Christine and the Queens, l’interview de rentrée

Christine and the Queens © Jeff Hahn
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Depuis plusieurs mois, elle fait le « buzz » en France avec son premier album électro-pop. En plein débat hexabonal sur les genres, Christine and the Queens joue la carte queer, mélange Christophe et Kanye West, chanson et choré r’n’b. Le freak, c’est chic.

Aulnoye-Aymeries, dans le nord de la France, à un jet de pinte de Dour. On est début août, sous le soleil. Le festival des Nuits secrètes a commencé à dérouler son affiche indé de proximité. Côté jardin, Christine and The Queens y débarque en fin d’après-midi. Elle apparaît exactement comme dans le clip de Saint-Claude: chevelure blonde mi-longue, duck face de Titi, Héloïse Letissier de son vrai nom (Nantes, 1988) porte « straight ». Veston noir sur chemise blanche, chaussures noires, pantalon noir. Le fute est trop court et donne sur ses soquettes blanches: quelques heures plus tard, sur scène, les clins d’oeil dansés à Michael Jackson période Billie Jean n’en seront que plus évidents… « Un jour, j’écrirai un livre sur lui », rigole la fan avouée.

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À mille lieues de l’image glacée de la pochette de son premier album, intitulé Chaleur humaine, Christine and The Queens se montre affable, rieuse. D’aucuns l’ont rapprochée d’une chanteuse comme Camille. Mais en version électro-pop alors. Partageant notamment certaines audaces (un exemple: la reprise des Paradis perdus de Christophe, à laquelle Christine a greffé du Kanye West). Mais sans l’assurance crâneuse: Heloïse Letissier passe son temps à nuancer, se contredire, relativiser, affirme une chose avant de rectifier (« en même temps… »), a beau chanter « je fais tout mon make-up au mercurochrome », dégoupille rapidement toute éventuelle prise au sérieux (« je voudrais pas donner l’impression d’en faire des caisses »). Quand la conversation se termine au bout d’une quarantaine de minutes, elle lance, faussement naïve: « J’ai l’impression d’avoir beaucoup parlé, non? » -c’était bien le but.

L’exercice n’a pourtant plus beaucoup de secrets pour elle. Depuis le printemps, elle s’est lancée dans une promo intensive. On a pu la voir à peu près partout. De Télérama au plateau télé de Ruquier, la chanteuse a raconté son histoire: des études de théâtre, une rupture amoureuse, et un trip à Londres pendant lequel elle rencontre une troupe de drags, ses fameuses « queens » à elle, qui la poussent à créer son personnage de Christine et à se lancer dans la musique. En plein débat hexagonal sur les genres, elle chante « I’m a man now » (iT) et ne fait pas mystère de sa bisexualité (à Libé, elle explique s’être fait larguer par une fille « devenue homme »). « Dans l’ensemble, je ne peux pas me plaindre, j’ai l’impression que mon album et mon propos ont été bien compris. C’est juste qu’avec toutes les discussions sur les genres ou le mariage homo, à un moment, j’avais l’impression de devenir une militante hardcore. Alors que mon album ne l’est pas tant que ça. Je connais des artistes qui le sont beaucoup plus. »

En tout cas, la couverture médiatique est bien là. Depuis plusieurs mois, Christine and The Queens fait le « buzz ». Elle s’étrangle: « C’est à la fois plaisant et effrayant: un buzz, par définition, cela ne dure qu’un temps. Je comprends, c’est le jeu. Tout se périme très vite. Le but sera de continuer à susciter le désir auprès du public, tout en ne se laissant pas aliéner par ça, en cherchant toujours à faire ce qu’on aime… » Elle marque une pause, puis: « Bah, on va déjà faire un 2e disque et puis on verra. Si personne n’en veut, je ferai une tentative de suicide, je serai dans Closer, les ventes seront boostées… Et hop! Faut juste que j’attende le club des 27, ce serait parfait… Ah merde, c’est déjà l’année prochaine, faut que je me bouge! » (rires). On n’en est pas encore là…

Un premier album, c’est…?

