Couleur Café fait les comptes avant de déménager au pied de l’Atomium

Le Théâtre de Verdure, baptisé Green Stage, pourra accueillir 7.000 spectateurs debout. © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Suite au flop financier de l’édition 2016 et à l’embouteillage de Tour & Taxis, Couleur Café déménage au Parc d’Osseghem et recentre ses objectifs musicaux. Preuve qu’un festival reste un organisme vivant en lutte pour la prolongation de sa propre espèce.

Au soir du 3 juillet, dernier dans le backstage de Couleur Café à Tour & Taxis, Patrick Wallens pose pour la photo en compagnie de Roméo Elvis, le nouveau Joe Dalton du rap belge. Le coeur n’y est pas. Les premiers chiffres de la fréquentation de l’édition 2016 sont tombés: ils plongent juste en dessous du coma financier assuré, une dizaine de milliers de tickets en deçà des 63.000 requis pour la balance des comptes. Programme, foot, usure du festival, cachets en hausse constante, météo… les supputations tissent des hypothèses plus ou moins pertinentes sur l’échec public. « Au premier rang, il y a quand même les attentats, qui ont sérieusement ébranlé les ventes« , insiste Wallens. Pour l’équipe de Couleur Café menée par ce dernier, l’été se traverse entre ressourcement obligatoire et gueule de bois prolongée. L’avenir semble d’autant moins riant que le site de Tour & Taxis, hôte de l’événement depuis 23 ans, a annoncé depuis un bout de temps qu’il n’y aura plus de festival chez lui. Le domaine privé installé sur Bruxelles-Ville et Molenbeek donne la priorité aux projets immobiliers qui rétrécissent chaque année l’espace disponible. Commencent alors pour Wallens et son équipe des négociations destinées à réguler les pertes monétaires et, last but not least, à débusquer un hébergement pour le festival. Tout en menant un débat interne sur la personnalité même de Couleur Café, floutée entre autres par un élargissement au rock et à d’autres styles étanches à la vocation première des musiques du monde. Pour Wallens, promu Docteur Kissinger du décibel, des semaines de négociation impliquent le monde politique, Bruxelles, la Région, Tour & Taxis et les créanciers. Quand on se revoit dans un resto asiatique en janvier 2017, le récit des semaines de septembre à novembre paraît hallucinant. Pendant près d’une heure, l’ancien socio-cul né en 1958 détaille les entretiens, les coups de gueule et de blues, la volonté de ne pas abandonner le contrôle du festival ou de céder à de vaseux compromis à la belge. Récit impubliable pour d’évidentes raisons diplomatiques. Reste alors la seconde partie de l’entretien.

Quelle est la situation concernant l’emplacement du festival?

Patrick Wallens, patron de Couleur Café, devant l'Atomium, portique d'entrée de l'édition 2017.
Patrick Wallens, patron de Couleur Café, devant l’Atomium, portique d’entrée de l’édition 2017.© PHILIPPE CORNET

On a un accord officiel avec la Ville de Bruxelles -il est passé au Collège début novembre- pour installer Couleur Café au parc d’Osseghem. Soit un changement radical de décor, loin du coté urbain de Tour & Taxis, avec l’Atomium en portique d’entrée esthétiquement fort à la ville. On va installer trois scènes et un côté décalé via des performances, des interventions visuelles à différents endroits du parc. La zone qui part de l’Atomium vers le bas de la rue, superbe, sera animée de bars et restos. Le haut de la rue restera ouvert au public général. Le Théâtre Américain servira de backstage et comme il est propriété du Fédéral, on a introduit une demande à Jan Jambon, qui nous a donné l’accord de principe.

On parle depuis des années de la spécificité perdue, ou tout au moins égratignée, de Couleur Café. Qu’en est-il aujourd’hui?

