Filles à guitares: pourquoi sont-elles à ce point sous-représentées?

"Un jour, je suis entré dans un magasin de musique avec une guitariste accomplie, raconte le PDG de Fender Andy Mooney. Le vendeur est venu lui demander si elle cherchait son mari ou son petit ami." © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Selon Fender, 50% des nouveaux guitaristes seraient des filles. Mais où sont-elles sur la scène actuelle? Pourquoi malgré les St. Vincent et autre Courtney Barnett, se retrouvent-elles encore si cruellement sous-représentées? Combat rock…

À l’automne dernier, le fabriquant de guitares Fender publiait les résultats d’une enquête révélant que la moitié des nouveaux guitaristes, aussi bien aux États-Unis qu’au Royaume-Uni, étaient des filles. Les statistiques restent constantes. Une étude similaire commandée par Fender en 2015 pointait déjà que les femmes représentaient 50% des marchés émergents. La marque ignorait jusque-là ses audiences féminines dans sa stratégie commerciale et avait dès 2016 changé son fusil d’épaule. Elle s’était rapprochée d’artistes féminines, les avait davantage utilisées dans ses campagnes. Elle avait même commencé à marketer une nouvelle ligne en utilisant comme ambassadrices les filles de Warpaint et le groupe Bully emmené par Alicia Bognanno. Si les ventes de guitares ont de manière générale diminué (la pop et le rap mènent la vie dure au rock), Fender entend conjuguer la suite de son histoire au féminin…

La brillante Galloise Cate Le Bon et son style saccadé (Drinks), la décharnée Scout Niblett qui la veut rêche et rudimentaire, la rock soul et groovy Afro-Américaine Brittany Howard d’Alabama Shakes, la rebelle et cool australienne Courtney Barnett, rejeton des années 90, ou encore les Londoniennes de Goat Girl qui réveillent la jeunesse en Angleterre… Au-delà de la scène folk, certaines guitaristes occupent des places de choix, font évoluer la musique et avancer la cause. Lorsqu’à la sortie de son dernier album on l’interrogeait sur l’état de son instrument de prédilection, le guitar hero Jack White n’en avait que pour St. Vincent. « Je pense que c’est la meilleure guitariste pour l’instant. J’aime beaucoup sa manière de jouer et ses solos sont particulièrement intéressants. Elle essaie beaucoup de choses. C’était très intelligent de bosser avec David Byrne. Elle vient de cette école. Byrne a fait beaucoup de ces choses artistiques que certains peuvent penser prétentieuses mais qui ont surtout au final repoussé les frontières. Et il en va aussi ainsi d’Annie (Clark, St.Vincent au civil, NDLR). Elle m’impressionne. »

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Innovation, adoubement des plus grands, succès populaire… Elles ne sont pas non plus ultra nombreuses les filles guitaristes sur la scène rock actuelle. Loin du 50-50 avancé quand on parle du sexe des débutants… Le 12 octobre 2017, le Guardian avait dressé les comptes. Deux tiers des groupes se produisant ce soir-là en live au Royaume-Uni n’avaient pas de membres féminins… Des chiffres appuyés par le site Ents24 qui estimait à 74% la proportion de tickets de concerts vendus en 2017 pour des projets 100% masculins.

L’Australienne Julia Jacklin, qui sortira son deuxième album (Crushing) le 22 février, n’a commencé à jouer de la guitare que très tard. À plus de 20 ans. « Le plus important pour te permettre de faire quelque chose dans la vie, c’est d’avoir des exemples, des modèles. De voir des gens qui font déjà le genre de choses auxquelles tu aspires, explique la jeune femme née en 1990. Et c’est ce dont mes copines et moi avons manqué adolescentes. J’ai grandi en écoutant des groupes de mecs, des guitaristes masculins. C’est dur à expliquer à mes potes hommes. Eux y ont eu droit. Ils ont commencé à monter des groupes quand ils avaient douze piges. Ils pouvaient sauter sur une basse, une batterie, une guitare… C’était OK d’être nul. Je n’ai pas connu tout ça. Je n’avais pas d’espace pour être merdique, d’espace pour commettre des erreurs. Je n’ai jamais été invitée dans ces groupes. Je ne savais même pas qu’ils existaient. »

Julia Jacklin
Julia Jacklin© LINDE DORENBOS

Julia a étudié le classique, fait des comédies musicales et baigné dans l’opéra. « Parce que c’est ce qu’on m’a montré. C’est ce vers quoi devait aller une fille intéressée par le chant et la musique. Ce n’était pas dû à mes parents mais à l’école, à mes amis… C’est génial quand une fille arrive à casser le moule et à sortir de tout ça. À s’imposer envers et contre tout. Mais la plupart des gens ont besoin qu’on leur montre la voie. Et quand les mecs peuvent regarder partout autour d’eux et voir des guitaristes à suivre, c’est facile. Le sentier est là. Il suffit de s’acheter une guitare. »