Sur la pochette, je tiens un bouquet de fleurs en main: j’ai l’impression que c’est comme un premier rendez-vous amoureux. C’est stressant, effrayant, mais aussi très excitant. Il y a le côté: « Me voici, moi Christine, avec ce que j’ai à raconter, à dire… » Je pose un décor, un propos. C’est le début d’un dialogue.

Devenir chanteuse a-t-il été une évidence?

Non, vraiment pas. Je n’avais pas prévu d’en faire quelque chose qui dure, encore moins un métier. Que j’ose me considérer comme telle est assez récent en fait. Au départ, je sortais des études de théâtre dans lesquelles j’étais très malheureuse. Ce projet de Christine and The Queens m’a permis de m’épancher. Une manière de me « déverser ». C’est arrivé sous une forme musicale, mais au départ c’était simplement quelque chose de très viscéral. Je ne vais pas faire l’ado torturée de service, mais c’est vrai qu’à un moment, cela a été la seule manière pour moi de m’exprimer correctement. De me restructurer. J’avais été admise à l’Ecole normale sup’ (ENS) de Lyon, j’étais étudiante salariée (recrutés sur concours, les élèves normaliens sont rémunérés, ndlr). J’avais une certaine sécurité de vie. Mais je n’étais pas bien, j’ai préféré tout lâcher.

Quel était le souci avec le théâtre?

Maintenant que je fais de la musique, je comprends peut-être mieux pourquoi je n’étais pas adaptée. À la fin, par exemple, je n’allais plus voir que des pièces chorégraphiques ou sans texte. Je pense que j’étais très fatiguée du théâtre avec des mots. Je n’arrivais plus à aller écouter des gens parler sur scène. Cela me mettait physiquement mal à l’aise. Je préférais aller voir des oeuvres presque sans paroles. Par exemple, j’aime beaucoup un metteur en scène comme Pippo Delbono, qui travaille sur des textes fragmentés. En fait, je m’intéressais déjà à une manière d’être sur scène qui soit un peu différente, moins bavarde. L’autre chose, c’est que j’étais mal à l’aise avec le travail collectif. C’est paradoxal parce que je voulais faire la mise en scène! Mais j’avais beaucoup de difficultés à travailler avec d’autres. C’est mon côté « control freak » (elle grimace).

Au final, Christine and The Queens évoque quand même un collectif…

Ben oui, comme quoi, on règle pas mal de choses avec des projets artistiques (rires). D’ailleurs, au début, je tournais toute seule avec ce nom-là. Les gens ne comprenaient pas. J’assume ce côté schizophrène. Aujourd’hui, j’ai réussi à m’entourer des bonnes personnes (sur scène, elle est notamment accompagnée de deux danseurs, ndlr). Mais parce qu’entre-temps, j’ai pu installer un univers… En fait, je suis très timide. J’ai du mal à être un vrai leader, à m’imposer. J’ai donc dû d’abord créer mon monde. Du coup, les gens qui me rejoignaient savaient pourquoi.

Comment la musique a-t-elle fini par supplanter le théâtre?

Je lisais de plus en plus de poésie. Je me suis rendu compte que la musique était une manière d’écrire qui me convenait très bien. Une façon d’utiliser le mot et la langue qui me paraissait plus riche. Et peut-être plus ambigüe… J’aime assez l’idée qu’on puisse habiter une chanson comme une maison. Pour cela, les chansons de Bashung sont formidables. En fonction de l’heure de la journée, elles peuvent souvent prendre un sens différent. La chanson laisse de l’espace pour se l’approprier. Puis cela se propage très bien aussi. Ce qui me manquait dans le théâtre. Il y a quelque chose de plus démocratique, de plus contagieux et populaire dans la musique. Je sais bien qu’on emmène des classes au théâtre et c’est très bien de le faire, mais le théâtre touche actuellement davantage une élite.

Christine and the Queens
Christine and the Queens© DR

La plupart des chansons de Chaleur humaine alternent français et anglais. Pour dire des choses différentes?

