Combo belge

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Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Quand le businessman liégeois Eric de Lamotte rencontre le rappeur belgo-congolais Pitcho, cela donne le double festival musical Amani dans l’Est troublé du Congo et la capitale du Rwanda, dès la fin août. Culotté.

Hormis une taille commune qui doit tutoyer le mètre 85, on peut difficilement calibrer deux hommes aussi différents. Couleur de peau, génération, milieu, expression, débit, éducation, origine, parcours, famille, chemise contre t-shirt. A notre droite, un de Lamotte, 57 ans, belle gueule qui aurait pu être séducteur dans les noir et blanc hollywoodiens, façon cow-boy viril ou sénateur à la James Stewart. Homme d’affaires aux multiples tiroirs. A notre gauche, le Bruxellois Laurent « Pitcho » Womba Konga, né à Kinshasa fin 1975, auteur de plusieurs disques hip hop où il traque l’urbanité et le métissage de cultures. La rencontre date de 2010 lorsque Pitcho, invité de l’émission radio RTBF Quand les jeunes s’en mêlent, croise l’un des deux fils d’Eric, qui le met en contact avec papa.

Bruxellois d’adoption, Eric de Lamotte a fait de l’est du Kivu son objectif terre: banquier, il travaille à Goma, dans l’est du Congo entre 1987 et 1990, et vit « comme l’expatrié classique ». Il s’y marie à une dentiste (belge) puis quitte la région en 1990. « Gamin, je ne lisais pas Tintin au Congo, non (sourire), je faisais du sport, du scoutisme et j’imaginais devenir médecin de campagne ou instituteur. » Tendance CDH, même s’il n’est pas pratiquant, de Lamotte parle comme un CFO, glissant volontiers dans son débit Niagara une pointe de jargon anglo-business. En 1994, en réponse au génocide rwandais, il crée l’asbl En avant les enfants,toujours à Goma, dans ce Kivu qui le fascine, « un territoire énorme de 20 millions de personnes en souffrance depuis 20 ans(1), sans infrastructure, une électricité au compte-gouttes, des gens incroyablement accueillants, un potentiel énorme qui pourrait amener le Kivu à être l’une des régions les plus riches du monde si elle n’était constamment spoliée ». Créateur du Foyer Culturel de Goma qui entre autres dispense des cours à 450 élèves, de Lamotte fait aussi des affaires via tourisme durable, micro-finance et équipement solaire, « là, avec le désir d’un return normal ».

« Je suis arrivé en Belgique à l’âge de six ans, à Schaerbeek, avec mes parents, tous deux Congolais. Mon père avait fui le régime de Mobutu. J’ai reçu ma carte d’identité belge à 26 ans, vers 2001 donc. » Pitcho a une belle voix qui fait rouler les graves: cela n’a pas dû échapper à de Lamotte qu’il rencontre à la période d’Héritage, ambitieux projet culturel mené en 2010 avec le Musée de l’Afrique Centrale de Tervuren. « Une vingtaine d’artistes de la diaspora congolaise qui avaient envie de se réapproprier l’héritage de leur pays, travaillaient ensemble. » Parmi ceux-ci, Pitcho et son rap qui raconte le grand écart des cultures, les sensations de la ville, les afrocités et les déceptions. On l’entend par exemple, sur l’album Diversidad, recrutant aussi Orelsan et Abd El Malik. Parallèlement, il séduit le légendaire Peter Brook qui le fait jouer dans son ambitieux théâtre voyageur. « Je suis né à Kinshasa et je ne connaissais pas du tout la région de Goma avant qu’Eric ne me propose d’y donner un workshop avec Lexxus (rappeur de Kinshasa, ndlr) en mars 2012 au Foyer Culturel. L’idée du festival est un peu partie de cette expérience, de cette découverte d’une région riche notamment en minerais mais où les populations pauvres ne quittent pas les affres de la guerre et subissent les éruptions du volcan Nyiragongo (ravageant un tiers de Goma en 2002, ndlr). »

Youssoupha

De Lamotte propose donc à Pitcho d’être directeur artistique du festival Amani -« paix » en swahili- qui fera trois jours à Goma et une soirée à Kigali fin août/début septembre(2). Eric se charge de trouver le budget -160.000 dollars- chez les sponsors et dans les méandres de ses réseaux belgo-rwando-congolais. Il s’occupe aussi de dénicher la logistique -sono, lumières- au Rwanda, vu le désert congolais en la matière et de « blinder »le passage des frontières comme les deux heures et demie de route séparant Goma de Kigali: « La musique, je n’y connais rien. Je suis allé pour la première fois de ma vie à un festival en juillet aux Francos de Spa, notamment pour rencontrer Jean Steffens, qui va lancer les Francos à Kin à la rentrée 2014. » D’où parfois, de l’électricité dans l’air avec Pitcho sur le sens et le coût des invités. « Et, comme l’explique le rappeur, le fait qu’Eric soit plus congolais que les Congolais: il voit tout en très grand. » Pour son affiche, outre des groupes locaux, recrutés sur concours, des ensembles traditionnels de la région, Amani se paie une prog afro-européenne incluant Pitcho, ses camarades Fredy Massamba (Congo-Brazza) et Lexxus Legal de Kin. « Il fallait une tête d’affiche et c’était clair que cela devrait être Youssoupha, Franco-Congolais à la fois divertissant et engagé. Avoir lancé ce truc il y a un peu plus d’un an et attendre maintenant 40.000 personnes à Goma et 10.000 à Kigali, c’est juste extraordinaire »,conclut Pitcho, prudent mais enthousiaste.

(1) DEUX GUERRES SURVENUES ENTRE 1996 ET 2002 ONT RAVAGÉ L’EST DU CONGO, CAUSANT PLUSIEURS MILLIONS DE MORTS. LA RÉGION RESTE SOUS TENSION, VICTIME DES EXACTIONS DE MILICES, NOTAMMENT RWANDAISES, QUI Y PILLENT, TUENT ET VIOLENT ALLÉGREMENT.

(2) LES 30, 31/08 ET 01/09 À GOMA, LE 30/08 À KIGALI.

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