Dublin, nouveau bastion du rock
Dublin, nouvelle capitale du rock ? Quelques mois seulement après Fontaines D.C. et son Dogrel, c’est The Murder Capital qui déboule aujourd’hui avec son premier album. Irish pub…
Le pourtant chauvin magazine britannique New Musical Express en parlait déjà avant les fêtes de fin d’année: l’Irlande n’est pas que le pays de la Guinness, de Ryanair, Colin Farrell et Jack Gleeson (le cruel Joffrey Baratheon de Game of Thrones); c’est aussi depuis peu un nouveau bastion du rock. À la grande époque de la crête et de l’épingle à nourrice, les groupes venaient plutôt du nord. Derry pour les Undertones, Belfast pour les Stiff Little Fingers… Mais aujourd’hui, c’est du côté de Dublin, la plus grande ville de l’île et la capitale de la République, que s’excite une jeunesse rock’n’roll et électrique. Sensations avec leurs potes de Fontaines D.C. du festival de découvertes Eurosonic en janvier dernier, les Dublinois de The Murder Capital ont joué à Werchter fin juin. Et ce avant même la sortie de leur premier album When I Have Fears qui débarque dans les bacs en cette mi-août. The Murder Capital fait dans un rock sombre, ténébreux, possédé, sous tension. Son chanteur, James McGovern, est né en ville il y a 24 ans. Sa mère, originaire de Cork, est flûtiste. Son père, Aiden, venu de Sligo, est ingénieur du son. Il a notamment collaboré avec les Cranberries, Lisa Stansfield, Sinéad O’Connor… « Dublin est une belle ville. Une ville qui étincelle dans sa désagrégation. Elle doit faire face à une vraie crise du logement, il y a bien trop de sans-abri et le système abandonne les plus démunis. Mais des gens se mobilisent. C’est aussi une ville romantique marquée par une incroyable histoire et de formidables auteurs. Il y a toujours quelque chose qui s’y passe. La vie nocturne peut devenir ce que tu veux qu’elle soit. C’est une ville espiègle mais aussi repoussante. Si tu l’explores, tu auras la lumière et l’obscurité face à toi. Tu pourras découvrir pas mal de coins sombres. Je laisse ton imagination te raconter le reste. »
Les membres de The Murder Capital ne sont pas des amis d’enfance. Ils se sont rencontrés dans la même université dublinoise que les Fontaines D.C., au British and Irish Modern Music Institute. Ils disent regarder beaucoup de films ensemble. « On aime beaucoup Stanley Kubrick et Yorgos Lanthimos. » Rayon musique, ils semblent tous d’accord sur Jon Hopkins, Neil Young et Michael Chapman. Mais ce qui les réunit aussi, et peut-être même surtout, c’est la littérature et la poésie. Les paroles de The Murder Capital sont toutes tirées de poèmes. « Poèmes, chansons… C’est juste la présentation qui change, » commente McGovern qui dit avoir commencé à écrire sans but. « William Butler Yeats est probablement mon écrivain irlandais favori. J’ai vraiment ressenti une connexion intime avec ses écrits. Notamment ce poème To a Squirrel at Kyle-na-gno. « Come play with me; Why should you run Through the shaking tree As though I’d a gun To strike you dead? When all I would do Is to scratch your head And let you go. » Je trouve une innocence et une humanité incroyables dans ces mots. J’adore. Même si je pense qu’il y a une rébellion et un cran particuliers chez pas mal d’écrivains de chez nous, je lis des auteurs de partout, je lis beaucoup. »
The Murder Capital a d’ailleurs donné à son disque le titre d’un poème de John Keats. « On s’est mis à écrire de la musique. On ne savait pas trop ce qu’on faisait. On savait juste qu’on voulait enregistrer un album, et pas un EP. On est tombés amoureux de ce When I Have Fears et il nous a servi de référence, de cadre. Ce disque, c’est surtout nous qui grandissons ensemble. Qui comprenons ce que ça signifie d’être de jeunes mecs en Irlande. Des jeunes gens tout court, en fait. Ce n’est pas géographiquement lié à quelque endroit que ce soit. Nous appartenons à une génération qui se sent perdue et qui essaie de comprendre comment la société bouge dans l’Histoire. Le futur peut apeurer tout le monde, mais c’est le passé surtout qui fout les jetons. L’idée de répéter les erreurs qui ont déjà été commises. Ou de laisser d’autres les faire peut-être plus encore, d’ailleurs… Ai-je peur? Parfois. »
Grandeur d’âme
