Denise Ho, égérie de la révolution à Hong Kong

Son morceau Raise the Umbrella est devenu l'hymne des manifestants. © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

En première ligne des manifestations contre Pékin, la star de la cantopop Denise Ho est devenue l’une des égéries de la jeunesse hongkongaise.

On a pas mal glosé ces dernières années sur la popularité de plus en plus grande de la pop asiatique chez les teenagers occidentaux. À raison. Le 5 octobre prochain, par exemple, c’est carrément à Forest National que les fans de K-pop se retrouveront pour un grand rassemblement à dimension européenne. À cet égard, il n’y a d’ailleurs pas photo: encore plus que le Japon (J-pop), c’est la Corée du Sud (K-pop) qui, de fait, est la plus grande pourvoyeuse de stars issues du continent asiatique.

Depuis quelques mois pourtant, le nom dont tout le monde parle ne vient pas de Séoul ou Tokyo, mais bien de Hong Kong. À la faveur des manifestations contre les autorités locales et chinoises, Denise Ho est en effet devenue l’un des visages de la contestation. En juillet dernier, la chanteuse était même invitée à s’exprimer devant le Conseil des droits de l’Homme à l’ONU -au grand agacement des représentants chinois réunis autour de la table…

Avant cela, Denise Ho avait réussi à se faire un nom sur la scène cantopop. Un genre précisément né pour célébrer l’identité culturelle de l’ancienne colonie britannique…

Pépins et parapluies

Le courant voit le jour dans les années 70, quand un certain nombre de groupes et de chanteurs commencent à proposer leur propre version de la pop. Comme ailleurs en Asie, les canons locaux -l’opéra cantonnais par exemple- se mélangent à la mélasse soft rock occidentale. Chantés en cantonais, les sujets se font aussi plus proches du quotidien des Hongkongais. Une minirévolution culturelle est lancée… Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, au même moment, l’industrie cinématographique locale explose elle aussi. Une star comme Leslie Cheung, se retrouvera par exemple à surfer en permanence entre musique et cinéma (on le verra dans les films de John Woo, ou en tête d’affiche d’Adieu ma concubine).

Née en 1977, Denise Ho a toujours baigné dans la cantopop -elle est notamment fan de la star Anita Mui. À l’âge de onze ans, elle déménage cependant avec sa famille au Canada. Quand elle reviendra au pays, en 1996, c’est précisément pour participer à un concours de jeunes talents et suivre les pas de son idole.

Un an plus tard, la Grande-Bretagne rétrocède le territoire à la Chine. Les nouvelles autorités « encouragent » le rapprochement avec Pékin, n’hésitant pas à gommer les particularités hongkongaises -par exemple en promouvant l’utilisation du mandarin. La scène cantopop voit ses chiffres de vente fondre. C’est la même chose pour le cinéma: de 238 films produits à Hong Kong en 1993, le chiffre tombe à 40 en 1999, deux ans à peine après la rétrocession.

N’ayant plus grand-chose à perdre, la cantopop va en profiter pour retrouver un côté plus revendicatif. Elle n’est plus seulement la BO d’une identité perdue, elle devient aussi le vecteur de nouvelles contestations. Quitte à se mettre l’immense marché chinois à dos… En 2014, alors qu’elle a sorti deux premiers albums en mandarin, et qu’elle a démarré une prometteuse carrière d’actrice, Denise Ho rejoint ainsi les rangs des participants à la « Révolution des parapluies » (utilisés pour se protéger des gaz lacrymogènes de la police). Dans la foulée, elle enregistre le morceau Raise the Umbrella: il deviendra l’hymne des manifestants. Ce qui ne sera évidemment pas sans conséquences…

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Illustration deux ans plus tard quand Lancôme annule son soutien à l’un de ses concerts. La chanteuse est en effet à nouveau dans le viseur de Pékin, qui lui reproche d’avoir rencontré le Dalaï-Lama quelques semaines auparavant. Mise sous pression par les menaces de boycott chinois, la marque de luxe préférera retirer son sponsoring… Qu’à cela ne tienne, la chanteuse lancera une campagne de crowdfunding pour organiser une série de quatre concerts au Hong Kong Coliseum: les 50.000 billets seront tous vendus en deux heures…

Icône de la communauté LGBT, cofondatrice du mouvement Big Love Alliance, elle deviendra également la première star de la cantopop à revendiquer ouvertement son homosexualité. Aujourd’hui, elle est en première ligne du mouvement de contestation lancé au printemps. Une vague de mécontentement qui ne faiblit pas. Même si le projet qui a mis le feu aux poudres -une loi devant faciliter les extraditions vers la Chine- a été mis au frigo entre-temps, les protestataires continuent de descendre régulièrement dans la rue. Les tensions avec les forces de l’ordre et les groupes pro-Pékin restent vives. A fortiori à l’approche des « festivités » entourant les 70 ans de la proclamation de la République populaire. L’anniversaire en question aura lieu le 1er octobre. Invitée à une conférence dans le cadre du festival Antidote, à Sydney, au début du mois, Denise Ho semblait autant redouter qu’espérer ce qui s’annonce comme un moment de bascule pour le mouvement. « Vous savez, Hong Kong n’est pas particulièrement réputé pour son caractère militant. Pourtant, on n’a jamais rien vu de tel. Les gens ont été poussés à bout, et aujourd’hui les jeunes veulent se battre pour leur vie et leur futur. »

Dixit Céline Sciamma

« J’ai l’impression que chez les artistes femmes, notamment, la militance est beaucoup passée par la musique, et en particulier la musique populaire. Les grandes figures de divas militantes viennent de la pop culture: Madonna, Beyoncé, Lady Gaga, Rihanna… Et même dans les cercles plus rock, plus intellos: Patti Smith, Blondie, PJ Harvey… J’ai l’impression que la musique est un endroit où un féminisme et un militantisme peuvent s’exprimer, à l’échelle de stades entiers. Ici, face à Hong Kong, on voit bien que Denise Ho met possiblement sa carrière en jeu, et ça c’est quand même super rare. Je trouve indécent de soupçonner là des dynamiques marketing. Se revendiquer féministe, ça n’a jamais fait des carrières. Moi je n’y vois aucun opportunisme. »

>> Céline Sciamma rédac’ chef: le making of

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