Décès de Gérard Mortier: la réaction de la Monnaie

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FocusVif.be Rédaction en ligne

La nouvelle a secoué le monde culturel: Gérard Mortier s’est éteint. Depuis, des chefs d’Etats aux anciens collègues de Gérard Mortier, les réactions sont nombreuses. Parmi elles, celle de la Monnaie, dont il a longtemps été l’un des moteurs.

C’est avec beaucoup de tristesse que nous apprenons le décès de Gerard Mortier. L’équipe entière de la Monnaie s’associe au deuil causé par la disparition de cette personnalité charismatique et énergique, avec laquelle certains d’entre nous ont eu le privilège de travailler pendant une longue période.

La disparition de Gerard Mortier représente une perte incommensurable pour le monde de l’opéra et tout particulièrement pour la Monnaie. Si notre maison occupe aujourd’hui une place de premier rang dans le paysage lyrique européen, c’est dans une large mesure grâce à lui. Il a non seulement, dix années durant, marqué profondément de son empreinte l’organisation et la politique artistique de la Monnaie, mais sa vision de l’opéra est restée, après son départ, une source d’inspiration pour ses successeurs.

Après des études de droit et en sciences de la communication dans sa ville natale de Gand, Gerard Mortier a travaillé pour le Festival des Flandres (1968-1972), comme assistant du directeur de l’époque, Jan Briers. Très vite, il grimpe les échelons sur la scène internationale et est nommé successivement responsable du planning artistique pour Christoph von Dohnanyi et Rolf Liebermann, aux opéras de Düsseldorf (1972-1973), Hambourg (1973-1977), Francfort (1977-1979) et Paris (1979-1981). C’est à Bruxelles qu’il prend ses premières fonctions de directeur général.

Dès son arrivée à la Monnaie, en 1981, il met tout en oeuvre pour redorer le blason de cette maison d’opéra. Adoptant une programmation audacieuse, collaborant avec de grands hommes de théâtre afin de revaloriser l’opéra comme forme théâtrale, suivant résolument une ligne dramaturgique réfléchie et cohérente qui met l’accent sur la pertinence du grand répertoire pour notre temps, choisissant de rajeunir le genre par des commandes à des compositeurs contemporains doués de feeling pour l’opéra, améliorant méthodiquement les qualités artistiques de la maison par le renouvellement de l’orchestre et des choeurs et engageant de grands chefs d’orchestre dotés d’un sens du théâtre, extrêmement attentif à l’homogénéité de la distribution vocale – composée le plus souvent de jeunes chanteurs -, et, last but not least, communiquant son fabuleux enthousiasme qui faisait de chaque représentation un événement, il a insufflé au genre une nouvelle dynamique qui a définitivement cloué le bec aux oiseaux de malheur tels ceux qui professaient, dans les années 1960, la mort de l’opéra. Gerard Mortier a dirigé la Monnaie pendant dix ans – jusque fin 1991. Durant cette période, il a montré au monde entier, depuis Bruxelles, qu’une maison d’opéra dynamique, portée par une vision, pouvait, malgré des moyens limités, donner le ton en Europe. À Bruxelles, des metteurs en scène ont rendu à l’opéra ses lettres de noblesse théâtrales : des artistes de renommée internationale comme Patrice Chéreau, Peter Stein, Luc Bondy, Daniel Mesguich, Herbert Wernicke ou Ruth Berghaus ont ainsi oeuvré à la Monnaie, à côté de talents du cru comme Philippe Sireuil ou Gilbert Deflo. Aidés par ses directeurs musicaux, Sir John Pritchard et Sylvain Cambreling, Gerard Mortier a réussi, chaque fois, le mariage parfait de l’idée dramaturgique et de la forme musicale. Grâce à son instinct théâtral infaillible, il en est presque toujours résulté des productions unanimement saluées. Et toujours, il a laissé sa chance à la génération montante. Il a ainsi fait découvrir ou redécouvrir au public bruxellois quantité d’oeuvres du répertoire (notamment Janacek !), démarche dont le couronnement est sans conteste le fameux cycle mozartien de Karl-Ernst et Ursel Herrmann, dirigé par Sylvain Cambreling, dans lequel José van Dam, une des figures les plus éminentes de la période Mortier, a joué un rôle de premier plan.

Les succès remportés par Gerard Mortier à la Monnaie lui ont valu d’être invité en 1992 à prendre la direction artistique des Salzburger Festspiele, où, derechef, il fait souffler un vent de renouveau sans crainte de la controverse. Non content de rajeunir le public du festival, il a préparé celui-ci, par ses choix de répertoire, à entrer dans le XXIe siècle. Après Salzbourg viendra la RuhrTriennale, dont il est le premier  » intendant  » (2002-2004). Il est ensuite nommé directeur du prestigieux Opéra de Paris (2004-2009), conséquence logique de son vigoureux plaidoyer, durant sa période bruxelloise déjà, en faveur du projet du nouvel Opéra-Bastille, à l’élaboration duquel il avait très activement participé. Après l’aventure écourtée du New York City Opera, où ses projets n’ont jamais été réalisés en raison de restrictions financières, Il est nommé directeur artistique de l’opéra madrilène, le Teatro Real, où il a travaillé jusqu’il y a peu.

