Garrett List, virtuose du trombone et Liégeois d’adoption, est décédé
Le musicien américain devenu liégeois est décédé ce vendredi en début d’après-midi, à l’âge de 76 ans, annonce la RTBF. Professeur au conservatoire de Liège, il avait donné cours à des générations de virtuoses. En guise d’hommage, revoici l’interview qu’il nous consacrait il y a quelques années.
Suite au décès de Garrett List ce vendredi 27 décembre, nous republions ic le portrait que nous lui consacrions dans le Focus Vif du 18 avril 2014.
Le portrait: Garrett List
Lorsque le New York encore criminogène de 1980 submerge Garrett List, tromboniste-chanteur-compositeur né en Arizona, le brillant diplômé de la Juilliard School décide de tenter sa chance à… Liège. Voici pourquoi il y est toujours.
« Je marchais sur un trottoir bondé du Bowery et au loin devant moi, j’ai vu la tête d’un type qui bondissait par-dessus la foule. En m’approchant de lui, je voyais les gens s’en écarter systématiquement. Quand je suis arrivé à la hauteur de ce beau jeune homme torse nu, j’ai remarqué qu’il avait une large coupure verticale au ventre: ses intestins en sortaient. Il devait être très défoncé parce qu’il continuait à bouger comme si de rien n’était. Il a dû mourir assez vite, personne ne peut survivre à cela. » Sans doute le crime, l’image, la coupure, de trop: « Là, j’ai compris que je ne pouvais plus vivre à New York, sans même parler des loyers qui s’étaient envolés à la fin des années 70, Manhattan devenait hors prix. » Trente-quatre ans après ce sanglant épisode, Garrett List aborde l’âge mûr -il est né en 1943- avec la même expression amusée qui semble l’accompagner dans les époques et les musiques. « Henri Pousseur, directeur du Conservatoire de Liège, m’avait invité à donner un workshop de deux semaines sur l’improvisation: il a fini par m’engager comme conférencier, le grade le plus bas. Je devais gagner l’équivalent de 450 euros par mois. Même en 1980, cela ne faisait pas beaucoup. » Depuis lors, Garrett List est le loup blanc américano-liégeois, ayant donné cours à des générations de surdoués (et à d’autres) tels Fabrizio Cassol ou Kris Defoort, traquant jazz, musique contemporaine, impro, de son gros trombone vivifiant. On parle bien sûr de l’instru à coulisse télescopique.
L’histoire du petit Garrett commence en Arizona dans les années 40. Sa famille méthodiste d’origine allemande -avec une pointe de cherokee- a débarqué de la minorité souabe de Tchéquie vers 1650: à la maison, maman écoute Chopin en boucle, papa symphonise et fait la fête aux big bands. Faut bien se rafraîchir après des « journées où la température monte jusqu’à 50°« . List n’a que sept ans lorsqu’il déménage en Californie du Sud, royaume solaire des futurs surf bands et « des orangers en bout de rue« . Son rêve américain inclut marching bands, et pom-pom girls à peau dorée: le trombone entre en action, puis l’Université à Long Beach où le jeune List absorbe tous les genres et essaie de « comprendre la notation« . Quand il décroche une bourse pour étudier à la Juilliard School -la plus prestigieuse école de musique au monde-, il s’installe à New York. On est en 1965. Garrett List va y vivre quinze années intenses, électriques voire maniaques où, une fois diplômé de la Juilliard, il se fait embaucher comme instrumentiste au Radio City Music Hall: « C’était la fin des sixties mais l’endroit fonctionnait encore comme dans les années 30, alternant projections de films, concerts et représentations avec chiens savants. » Il a les cheveux longs d’un « hippie dandy »: le chef d’orchestre lui fait la gueule, mais une fois délesté de son queue de pie pour souffler dans Rossini, List bouffe la ville « qui évoque le Berlin d’après-guerre, rude, sale, dangereuse. J’étais aussi free-lance et je pouvais passer dans la même journée de Monteverdi à de la musique contemporaine puis à un concert au Metropolitan avant de filer vers Off Broadway dans une version déclinée de L’Opéra de quat’sous de Brecht, et terminer en jouant de la salsa toute la nuit dans un club. » La cocotte-minute musicale tourne à plein rendement, Garrett déménage (genre) 67 fois, se balade parfois avec slip et chaussettes dans l’étui de trombone, prend de la coke comme tout le showbiz seventies, joue la même note six heures d’affilée chez La Monte Young, visite le CBGB -« pas vraiment mon truc« – ou tente d’écrire des partitions de cuivres pour Talking Heads. « C’était après leur premier album et pendant quelques semaines, je suis régulièrement allé chez David Byrne qui avait consigné ses idées sur de petits papiers (il rit). Il a fini par me dire que c’était trop tôt pour intégrer des cuivres… Le trombone me permettait de passer dans toutes les musiques, moi qui admirais à la fois Mahler, Miles Davis et John Cage: cet instrument m’a appris l’éclectisme. »
Bouddhiste américain
L’été 2012, on chope Garrett List dans Into The Riff: cinq musiciens et quatre danseurs se répondent et à la fin, on est invité à danser sur scène. On y entend aussi l’Américain facétieux chanter, avec une voix désarmante de crooner cultivé. Après 60 ans de trombone, il a « décidé d’arrêter de souffler dans un tuyau » et de se concentrer sur larynx et composition. Les deux sont inclus dans le premier album de Vivo, dernier projet en date (lire la critique pages 26-27) où, entre des claquements de musical vintage, on peut entendre des échos de Stravinsky et quelques flamboyances à la Duke Ellington. Si Garrett est resté à Liège, c’est pour des raisons amoureuses et familiales autant que musicales: « Il y a dans cette ville une tradition de la création musicale, d’André Grétry à Bobby Jaspar ou René Thomas, le John Coltrane de la guitare… Et puis la Belgique est un pays essentiel pour le monde: quel autre endroit de la planète peut passer 541 jours sans gouvernement sans verser une goutte de sang? Même De Wever ne va pas pouvoir changer cela. » Sur ce, le bouddhiste américain de gauche vide sa Curtius comme un valeureux lidjeux. De l’intégration active quoi…
GARRETT LIST EST EN CONCERT AVEC LE PIANISTE JOHAN DUPONT LES 18, 19 ET 20 JUIN À LA SAMARITAINE À BRUXELLES.
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