Festivals: partie de ca$h ca$h
En 2003, le pass pour Rock Werchter coûtait 108 euros, pour l’édition 2011, il se vend à 196 euros. Soit 81% d’augmentation en 8 ans: exemple d’une inflation aux allures infernales où le spectateur est devenu la vache à lait de l’industrie. Pour combien de temps?
Il faut désormais être nanti pour se payer les 4 jours à Rock Werchter, se faire saigner les oreilles au Graspop -146 euros les 3 jours- ou assister au Pukkelpop d’août, déjà complet au niveau des combis à 155 euros. Et si l’on doit rajouter le camping (rarement gratuit), un minimum vital de boissons et de nourritures, le parking, le transport, vivre l’intégralité d’un (gros) festival rock belge cet été devrait naviguer selon endroit et lifestyle entre 200 et 300 euros. Fin mai, Herman Schueremans, patron de Rock Werchter et de Live Nation Belgique, explique à Het Belang Van Limburg que pour l’édition 2011 de son festival, 6 millions d’euros seront consacrés à l’affiche, avec « 2 ou 3 groupes recevant un cachet à 7 chiffres ». Un million d’euros et même plus pour les ultra stars.
En 2001, le budget artistique total de Werchter était de 1,3 million d’euros -chiffre fourni par le festival- pour 51 artistes. En 2007, on passait à 5,3 millions pour 59 noms. On a beau expliquer -schéma connu- que la flambée des cachets est destinée à compenser le manque à gagner au rayon disques, les montants sont choquants: 600 000 euros pour les Red Hot Chili Peppers à Werchter, à ce prix-là, leurs chaussettes doivent être doublées de platine… Si Schueremans, généralement muet sur les chiffres, explique tout cela au quotidien limbourgeois, c’est qu’il a le projet de déménager le festival de Werchter à Brustem, petite commune près de Saint-Trond, province du Limbourg, où l’espace serait « plus grand et capable de recevoir une troisième et, pourquoi pas, une quatrième ou cinquième scène »… 320 000 personnes en 4 jours -chiffre 2010- ne suffisent-ils pas? Lorsqu’on demande la confirmation des chiffres et des intentions, Rock Werchter nous répond par sa porte-parole, Nele Bigaré, que « Herman ne réagit plus à ce sujet ». Dont acte. Quand on a la curiosité d’aller voir la santé financière de Live Nation Festivals sur la Centrale des bilans de la Banque Nationale (1), on voit que 2009 crédite la société d’un bénéfice de 6 millions d’euros avec un total de 44 millions de bénéfices reportés… Clairement, l’enrichissiment n’est pas le seul fait des groupes.
Politisation
Aux Ardentes liégeoises, les chiffres sont plus raisonnables -105 euros le pass, camping inclus- mais à la journée, le ticket est passé d’une fourchette de 28-35 euros à la première édition en 2006, à 45 euros. Là aussi, 30 % d’augmentation en 5 ans, soit 3 fois l’index des loyers par exemple. En cause, le cachet des gros poissons: Snoop Dogg par exemple qui, l’année dernière à Couleur Café, dépassait la barre des 100 000 euros et qui ne devrait pas être en discount en 2011. Si la réussite des Ardentes est bien là -bonne prog, bon accueil, public au rendez-vous-, certains dénoncent le mélange des genres, notamment une subsidiation quasi immédiate du festival due aux gentillesses socialistes. Gaetan Servais, co-patron du festival avec Fabrice Lamproye, a longtemps travaillé au cabinet de Marie Arena. Lamproye, qui a longtemps porté à bout de bras la Soundstation, a changé de stratégie: alors qu’il refusait de travailler avec Clear Channel (devenu Live Nation), il négocie depuis la naissance des Ardentes une partie de ses artistes avec cette agence au rôle stratégique essentiel sur le marché belge depuis 2001 (2). Et ce, même si une seconde grosse agence belge représente désormais chez nous de toutes grosses pointures (comme Prince, bientôt à Gand, de 78 à 128 euros): Greenhouse Talent, fondée par Pascal Van De Velde, un ancien de Live Nation…
Ces agences et d’autres (3) servent d’intermédiaire entre le festival belge et le groupe, chacun prenant au passage son pourcentage: le manager de l’artiste, l’agence internationale. Fabrice Lamproye n’a pas répondu à notre demande d’interview laissée à son bureau. Dommage: il s’agit moins de diaboliser que de comprendre la circulation de l’argent. La plupart des patrons des gros festivals belges sont non seulement politisés mais professionnels en politique: c’est le cas de Carlo di Antonio (Dour) CDH, Charles Gardier (Francofolies) au niveau communal du MR, Schueremans Open VLD. Seul Patrick Wallens (Couleur Café) n’a pas de carte de parti. Ce n’est peut-être pas l’essentiel: si Couleur Café, Esperanzah! et les Francos sont constitués en asbl, les Ardentes et bien évidemment Werchter sont des sociétés à vocation commerciale, Dour étant une société coopérative.
Breaking Point
Patrick Wallens: « Quand on fait le breaking point (équilibre des comptes, ndlr), on arrive à la nécessité d’avoir 74 000 spectateurs: si le festival marche bien, on sera peut-être en bonus de 2 ou 3000 entrées. Il est clair que si on avait une démarche plus commerciale, on mettrait le billet à 38 euros plutôt qu’à 35 (en prévente, ndlr), ce qui nous assurerait d’un boni plus facile. » Pour di Antonio de Dour, la barre maximale des cachets se situe autour de 80 000 euros: « A l’une ou l’autre exception près, on s’en tient là, mais c’est dans les cachets middle ou même de nouveaux groupes que les prix ne cessent de grimper: un débutant faisant un mini buzz tournait pour 1000 livres, aujourd’hui, cela peut être 5 fois plus. » Même constatation chez les Francos qui ont un budget global comparable à celui de Dour, environ 5 millions d’euros: « Au Village Francofou, en 3 ou 4 ans, on est passé de cachets de 2500 à 5000 euros et parfois de 10 000 à 20 000 euros! » Et Charles Gardier, boss des Francos, de préciser que le festival ne débourse pas plus de 80 000 euros pour une tête d’affiche sur la Place de l’Hôtel de Ville.
Pour Esperanzah!, dernier en date des festivals en croissance, constitué en asbl, la barre supérieure est d’environ 25 000 euros. Jean-Yves Laffineur, son responsable, aura le mot de la fin (provisoire): « Je ne joue jamais la surenchère ou l’exclusivité, je refuse de mettre des cachets mirobolants parce qu’ils auront forcément un impact négatif sur le paiement des artistes moins connus. Esperanzah! reste une entreprise à risques, même si on n’est pas là pour s’enrichir. » Pourvu que cela dure.
Philippe Cornet
(1) www.nbb.be
(2) A l’époque, la multinationale américaine Clear Channel Communications (qui se rebaptise Live Nation en 2005 suite à une scission de ses activités) rachète le business de Schueremans et ceux de ses principaux comme Ambach et Kopp/Verwilghen.
(3) Plus modestes, comme Ubu, Jazztronaut ou Progress Booking récemment fusionnée avec AJA Concerts.
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