Damso, feu de joie
Vendredi soir, le rappeur numero uno du Royaume jouait à domicile, rassasiant le public du Palais 12.
Il y a quelques jours, les chiffres du streaming français venaient mettre les choses au point. Certes, Lithopédion, sorti en juin dernier, ne s’est pas vendu au même rythme que son prédécesseur, Ipséité (l’équivalent de 200.000 exemplaires écoulés en France, tout de même, et un disque de platine en Belgique). Cela n’empêche pas Damso de rester l’artiste le plus écouté sur Spotify, en 2018… Pas mal, vu la concurrence. Et, surtout, la – relative – réserve du bonhomme: il s’est par exemple payé le luxe de ne clipper qu’un seul (!) morceau de Lithopédion (Smog) – même pas celui qui tourne le plus sur les plateformes (Feu de bois).
Seulement, voilà, s’il y a bien une chose que Damso sait faire, c’est… emporter les coeurs, en douceur et profondeur. Après une tournée des festivals d’été un poil décevante, en roue libre, il a ainsi mis les choses au point. Appelez ça la force tranquille. C’est d’ailleurs l’impression qu’il a à nouveau dégagée lors de son concert de vendredi soir. Pour sa dernière sortie de l’année, chez lui, à Bruxelles, Damso a réussi à remplir les 12.000 places du Palais 12, un an après un Forest National déjà blindé – et quatre après un passage – gratuit – sur la plage de Bruxelles-les-Bains… Novice scénique, le rappeur numero uno du rap game belge a pris forcément de l’assurance avec le temps. Mais reste toujours aussi « flegmatique », arpentant seul la scène tel un félin impassible, peu spectaculaire. Bizarrement, cela suffit pour assurer la prise. Il y a bien l’un ou l’autre creux – 60 années ou Aux paradis, plus quelconques. Mais la plupart du temps, le rappeur-colosse réussit à maintenir l’attention et la tension. Par exemple, en invitant l’un ou l’autre invité gratiné: Kalash pour le tube Mwaka Moon et Orelsan pour le récent Rêves bizarres. Damso a également eu la (bonne) idée d’inviter le guitariste-youtubeur français Mathieu Rachmajda, pour le coup fort démonstratif, mais qui donne un nouveau relief à des morceaux comme Monde et Perplexe.
Le dispositif scénique épice également la setlist du soir: écrans diffusant des séquences d’espace, de désert ou de villes graphiques; éclairages au cordeau ; et surtout un dôme, sorte d’orbite géante en-dessous de laquelle Damso se balade, rappelant la thématique de la pochette de Lithopédion. A cet égard, il y aurait une analyse à faire sur le symbole de l’oeil dans la pop actuelle, où le visuel, les réseaux et le regard des autres (et sur) les autres sont devenus centraux. De la copine Angèle à donc Damso, qui en fait à la fois une fenêtre sur l’extérieur et le reflet de son monde intérieur.
C’est d’ailleurs dans ces moments-là que le rappeur est certainement le plus fort, quand ses angoisses intimes font écho à celles de sa génération, quand il introduit aussi entre deux bangers cradingues – Noob Saibot, Periscope, Débrouillard, etc – de la complexité et des contradictions. C’est le cas par exemple quand il ressort l’inédit Peur d’être sobre ou qu’il enchaîne Amnésie et le morceau-vérité William, planqué dans une pénombre, statique, la tête baissée.
Au bout d’une année parfois chahutée (la brouille avec Booba), et une polémique en carton, Damso finit donc malgré tout au sommet. Parce que, comme l’a démontré son concert au Palais 12, il peut alterner tubes (Macarena), classiques (BruxellesVie) et morceaux qui, aussi intimes soient-ils, résonnent dans l’époque. Une musique à la fois sombre et festive, dissidente et rassembleuse. A l’image du public présent ce soir-là, mixte et mélangé, « black, blanc, roloto », à l’antipode des éruptions identitaires du moment. Alors que les lumières se sont rallumées, il chante encore « waar is da feestje? ». Puisque, même s’il n’a pas atteint, cette fois, la finale, c’est bien Damso le grand vainqueur…
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