Jacklin a ressenti un premier élan vers l’âge de douze ans en regardant Josie and the Pussycats. Un film tiré d’un comic book qui raconte les aventures d’un girl band. Son père lui a acheté une guitare bon marché. « Mais, je n’avais personne avec qui jouer et je n’étais pas encouragée à le faire. Puis vers mes 20 ans, j’ai vraiment craqué pour Anna Calvi. Elle jouait sur une Telecaster. » Pour Audrey Marot, la chanteuse et guitariste d’Annabel Lee, originaire de Gaume, c’est Brody Dalle qui a joué le rôle de déclencheur. « Une admiration de gosse. Elle était cool. Rebelle. Elle avait trop la classe avec ses tattoos. Je voulais être comme elle. J’ai acheté une guitare et j’ai commencé avec des covers de son groupe The Distillers. »

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Quand on lui demande où sont sur la scène rock actuelle les 50% de filles mentionnées dans l’étude de Fender, Audrey sourit. « Peut-être qu’elles sont toutes encore super jeunes? Il existe en tout cas une fameuse différence entre faire de la musique et en jouer devant un public. Des filles qui ont des guitares chez elles, ont essayé, gratouillé, j’en connais. Plein de copines faisaient de la musique, mais beaucoup ont fini par abandonner. C’est dur à concilier déjà avec le fait d’être maman. Je me rends bien compte que si j’ai un gosse, ça va devenir compliqué. Ça dépend de ton mec bien sûr et de son investissement mais un enfant te laisse peu de vie sociale. Mes potes musiciens, même les hommes, ne sont pas encore parents. Un groupe, c’est plus facile quand tu as quinze ans… » Parce que oui, le débat des femmes dans la musique et dans le rock va de pair avec celui de leur place dans la société. Des rôles qui leur sont encore trop souvent par certains assignés. Du temps libre qu’elles peuvent s’accorder et dont cette même société les laisse bénéficier.

Audrey Marot
Audrey Marot© MAT GOLINVAUX

Taylor Swift, She Shreds, Guitar Girl Magazine…

Audrey se souvient encore de l’achat de sa première guitare électrique. « On avait opté pour le pack débutant avec un petit ampli. Le vendeur nous avait recommandé de commencer avec une acoustique… » « J’ai joué de la guitare en fingerpicking à la manière d’un groupe de folk pendant un an avant d’en acheter une électrique, avoue Julia Jacklin. Elle n’était a priori pas pour moi. Mais Anna Calvi était géniale, féroce. Bref, je suis partie dans un magasin en acheter une et je ne l’ai même pas testée tellement j’étais embarrassée. C’était intimidant. Je ne voulais pas montrer à ce mec que je ne savais pas vraiment jouer. T’imagines? Je n’ai pas osé essayer l’instrument avant de l’acheter de peur du regard du vendeur. De la pression que je ressentais. Je ne voulais pas être jugée. »

Menée par Daniel Levitin, neuroscientifique primé et musicien, l’étude de Fender cherchait à comprendre qui achète des guitares en 2018 mais aussi pourquoi. Et les nouveaux apprentis musiciens semblent plus intéressés par l’expression d’eux-mêmes que par une carrière. Ils veulent davantage s’exprimer et s’amuser que devenir de grands virtuoses. « Certains parlaient de facteur Taylor Swift. Présentant ces chiffres paritaires comme aberrants et limités à du court terme, racontait en octobre Andy Mooney, le PDG de Fender. Et en fait, ça ne l’est pas. Taylor a bougé. Joue je pense moins de guitare sur scène que par le passé, mais les jeunes femmes représentent toujours 50% des ventes. Le phénomène a deux jambes et ça se passe partout dans le monde… « 

Des publications comme She Shreds, des sites web comme Guitar Girl Magazine et des organisateurs de concerts comme, en Belgique, Girls Go Boom (« girls putting girls on stage ») apportent assurément leurs pierres à l’édifice… She Shreds, qui se présente comme la seule publication papier au monde dédiée aux femmes qui jouent de la guitare et de la basse, lutte pour changer la manière avec laquelle elles sont décrites et présentée dans l’industrie musicale et la culture populaire. Soutenant le radicalisme, le respect et la révolution.