Moins dark, sonnant tour à tour comme The Clash, The Undertones, The Fall voire Oasis, les Fontaines D.C. semblent eux aussi autant apprécier les mots que les riffs. Ils racontent avoir passé autant de temps à répéter qu’à écrire des vers. Griffonnant des carnets partagés dans les pubs et autopubliant des petits fascicules. Ils ont même organisé des lectures. Notamment avec un poète vendeur de savon rencontré au Sweny, la pharmacie décrite par James Joyce dans le cinquième chapitre de son roman Ulysse (devenue dans la vraie vie un cabinet de lecture bénévole). La poésie n’a pas nécessairement la cote dans leur génération. On l’étudie à l’école. Elle emmerde la plupart des étudiants; ils la maudissent même parfois. Mais eux, les jeunes rockers que tout le monde s’arrache revendiquent l’influence de Joyce, Yeats ou encore Patrick Kavanagh… » On s’y sent connectés, explique le bassiste Conor Deegan. On y trouve une culture, une grandeur d’âme qu’on n’associe pas souvent aux Irlandais, souvent plutôt vus comme des mecs alcoolisés, drôles, blagueurs et catholiques. Yeats, Joyce parlent du monde que tu connais et le rendent poétique. Ils te permettent de voir la romance dans le quotidien. C’est facile de trouver Paris romantique quand tu ne l’as abordé que dans les livres. »
Les Fontaines D.C. se sont installés à Dublin pour les études. Option composition et songwriting. « Peu de trucs enseignés dans ce genre d’écoles sont faits pour des groupes comme le nôtre, ou comme The Murder Capital. C’est juste un super endroit pour rencontrer des gens. Puis, ce n’est pas parce qu’on te bourre le crâne avec tout ce que tu devrais faire qu’il faut écouter ce qu’on te dit. » Aucun membre du groupe n’est né en ville. Le guitariste Carlos O’Connell a même grandi en Espagne d’où est originaire son père. « Je passais deux fois par an à Dublin avec ma mère. J’en ai toujours eu une vision assez romantique. Au départ, c’était le seul endroit où je me confrontais à la musique. Parce que je ne viens pas d’une famille musicale du tout. Mais en Irlande, mon grand père chantait beaucoup. À Noël notamment. Il y avait un piano dans la maison, mais même au-delà, Dublin est réputé pour ça: il y a de la musique à chaque coin de rue. Et puis quand j’y ai débarqué à 19 ans, j’ai constaté que ça ne correspondait pas vraiment à l’idée que je m’en étais faite. Il y avait un tas de gens qui jouaient oui, mais ils n’allaient nulle part. »
Les Fontaines D.C. vivent tous du côté de The Liberties. Un quartier historiquement ouvrier, généralement associé au brassage de la Guinness, à la distillation du whisky, à l’industrie textile et aux vieux business familiaux. Il a donné son nom à leur chanson Liberty Belle. « C’est l’une des dernières poches de vie authentiquement dublinoise, racontent d’une voix les deux musiciens. Des gosses y jouent dans la rue. Et c’est un peu dangereux et craignos parfois. En tout cas pas le genre de quartiers où les gens défilent à 9 heures du matin avec un café dans une main et leur téléphone portable dans l’autre. »
Le vrai Dublin, la résistance à l’homogénéisation, les jeunes mecs de Fontaines D.C. aiment ça. Ils ont d’ailleurs tourné le clip de leur single Big dans la mythique Moore Street. Le plan séquence y suit un petit roux au regard espiègle (le voisin de leur chanteur Grian Chatten) remontant la rue tout en gueulant les bras au ciel qu’il va devenir grand. Moore Street, c’est le plus ancien marché de la ville. Les étals de poissons, de fruits et de légumes s’y transmettent de mère en fille aînée depuis des générations. « Dix bananes pour un euro. Deux euros le poisson… C’est aussi une rue qui vibre. L’une des dernières du vrai Dublin, parce qu’au coin, tu tombes sur toutes les enseignes à la Starbucks et compagnie. Et elle est peuplée d’incroyables personnages. On voulait un enfant plein de vie et d’ambition irlandaise qui marche sur ces pavés. Le clip est tourné en une fois. On a eu quelques versions vraiment dingues qu’on n’a pas pu utiliser. Une bagarre a éclaté notamment. Mais le gamin a flippé. Deux mecs se sont mis à se gueuler dessus. Et l’un a mis une droite à l’autre. »
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Les petits frères de Girl Band
