune gars, Antoine Innocent. Il va rentrer en studio en mars, l’album va sortir en septembre, et les maisons de disques vont avoir des rentrées qui tomberont à la fin de l’année. L’éditeur, lui, va commencer à toucher de l’argent un an plus tard. C’est très très long. Il y aura longtemps que l’exploitation du disque sera terminée, que le producteur (financier) ne touchera plus de sous. Et quand l’artiste le rappellera, si le disque n’a pas marché, le producteur lui dira de plutôt téléphoner le lendemain (Sourire). Alors que pour nous, l’auteur-compositeur continuera à exister. Les creux ne sont pas graves, l’éditeur est un marathonien. Qui écoute les démos.

Votre plus étonnante affaire?

ML: On est devenu sous-éditeur pour le monde entier, hors Espagne, de Guantanamera, le classique. Un petit éditeur espagnol avec lequel on travaille nous avait cédé plusieurs titres qui viennent du répertoire cubain, dont celui-là. Cuba n’a pas ratifié les conventions internationales du droit d’auteur, Rome et Berne. Et que se passe-t-il quand une chanson est du domaine public? Les arrangeurs prennent 85% du droit d’auteur. Là, on pouvait intervenir. Donc, on s’est retrouvé avec 135 arrangements déposés, dont 80 aux États-Unis. Il a fallu dire aux arrangeurs que, contrairement à ce qu’ils croyaient, le titre n’était désormais plus du domaine public, qu’on le représentait: donc, à partir de maintenant, soit vous arrêtez de commercialiser la chanson arrangée, soit on fait un deal! Donc, les pourcentages des arrangeurs ont baissé, forcément, et ont amené une sacrée différence dans les poches des auteurs-compositeurs.

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Peut-on avoir une idée des prix pratiqués?

ML: Le prix d’une licence est terriblement variable. Pour un travail de fin d’études en cinéma, ce sera gratuit, mais il ne faut pas l’écrire (sourire). Même chose pour une utilisation non-commerciale, genre Amnesty International. La synchro -comme on la nomme- peut partir de 500 euros pour l’utilisation d’un titre dans un documentaire, jusqu’à 150.000 dans une fiction internationale.

PM: L’utilisation dans une pub, genre campagne pour une marque de bagnole ou un parfum -les plus lucratifs- peut dépasser le million d’euros. Mais ce n’est pas notre quotidien.

Dans quelle mesure la notoriété de l’interprète compte-t-elle vraiment?

PM: ça dépend. Là, on vient de placer un titre des Pixies, Where’s My Mind. Le groupe n’est pas chez nous en édition, mais dans notre staff, on a des préposés à la synchro qui sont en relation avec les agences de pub. L’une d’entre elles demande le titre des Pixies pour une campagne Thierry Mugler mais l’enregistrement du groupe n’est pas disponible parce que les membres ne sont pas tous d’accord pour l’utilisation de leur musique en pub. Par contre, Frank Black, seul auteur-compositeur de la chanson, est, lui, d’accord pour son placement dans la pub. On a donc proposé la version de la chanson par Nada Surf -qui est chez nous- et donc négocié cet enregistrement avec l’éditeur de Frank Black. Là, on est en train de t’embrouiller (rires).

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ML: Ce qu’on veut dire avec cet exemple, c’est qu’au final, c’est la chanson qui compte et que cela peut parfois prendre des chemins compliqués. La notoriété de l’auteur-compositeur va intervenir dans le deal qu’il a avec son éditeur: une répartition de 70% pour l’auteur et de 30 pour l’éditeur est dans la norme. Dans les années 60, on en était plutôt à 50-50.

PM: L’éditeur d’une grande chanson des années 1920-1930 ou du Boléro de Ravel -qui est maintenant dans le domaine public- c’est une rente à vie.

Il y a des morceaux qui reviennent de nulle part?

ML: Oui, un titre du groupe The Sabres of Paradise, un maxi techno adapté de Lamont Booker sorti sur un petit label américain dans les années 90. Un journal anglais l’a voulu pour une pub télé: d’abord trois mois pour la région de Londres et puis, au final, pour toute la Grande-Bretagne, à durée illimitée, tellement le journal avait fini par être identifié à cette musique-là. En plus, la même année, le morceau a été repris pour une pub Microsoft en Suisse et encore pour une troisième synchro. Pourquoi? Mystère. On a retrouvé le mec, qui travaillait dans un bar à Berlin et il s’est remis à faire de la musique… Il a dû toucher quelque chose comme 50.000 euros.

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Votre avenir en tant qu’éditeurs?

PM: L’éditeur est plus que jamais important dans le développement d’une carrière d’auteur-compositeur-interprète. Et une bonne chanson n’est jamais terminée. On fait circuler la musique, on ne sait jamais ce qui peut advenir d’une bonne chanson qui est quelque chose de magique, d’unique, d’irremplacable. L’éditeur ne fait pas la course au tube mais fonctionne à la carte avec l’artiste. Il n’y a pas UN schéma d’éditeur. Nous sommes à géométrie variable.

La mutation de l’édition?

ML: Comme on vit une époque sans taux d’intérêt, qu’il y a une épargne monstrueuse à placer, il y a une fiduciarisation du droit d’auteur. L’un des trucs qui fonctionnent très bien, c’est l’or et l’immobilier mais là, les prix deviennent très chers. Donc, les fonds d’investissement achètent aujourd’hui du droit d’auteur sur des chansons. Très cher. En général, ils paient trop par rapport à la réalité économique et cela met le marché complètement en porte-à-faux. Une chanson, il faut faire en sorte qu’elle vive durant les 70 ans après la mort du dernier de ses auteurs-compositeurs. Dans le cas des Beatles, ce sera donc 70 ans qui courront après la mort de Paul McCartney, et pas celle de feu John Lennon. Par contre, pour leur adaptation libre, les chansons des Beatles seront dans le domaine public 70 ans après leur enregistrement. Voilà les données avec lesquelles il faut jouer.

Monsieur Klein

Gros plan sur le métier d'éditeur musical, acteur méconnu de l'industrie du disque
© BELGAIMAGE

Les embrouilles entre éditeurs et auteurs-compositeurs feraient au moins une bibliothèque complète, à commencer par les manoeuvres d’Allen Klein. Quand cet homme d’affaires américain (1931-2009) propose ses services aux Rolling Stones au milieu des années 60, le groupe est séduit par sa proposition de rentabiliser davantage son catalogue de chansons. À coups d’avances supérieures et de renégociations de pourcentages discographiques -à l’époque auprès de Decca-, Klein va bâtir un système financier, par des méthodes borderline. Où il devient au final propriétaire via sa société ABKCO, de l’essentiel des titres stoniens des années 60. Scénario rocambolesque où la bande à Mick Jagger ne décide plus du destin de ses brillances sixties. S’en suivront des négociations durant plus de deux décennies qui feront de Klein un richissime intermédiaire. Le scénario, impliquant le même Klein, dans la séparation des Beatles, est tout aussi tordu, Lennon étant en faveur de l’Américain qui, pourtant, sent déjà le souffre, McCartney lui préférant une représentation par la famille Eastman, de sa femme Linda. Là aussi, cela finira en procès multiples, Klein s’enrichissant considérablement, sans trop de sentiment coupable d’avoir précipité la séparation des Fab Four.

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