Elvis Presley, une histoire qui dépasse les hanches

L'homme aux "50 millions de fans" connut une fin pathétique, usé et manipulé par son entourage. © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Quarante ans après la mort précoce du roi Rock, un coffret atteste de ses premiers enregistrements, étonnamment émouvants, alors qu’une fiction de sa rencontre avec l’autre star controversée, Richard Nixon, sort au cinéma.

Le 16 août 1977 à 15h30, Elvis Presley est déclaré mort au Baptist Memorial Hospital de Memphis. Sa fiancée du moment, Ginger Alden, l’a trouvé en début d’après-midi en position foetale sur le sol de la salle de bains de Graceland. Le King – tombé des commodités – a définitivement quitté son trône, ouvrant un océan de désespoir chez ses « 50 millions de fans » et, paradoxalement, un reniflement d’indifférence chez une partie de la jeune génération: celle qui, nourrie au punk en pleine surchauffe, s’avère indifférente voire moqueuse face à cet entertainer à rouflaquettes en surpoids avec son costume de crooner carnavalesque.

La fin pathétique de Presley, 42 ans à peine, paraît alors incarner celle d’un junkie gavé aux drogues légales, le foie fatigué, l’hypertension aiguë et la cardiomyopathie avancée. Usé par d’incessantes tournées exclusivement américaines (1) et un entourage carnassier, cyniquement baptisé la « mafia de Memphis ». Quarante ans plus tard, l’histoire a déblayé le terrain des préjugés, montrant aussi que sa période lasvegasienne des années 1970 comporte des traits de bravoure, si pas de génie musical comme le bombastique An American Trilogy. Malgré ou à cause du barnum orchestral, cette impossible armada qui, en scène, ferait passer les Choeurs de l’Armée rouge pour une blague minimaliste.

Avant la gloire

Avec sa mère Gladys, et Vernon Elvis Presley, son père.
Avec sa mère Gladys, et Vernon Elvis Presley, son père.© BELGAIMAGE

A 180 degrés de la pompe seventies, on trouve la matière première brute du coffret Elvis Presley. A Boy From Tupelo (2) -soit l’intégralité des enregistrements réalisés entre 1953 et 1955. A priori, plutôt une affaire d’archiviste ou de maniaque vu les multiples versions de certaines chansons: on y trouve par exemple pas moins de huit fois I’m Left, You’re Right, She’s Gone. Ces deux années essentielles débutent par un cadeau d’anniversaire destiné à maman Presley: Elvis, venu au monde le 8 janvier 1935, une demi-heure après Jesse Garon, son jumeau, mort-né, est un bon fils. Même si le rock’n’roll dont il va accoucher est d’emblée considéré par la génération parentale comme le symptôme d’une extase maléfique. Dans l’Amérique ségrégationniste des années 1950, ce rythme primitif est frappé d’essence dégénérée pour cause de filiation négroïde. Elvis, qui fréquente l’église pentecôtiste, est décidement un drôle de paroissien et ce, bien avant de proférer son admiration pour Richard « Tricky » Nixon (3).

En l’honneur de sa mère, il s’éloigne du gospel sacré pour une fusion canonique entre blues et répertoire hillbilly des blancs pauvres. Sa religion à lui débute donc par quatre titres payés de sa poche à destination de sa maman adorée: enregistrés en deux fois, en juin 1953 et janvier de l’année suivante. Même s’il s’avère qu’il veut tout autant se faire remarquer du propriétaire du studio choisi – Sam Phillips et son label Sun Records – qu’honorer la mater. D’ailleurs, les quatre chansons qu’il n’a pas écrites – My Happiness, That’s When Your Heartaches Begin, I’ll Never Stand In Your Way, It Wouldn’t Be The Same (Without You) -sont davantage des ballades countrysantes que du binaire déchaîné. Sur simple accompagnement de guitare acoustique, Elvis y déploie un crooning quasi-amoureux.

Pantalons agités

Un coffret de 85 enregistrements, dont le livret contient de nombreuses images rares, voire inédites.
Un coffret de 85 enregistrements, dont le livret contient de nombreuses images rares, voire inédites.

Dans l’intéressant livre accompagnant le coffret, Gladys Presley raconte comment son gamin Elvis, dans leur quartier plus que modeste de Tupelo, Mississippi, « grimpe sur la plate-forme où se trouve la chorale de l’église et bien que trop jeune pour connaître les paroles des chansons, est capable d’en chanter la mélodie ». Le lieu de culte où l’on pratique aussi la séparation raciale, est d’ailleurs l’incarnation de la transgression presleyienne lorsque l’ado Elvis, habitant dans un quartier à prédominance noire, fuit l’église blanche pour filer écouter les voix du culte black voisin. Digérant aussi les voix de la radio locale Welo, qui distille la country mais aussi d’autres ondes parcourues par Caruso ou Mario Lanza. L’image comme les sons se gravent pareillement en lui lorsqu’il observe The Statesmen Quartet à l’Ellis Auditorium de Memphis, ville où il déménage en famille en novembre 1948, particulièrement les fringues cool du chanteur basse Jim « Big Chief » Weatherington, qui agite ses pantalons larges à la désapprobation des prédicateurs outrés. Le mouvement fera du chemin dans la psyché presleyienne. Que le coffret découvre peu à peu en trois CD montrant aussi comment le chanteur passe ostensiblement de chansons lentes et plutôt innocentes au rythme bientôt fameux et scandaleux du rock’n’roll. Une histoire qui dépasse les hanches.

Vibration ondulante

Le livret, carnet chronologique précis racontant la saga de ces 85 enregistrements, est aussi un stimulus visuel nourri par de nombreuses images rares ou carrément inédites. Ramener six décennies plus tard cette sève qui monte, cette branlée de jeunesse qui fait plier les filles, c’est observer une sorte d’hoquètement qui s’amplifie dès That’s All Right. Un morceau de 1947 signé Arthur Crudup, chanteur noir du Mississippi que Presley rendra célèbre – et aussi un peu riche – par sa version de l’été 1954. Cette ascension dans le rock tient beaucoup au mode de fabrication de la musique: malgré les 1.500 heures de restauration des bandes et des acétates originaux à destination des oreilles 2017, la plupart des titres sonne de manière remarquablement viscérale. La voix d’Elvis, cette insolente vibration ondulante, est tout juste accompagnée d’une contrebasse, d’une guitare et d’une batterie: aucune personne sensée n’aurait l’idée d’y rajouter quoi que ce soit d’autre. L’idée de pureté sonore cohabite avec le métissage aventureux de styles, bouclé par les sessions Sun et même quelques masters de chez RCA – le label qui le signe fin 1955 – sur le second CD. Laissant au troisième disque, 32 titres tirés de concerts et performances radios: y entendre Shake, Rattle And Roll, That’s All Right ou encore Fool, Fool, Fool chavirés à ce point-là distille une émotion toujours unique. Et pas loin d’être bouleversante.

(1) Presley ne se produira que deux fois en dehors des Etats-Unis, au Maple Leaf Gardens de Toronto en avril 1957.

(2) Coffret Elvis Presley. A Boy From Tupelo chez Sony Music.

(3) Sujet d’Elvis & Nixon, en salle le 16 août. Lire la critique dans Focus Vif.

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