Frankie Cosmos, stakhanoviste à la coule

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Elle est la fille de Kevin Kline. Et la petite soeur spirituelle de Jeffrey Lewis, Adam Green et Kimya Dawson. Avec Vessel, Frankie Cosmos signe un… 52e album immédiat et impeccable d’indie pop. Zoom sur une stakhanoviste à la coule.

Elle a le cheveu court. Très court. Le sourire facile et le regard malicieux. Si elle avait suivi les traces parentales, Greta alias Frankie Cosmos aurait fait carrière à Hollywood et passé sa vie sur les red carpets. Greta est la fille de Kevin Kline, le psychopathe décérébré d’ Un Poisson nommé Wanda, et de Phoebe Cates, la petite amie bien propre sur elle de Billy dans les Gremlins. Enfant, Greta a bien fait quelques apparitions dans The Anniversary Party de Jennifer Jason Leigh et Alan Cumming ou encore dans Les Berkman se séparent de Noah Baumbach mais n’en a pas pour autant rêvé de cinéma. « Je n’ai jamais eu de texte, c’était toujours des rôles de figurante: c’est l’histoire classique des gosses qui vont rendre visite à leurs parents acteurs sur leur lieu de travail… J’ai gardé de bons souvenirs de ces tournages. Mais je n’en ai pas côtoyé tant que ça. Maman a pour ainsi dire pris sa retraite cinématographique à ma naissance. Je l’ai davantage aidée dans son magasin de vêtements et de cadeaux que je ne l’ai accompagnée sur les plateaux… »

Dans la tête de Greta, le fait qu’elle regarde peu de films va de pair avec le fait qu’elle écrive des chansons très courtes. « J’ai toujours eu un petit peu de mal à me concentrer, à focaliser longtemps mon attention sur quelque chose de particulier. Je préfère les programmes télé au cinéma. Et souvent les morceaux aux albums. Quand je regarde un film, je suis du genre à oublier ce qui s’est passé au début… Je ne sais pas à quoi c’est dû. Peut-être à ma génération. Celle de l’iPhone et du sms. »

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La génération de la jeune femme, née à New York le 21 mars 1994, c’est aussi celle de Bandcamp et des Internet. Vessel, son premier album pour le label Sub Pop, est déjà son 52e disque. Enfin sa 52e oeuvre… « Je n’ai jamais vraiment considéré ces mises en ligne comme des sorties. C’était plutôt un endroit où conserver ma musique ailleurs que sur mon ordinateur. Un endroit auquel tout le monde avait accès mais où de toute façon personne n’allait. Je ne cherchais pas à affirmer que ces morceaux étaient importants. Je me disais plutôt que ça pouvait me servir si je n’arrivais plus à m’en souvenir. Je n’ai pas tout partagé non plus. Au début, je me demandais surtout comment enregistrer la musique et écrire des chansons bizarres. Certaines étaient tellement mauvaises que je n’ai jamais voulu en conserver de trace… »

Jared Leto Can’t Read, I’m Bad News, Much Ado About Fucking, Daddy Cool… Les titres des « albums » de Frankie Cosmos valent à eux seuls la visite Bandcamp. Les chansons, elles, durent parfois une vingtaine de secondes. Atteignent rarement les deux minutes.

« Dans le temps, pas mal d’artistes et de groupes new-yorkais s’enregistraient eux-mêmes. Le son n’était pas terrible. Ils ne savaient pas très bien chanter ni même jouer de la guitare. Mais ça ne les empêchait pas de faire des choses. Je pense à Jeffrey Lewis, aux Moldy Peaches. J’avais peut-être dix ans et j’ai tout de suite trouvé ça spécial. Ça ne sonnait pas comme à la radio. Ça m’a permis de réaliser que tout le monde pouvait faire de la musique, créer des pochettes et vendre des disques. Tu n’avais pas besoin d’un studio d’enregistrement. Ni même d’un groupe, d’ailleurs. »

Lâcher-prise

Frankie Cosmos, stakhanoviste à la coule

Longtemps, Greta a enregistré dans sa chambre avec un ordinateur et son micro intégré. Micro sur lequel elle se contentait de tapoter quand elle voulait un peu de batterie. « Je jouais avec le son. Beaucoup de ces titres ne sont même pas des chansons. Ce sont des petits enregistrements expérimentaux. Si tu te promènes sur Bandcamp, tu peux d’ailleurs voir certaines idées germer, réapparaître. Le processus de songwriting évoluer… Ça a longtemps été un projet artistique bizarre davantage qu’un groupe. »

La musique a toujours été fort présente chez les Kline. Et pas seulement parce que le paternel a commencé sa carrière en s’illustrant à Broadway dans des comédies musicales. « J’ai suivi des cours de piano pendant dix ans avant d’empoigner des instruments plus rock en vieillissant. Mon père avait le même prof que moi. On répétait ensemble, et on tapait tous le boeuf quand il y avait du monde à la maison. »

Greta raconte avoir appris la guitare sur You Can’t Always Get What You Want. Elle se souvient de la musique de James Taylor, avec laquelle son père la mettait au lit. De Liz Phair et des Indigo Girls qu’écoutait sa mère. Ou encore de Eels qui faisait l’unanimité dans le foyer. Elle a quatorze ans quand son frère l’amène à ses premiers concerts -et 17 quand elle se met à donner les siens. Dans le circuit punk plus qu’antifolk, et avec des groupes de rock davantage que des singers songwriters. Au fil des années, elle se fera appeler Ingrid Superstar, Ingrid, Little Bear, Zebu Fur, The Ingrates et bien sûr Frankie Cosmos. « Je voulais faire croire que j’étais un groupe alors qu’en écoutant on comprenait tout de suite que j’étais seule. Je cherchais sans doute à me cacher. Si je dois lire une page de mon journal intime, je tiens à ce que ce soit anonymement… (rires) Ces morceaux étaient tellement personnels que je disais: « Non non, ce n’est pas Greta. C’est Frankie Cosmos . » Mais bon, dès la première critique, le plan tombait à l’eau, parce qu’il y avait mon nom dans l’article. Moi qui rêvais que mes amis entendent et aiment mais ne me reconnaissent pas… »

Fan du Beat Happening et de Juan Wauters, Greta loue la magie de Joanna Newsom (« ses paroles sont comme des puzzles ») et la poésie de Frank O’Hara ( « il a exercé une grande influence sur mon écriture »). Recommande sa pote Anna McClellan qui chante sur son disque (Being Alive), sa copine Vagabon et l’album « vraiment spécial » My Episode de Pill Wonder. Elle en oublierait presque de parler de Vessel et de son indie pop contagieuse. « J’avais toujours imaginé mes disques davantage comme des collections de chansons que comme des albums. Ici, la moitié a été écrite alors que j’étais en couple et l’autre moitié après ma séparation. Je pense que beaucoup de musiciens montent des groupes même quand ils n’en ont pas besoin. Juste pour l’expérience sociale qui va avec. C’est aussi l’histoire de ce disque: l’expérience de la musique avec d’autres gens. J’ai tendance à toujours vouloir tout faire moi-même. C’est donc un peu comme un test. Un test de lâcher-prise. »

Vessel, distribué par Sub Pop/Konkurrent. ****

Le 24/05 au Dok (Gand) et le 01/06 à l’Aéronef (Lille).

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