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En attendant, Julia n’a eu que deux ingénieures du son filles en deux ans de tournée. Le business reste à ses yeux un univers paternaliste et macho… « À 200%. Et ça m’a rendu malade de l’épingler. Parce que ça devient assez vite fatigant. Quand tu es la seule personne dans la pièce à te dire: vous avez tous entendu ce que ce type m’a dit? Est-ce normal? Ça ne vous chiffonne pas? Mais personne ne comprend. Les mecs ne captent pas la subtilité, les nuances, la teneur du truc. Tous les jours, tu as droit à des petits commentaires. La plupart des ingés son ont besoin de te rabaisser. Ils partent du principe que tu ne sais pas ce que tu fais. Mes musiciens me disent: « T’inquiète, ils nous le font aussi » . Mais ce n’est pas la même chose. Quand un comportement est normalisé, c’est vraiment compliqué de mettre le doigt dessus et de le discuter sans paraître complètement dingue… Maintenant, je suis plus forte. Je sais ce que je fais et qui je suis. Et je vois quand quelqu’un est condescendant, discriminant. Avant, je me disais: peut être que je me plante. Peut-être que je déconne, qu’il a raison. Et ça fout en l’air toute ta confiance. Désormais, c’est plutôt fuck off. Ne m’emmerde pas. Essaie juste de terminer le soundcheck. »

Audrey Marot a peu joué à l’étranger mais elle n’a jamais vraiment ressenti tout ça. Ni rencontré de problèmes à trouver des dates de concert. The Skull’n’Bones, son premier groupe (du punk hardcore avec dedans le guitariste de Cocaine Piss), a très vite joué au Magasin 4. Annabel Lee s’est déjà produit plusieurs fois au Botanique, joue à l’Entrepôt, La Zone et dans un tas de petites salles du pays. Elle a d’ailleurs un problème avec les quotas et les festivals 100% féminins. « Je ne veux pas jouer quelque part parce que je suis une fille. Je veux qu’on m’invite parce qu’on aime ce que je fais. D’ailleurs parfois, ça se retourne contre toi. Des organisateurs qui apprécient ta musique te programment dans un petit événement réservé aux femmes alors qu’ils pourraient te faire venir dans leur plus gros rendez-vous… »

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La tournée, les infrastructures, le système et son mode de fonctionnement, Julia, d’expérience, ne les trouve pas adaptés aux filles… « Au début, c’est un peu fou. Tu es très excitée et reconnaissante par rapport à ce qui t’arrive. Tu dis oui à tout. Tu as l’impression que si tu déclines un truc, tout va s’écrouler. Tu bosses donc comme une dingue. Tu ne prends aucun break, aucun repos. Tu ne gagnes pas beaucoup d’argent. Tu partages des chambres d’hôtel avec tes musiciens. Parfois même des lits. Tu essaies de choper les transports publics pour économiser un peu de fric. Tu n’as pas assez d’argent et de temps pour avoir de l’espace pour toi. C’est ce qu’il y a de plus particulièrement compliqué au départ. Surtout quand tu es une fille. Que ton groupe est composé de mecs. Que la plupart des gens que tu rencontres sont des mecs. Il ne te reste aucun espace physique et mental pour t’exprimer ou avoir un peu l’esprit clair. Tu voyages en permanence. Tu es tout le temps crevée. Tu n’es plus connectée avec ton corps. Il devient juste ce vaisseau qui t’emmène d’un endroit à un autre. La tournée n’est pas faite, prévue pour les femmes. Elle est designée pour un groupe de mecs. » Il y a encore définitivement du chemin à faire.

Grandes soeurs

Sister Rosetta Tharpe

Pionnière dès les années 30 du rock’n’roll, la chanteuse d’Arkansas chantait du gospel en jouant énergiquement de sa guitare électrique. Impensable pour une femme. A fortiori une Afro-Américaine. Elle a l’an dernier, à titre posthume, été intronisée au Rock and Roll Hall of Fame.

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Joni Mitchell

La folkeuse Joni Mitchell (qui s’est ensuite rapprochée du jazz) a développé un style singulier et inventif notamment dû à la polio qui avait, enfant, endommagé sa main gauche. C’est la seule femme, avec Bonnie Raitt, classée dans le Top 100 des meilleurs guitaristes établi par le Rolling Stone.

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Poison Ivy

Avec son mari Lux Interior qu’elle a selon la légende rencontré en faisant de l’auto-stop, Kristy Marlana Wallace, alias Poison Ivy, a pendant 34 ans fait rugir le moteur des Cramps. Guitariste féline et provocatrice, la reine du psychobilly punk…

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PJ Harvey

Au début des années 90, quand elle s’habillait encore comme une Joan Crawford sous acide et ne les avait pas délaissées pour le saxophone, la minuscule (1m62) Polly Jean Harvey fabriquait des disques secs, rêches, tendus et poisseux avec sa Gretsch et sa Firebird rouge. Riot grrrl…

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