Gerard Mortier était respecté de tous pour son immense érudition, sa puissance de travail et ses projets culturels visionnaires. Cette vision, qui partait d’une perspective européenne et humaniste, continuera de nous guider, nous tous qui souhaitons faire fructifier son héritage.

En récompense de ses mérites, Gerard Mortier a été élevé en 1991 au rang de Commandeur de l’Ordre de la Couronne, a reçu la même année le Großes Bundesverdienstkreuz (insigne de Grand Commandeur de l’ordre du Mérite) en Allemagne, a été nommé docteur honoris causa des universités d’Anvers et de Salzbourg, Commandeur des Arts et des Lettres en France, a reçu en 2002 la Médaille Mozart d’argent de la Fondation internationale Mozarteum et a été nommé en 2005 Chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur. L’ensemble de son oeuvre a été couronnée du Prijs van de Vlaamse Gemeenschap voor Algemene Culturele Verdienste (prix de la Communauté flamande du Mérite culturel général) en 2004. En 2007, le roi Albert II lui a conféré le titre de baron. À partir de cette année, un nouveau prix portera son nom : le Mortier Award récompensera les personnalités dirigeantes novatrices du théâtre musical. Gerard Mortier sera le premier récipiendaire de ce prix, qui sera décerné pour la première fois le 31 mai de cette année par le très renommé Ring Award Jury.

La Monnaie perd en Gerard Mortier un de ses grands directeurs, mais aussi une référence et un ami irremplaçable, dont elle a, après son départ, perpétué l’héritage artistique et dont la vision continuera de la guider longtemps après sa mort. Son génie intellectuel et artistique et son indépendance d’esprit l’ont constamment poussé à des choix tranchés et à des prises de position claires, souvent sujettes à controverse. Cela ne lui a pas valu que des amis, mais il est indéniable qu’il a durablement marqué le visage culturel de notre pays et au-delà.

 » Cher Gerard, je voudrais ajouter une note plus personnelle ; tu savais comme personne exprimer ton respect pour un projet, une décision, un choix, tout comme tu pouvais émettre de franches critiques quand tu voyais les choses d’un autre oeil. J’ai gardé toutes tes belles petites cartes manuscrites comme autant de souvenirs précieux. Car ton avis comptait beaucoup pour moi. Tout compliment de ta part s’apparentait à la plus haute récompense. Comment considérer tes nombreuses réalisations autrement qu’avec un respect infini ? La plupart d’entre elles ont fait date, et même si tous tes projets n’ont pas eu un égal succès – comme c’est le cas pour nous tous -, notre politique de qualité et d’avant-garde porte irréfutablement ta signature. C’est une politique d’exigence, d’excellence, de ténacité, d’innovation ; pour toi comme pour Mahler,  » Tradition  » est synonyme de  » Schlamperei « .

Ta saison actuelle au Teatro Real de Madrid concentre tout ce que tu as défendu toute ta vie : création d’oeuvres nouvelles, approches passionnantes et surprenantes, interprétations musicales révolutionnaires, redécouvertes, productions de haut vol d’oeuvres connues, une place pour les artistes plasticiens… Rien que pour cela, tu mérites un prix d’honneur, un prix pour l’ensemble de ta carrière : seuls les titres les plus élogieux s’appliquent au rôle d’inspirateur que tu as joué, ces 30 dernières années, auprès de toute une génération de gens d’opéra… Je suis persuadé que notre communauté de professionnels te les concédera volontiers, tout simplement parce que tu les mérites.

Au nom de tous nos collaborateurs, de la myriade d’artistes qui ont travaillé dans ces murs, au nom aussi, bien sûr, de notre public innombrable, nous te remercions pour ta passion et ton enthousiasme, qui ont contribué à la réussite de notre institution.

Je pense qu’il revient à Mozart de te rendre le plus bel hommage, par une citation de sa Flûte enchantée dont tu avais fait ta devise et dont tu n’as cessé de t’inspirer :  » Sei standhaft, duldsam und verschwiegen! « .

C’est une leçon de vie pour nous tous. Merci. À présent, repose en paix.  »

Peter

À partir du mardi 11 mars, un registre de condoléances sera à votre disposition dans le hall d’entrée de la Monnaie. La Monnaie organisera prochainement un hommage à son ancien directeur. La nouvelle création mondiale de Philippe Boesmans, Au monde, sera dédiée à Gerard Mortier.

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