Les festivals sont de plus en plus mainstream, ils utilisent les mêmes têtes d’affiche, celles qui font du monde. On veut sortir du syndrome des groupes qui tournent dans cinq, six festivals belges, donc à la limite on abandonne la pop, le rock et la chanson, on revient vers l’ADN de CC, les musiques du monde et les musiques black, soul, funk, blues, jazz, reggae, hip hop sans oublier l’électro. On a fait Puggy, Ghinzu, Girls in Hawaii, qui étaient très chouettes mais en terme d’image, on a un peu perdu. On veut revenir à un festival différent, qui met en avant la fête et l’esprit solidaire. On va retrouver notre spécificité et diminuer nos prix en rendant le festival beaucoup plus accessible, même si on n’était pas parmi les plus chers.

Le constat est aussi de ne pas pouvoir lutter contre une forme de croissance sans fin?

Aujourd’hui, la croissance, c’est déjà se maintenir et exister: mais on organise quand même un festival pour un public, même si cela me plairait d’être encore plus pointu et plus exigeant. Déjà, là, on va prendre un risque en nous fermant sur certains noms plus fédérateurs, on y répond en réduisant les coûts, via « Early Bird » qui proposait -la formule est close- un pass trois jours pour 65 euros au lieu de 95 l’année dernière. On n’est même pas dans les prix d’Esperanzah! Et Early Bird a cartonné.

Cela fait des années qu’on parle de la décroissance de Couleur Café, mais quelle est la part de morale et celle de l’économie là-dedans?

Alpha Blondy, l'une des têtes d'affiche de l'édition 2017, plus centrée World Music.
Alpha Blondy, l’une des têtes d’affiche de l’édition 2017, plus centrée World Music.© DR

On a déjà évoqué de multiples fois cette course à la tête d’affiche, l’angoisse qui va avec, et la surenchère des cachets. Pour un festival moyen comme nous, la tête d’affiche va facilement jusqu’à 200.000 euros et un festival belge -que je ne citerai pas- a même été jusqu’à 500.000 dollars pour une tête d’affiche. C’est déraisonnable. On a un peu mis le doigt là-dedans avec les Snoop Dogg et compagnie mais là, non. Donc on va dans des cachets en dessous de 100.000 balles.

Parlons du budget du festival, il était de quatre millions, vous en êtes où?

Pratiquement, on va réduire de 25% le budget et les cachets vont aussi être diminués du même pourcentage. Par contre, on va investir davantage dans les « délires de Couleur Café » installés dans le parc, représentatifs de ce qui se passe actuellement à Bruxelles dans les domaines des arts plastiques, de la musique et du cirque. On va aussi changer le souk, en amenant des petites start-up dans l’alter et les nouvelles consommations. On s’est un peu reposés sur l’artisanat world-exotique-hippie et puis on s’aperçoit qu’il n’y a pas vraiment de renouvellement, que les produits viennent des mêmes endroits, sans avoir la certitude que c’est forcément éthique: on va être plus exigeants là-dessus. On sort d’une édition très difficile, on a dû refinancer le festival, réinterpeller nos partenaires comme les pouvoirs publics.

Tour & Taxis était donc devenu impraticable?

Oui, ou alors dans une formule tellement réduite, au milieu de grues… Le charme du lieu s’est perdu au fil des années, c’est pour cela qu’on est très contents d’aller au parc d’Osseghem dont on parle depuis quinze ans. Il ne faut pas oublier qu’on a poussé l’exploration de lieux jusqu’au Plan incliné de Ronquières et aux Forges de Clabecq, en visitant toutes les possibilités le long du canal. On n’avait aucune envie de se retrouver dans une morne plaine ou un « bête » parc, ce qui n’est pas le cas d’Osseghem qui conserve une part d’Histoire. Pourtant, lorsque le festival s’est installé à Tour & Taxis en 1994 (après quatre éditions aux Halles de Schaerbeek), c’était une vraie aventure: de vieux trains, un terrain vague avec des rats et un bâtiment des douanes totalement à l’abandon. Pendant dix-douze ans, la seule activité sur ce terrain a été Couleur Café.