Si Dublin a conservé encore un peu d’authenticité et compte dans ses rues quelques poètes, la ville est selon le leader de The Murder Capital James McGovern propice à la musique. « Il y a plein de bars. Plein de chouettes salles où jouer. The Workman’s Club a été un endroit important pour nous. Il est dirigé par un pote, Trevor (Dietz, NDLR) , le manager de Fontaines D.C.. On y a tous passé pas mal de temps. C’est un peu le QG. Un chouette melting-pot. » Les Fontaines y ont fait leurs premières armes. Certains y ont même travaillé. Les lieux peuvent accueillir jusqu’à 300 personnes et sont devenus un repère pour les jeunes groupes à guitares. Le genre d’endroit où les liens se tissent. Où ils ont commencé à boire des coups ensemble, à s’échanger des livres. Il y a aussi pas mal de studios en ville mais contrairement à ses potes (qui ont mis en boîte leurs premiers singles au Darklands Audio), The Murder Capital n’y a jamais enregistré, se tournant plutôt vers Londres pour bosser avec Flood (PJ Harvey, Nick Cave, The Killers). « Quelques-uns ont fermé récemment, tempèrent les Fontaines. Pour des problèmes de fric mais aussi de sortie de secours. »
Gentrification quand tu nous tiens… Il est aujourd’hui difficile de financer l’enregistrement d’un album dans un studio dernier cri. Et des salles de concert mythiques (comme le Tivoli) sont tout doucement remplacées par des hôtels. La plupart des groupes répètent pour l’instant au même endroit. Les Yellow Door Music Studios. « Ils comptent une vingtaine de salles maintenant. Et ça part dans tous les sens. De l’électronique, du jazz, de la Neo soul… » Même Girl Band, les parrains de la bourgeonnante scène locale, s’y sont remis au travail. Ils sortiront leur nouvel album en septembre. « Il ne se passait pas grand-chose en musique à Dublin à l’époque de leur premier album (en 2015, NDLR), se souvient Conor. Girl Band a vraiment déboulé sans faire le moindre compromis. Avec un son différent. Il a signé chez Rough Trade, a sorti la musique qu’il voulait et a rencontré le succès. Il n’a pas dû vendre son cul comme beaucoup l’ont fait. Et comme d’autres ont refusé de le faire en s’enterrant par la même occasion. » « Girl Band a construit un pont entre l’Irlande et le reste du monde, poursuit Carlos. L’Irlande a été un pays insulaire, surtout sur le plan musical d’ailleurs, pendant un bon bout de temps. Un tas de groupes ont sorti de super disques qui n’ont jamais été nulle part parce que personne n’y prêtait attention. »
La conversation dérive vers les gloires plus ou moins célèbres de la ville (on comprendra qu’il vaut mieux éviter le sujet U2…). My Bloody Valentine, Humanzi « qui avait signé un gros contrat mais s’est fait baiser par l’industrie », ou encore Republic of Loose, dont les Murder Capital vont souvent voir le leader, Mick Pyro, chanter le blues le dimanche soir. « Ça fait du bien d’avoir un groupe comme Fontaines D.C. qui éclot en même temps que nous, résume McGovern. Ça nous pousse à avancer, à nous bouger. Ça donne envie d’écrire, et ça rend tout le monde meilleur et bien plus créatif. Quoi que ça veuille dire, c’est une bonne chose qu’on parle de scène dublinoise. »
The Murder Capital. Le 28/10 au Grand Mix (Tourcoing), le 10/11 au Sonic City (Courtrai).
Fontaines D.C., le 7/11 au Botanique et le 9/11 au Sonic City (Courtrai).
Tendu et sombre mais pas non plus définitivement plombé, le premier album de The Murder Capital questionne le climat politique et social, le désespoir causé par la mort d’un ami proche et la déshumanisation. Nerveux, le quintette de Dublin n’est pas nécessairement toujours à cran (pour preuve la ballade On Twisted Ground), mais il tape dans une espèce de post punk obscur, viscéral et romantique, s’offrant aussi un instrumental ( Slowdance II). Une solide plaque à ranger à côté des disques de Joy Division, des Bad Seeds, de Shame, de Savages et de The Fall… Les jeunes punks ont pris froid et signent une B.O. cold wave du XXIe siècle. ? J.B.
Rock. Distribué par Human Season Records. ***(*)
The Murder Capital « When I Have Fears »
Tendu et sombre mais pas non plus définitivement plombé, le premier album de The Murder Capital questionne le climat politique et social, le désespoir causé par la mort d’un ami proche et la déshumanisation. Nerveux, le quintette de Dublin n’est pas nécessairement toujours à cran (pour preuve la ballade On Twisted Ground), mais il tape dans une espèce de post punk obscur, viscéral et romantique, s’offrant aussi un instrumental ( Slowdance II). Une solide plaque à ranger à côté des disques de Joy Division, des Bad Seeds, de Shame, de Savages et de The Fall… Les jeunes punks ont pris froid et signent une B.O. cold wave du XXIe siècle. ? J.B.
Rock. Distribué par Human Season Records. ***(*)
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