C’est déjà un miracle qu’on ait tenu 23 ans sur un lieu de telles tergiversations: cela appartenait aux pouvoirs publics, au Port de Bruxelles qui n’en a rien fait pendant des années et puis cela a été vendu au privé à bas prix et les choses se sont accélérées pour cause de rentabilité. On pensait devoir vite en déménager parce qu’il y avait à la fin des années 90 ce projet Music City d’y construire une salle de 8.000 places, qui ne s’est jamais concrétisé, pas plus que le Musée du tram ou le centre d’Alain Hubert.

Le Parc d’Osseghem est, par définition, un lieu plus fragile que Tour & Taxis…

Couleur Café joue au Parc

Couleur Café fait les comptes avant de déménager au pied de l'Atomium
© DR

« Hier, on carburait avec l’équipe pour trouver des noms aux trois scènes avec des couleurs hyper sophistiquées, genre indigo, pour finalement s’arrêter aux simples green, red et blue stages (rires), l’idée étant que chaque endroit du parc où elles sont installées ait cette couleur dominante-là. » Vendredi 10 février et Patrick Wallens revisite le parc d’Osseghem, où du 30 juin au 2 juillet 2017 aura lieu la 28e édition de Couleur Café. La première dans cette étendue de verdure de 17 hectares située juste en bas à droite de l’Atomium sur le plateau du Heysel. Wallens a déjà parcouru de multiples fois l’endroit, conçu par Léopold II puis aménagé pour l’Exposition Universelle de 1935. Mais aujourd’hui, par temps hivernal glacé, en compagnie de Marc Demey, logisticien du festival, et du tandem déco, Sébastien Boucherit et Jérôme Désert, à quatre mois et demi de l’événement, il s’agit de concevoir plus précisément la future allure du lieu. En passant devant la statue de l’ancien bourgmestre de Bruxelles, Adolphe Max, et la pièce d’eau annexe -près de l’entrée du parc- Wallens échafaude déjà un projet d’installation artistique qui prend en compte les convulsions de l’actualité. Clairement, la notion d’engagementest là, comme celle de plaisir dans ce parc où le festival occupera grosso modo la même surface qu’à Tour & Taxis, soit 55.000 mètres carrés. Même sous les arbres maigres de février, Osseghem reste un lieu impressionnant, majestueux. Les hêtres pourpres et leur environnement feuillu nécessitent des précautions mais peuvent aussi accueillir des scénarios visuels imaginatifs, comme une projection dans les arbres ou un bateau glissant sur la rivière locale. La première des trois scènes, laGreen,est prévue au Théâtre de Verdure -utilisé par le Brosella chaque juillet- et a une capacité de 7.000 places debout. À quelques centaines de mètres de l’amphithéâtre -il faudra marcher plus à Couleur Café 2017- se trouve la Blue Stage, équivalente de la Move de Tour & Taxis. Elle occupera une sorte de promontoire en dur qui domine la plus vaste étendue du parc, une pelouse sans arbres, au bout de laquelle sera posée la scène principale, la Red. Le dos au Théâtre Américain servant de backstage. Le déménagement est prometteur mais pose de sacrées questions logistiques, comme celle du déplacement des 45 containers de matériel encore sur Tour & Taxis. Pour le reste, ce sera à la musique de parler. Princess Nokia, Roméo Elvis, le projet africain de M & Lamomali, Oumou Sangare, Emir Kusturica, Demi Portion, Alpha Blondy, Damian Marley, Mbongwana Star, Lianne La Havas sont parmi les premiers noms annoncés. D’autres, dont deux solides attractions nord-américaines, devraient suivre. De quoi mettre des couleurs à l’Atomium.

www.couleurcafe.be

Oui, on doit aussi réussir ce côté environnemental: 65.000 festivaliers, cela fait combien de mégots de cigarettes? On a l’intention, vu le côté bio-éthique-responsable, de distribuer des petits cendriers individuels. On a aussi l’idée d’impliquer davantage les gens dans le festival, la programmation, à travers les associations comme à titre individuel et donc de les conscientiser pour avoir le moins d’impact possible sur l’environnement. Un pari parmi d’autres.

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