Je dis les mêmes choses, mais de manière différente. Je ne suis pas parfaite bilingue. En anglais, j’ai un langage plus direct, naïf, une écriture moins imagée, plus elliptique. C’est comme une deuxième voix dans l’histoire. Souvent, le couplet est en français: je peux m’installer, développer quelque chose. Le refrain sera lui en anglais: il doit être plus concis, direct, un peu comme un uppercut.

D’où vient cette culture anglo-saxonne?

Mon père est prof d’anglais. Puis, à la maison, il y avait des vinyles de Klaus Nomi, de David Bowie… Cela dit, mes parents écoutaient aussi pas mal Christophe, Jean-Louis Murat… Je les remercie parce qu’ils m’ont fait découvrir des choses très fortes, comme les films avec Bob Fosse. Je me souviens aussi d’Elephant Man. A dix ans, ils m’ont mise devant Freaks de Tod Browning (sur ses avant-bras, elle a tatoué deux citations du film: « We accept you »/ »One of Us », ndlr). C’est une magnifique histoire sur la tolérance. Mais pour le coup, à cet âge-là, c’est aussi très impressionnant…

Les premiers flashs personnels, c’étaient quoi?

Au collège, j’étais fan de Björk. Cela m’a pas mal isolée d’ailleurs. Personne n’écoutait ça. Lors d’un repas de Noël, des amis de mes parents leur avaient offert Vespertine. Ils étaient un peu sceptiques. Moi je n’en revenais pas: qu’est-ce que c’est ça? J’ai appris beaucoup de choses avec ce disque. Entre-temps, j’ai découvert aussi Lou Reed, Laurie Anderson… Aujourd’hui, j’aime des choses comme Fever Ray, The Knife… Puis j’ai creusé tout le hip hop américain, le r’n’b…

En France, on aime surtout l’Amérique pour ses underdogs, ses voix déviantes, alternatives. Cela n’a pas l’air d’être ton cas. En citant Michael Jackson, Beyoncé… tu adhères également au côté plus directement entertainment, show-biz… Juste?

Oui, c’est vrai. Mais j’ai l’impression que cela bouge un peu en France. C’est comme les questions du bon et du mauvais goût. J’écoute des choses très « pointues », mais j’aime aussi beaucoup un chanteur comme Balavoine, même s’il est toujours un peu méprisé. Et puis, à côté de cela, il y a aussi la question de l’ambition. Même quand j’étais toute seule à danser, on me reprochait de me la péter. Alors que je cherche juste à communiquer, d’une certaine façon, qui tient plus de la tradition du show US. Jackson, Beyoncé… Ce sont des artistes qui me fascinent. Après je ne suis et ne serai jamais ces gens-là. C’est ce qui est intéressant.

Première chanson composée?

Je crois qu’elle s’appelle Be Freaky. C’est elle qui m’avait emmenée en finale du concours des Inrocks. Mais je ne l’ai jamais sortie, ni exploitée. Elle est très… bizarre. C’était un premier manifeste, l’acte de naissance d’un personnage. Christine est née de cette injonction-là: décider d’arrêter de faire attention au regard des autres et être bizarre si on veut être bizarre.

Le premier concert de Christine, c’était comment?

Ce n’est pas très clair. Je crois que c’était à Nantes… On va croire que j’en fais des caisses, mais je sortais de cette phase très traumatisante. Du coup, tout le début du projet s’est déroulé dans une sorte de brouillard étrange… Je me rappelle que j’arrivais sur scène sans parler. Je suis une grande fan du comique américain Andy Kaufman, et mon personnage était à fond là-dedans. Ce qui n’est pas toujours très tenable (sourire). Je faisais un wannabe, hein. Mais je déboulais, je me plantais là, et je ne disais rien, pendant très longtemps. Le personnage était aussi un peu plus angoissant qu’il ne l’est maintenant. J’attendais que les gens soient gênés et se demandent ce qu’ils faisaient là. J’étais très contente de mon idée (rires). C’est marrant parce que le personnage de Christine est devenu plus solaire au fur et à mesure que je me suis aussi « réveillée ». En fait, il a suivi mon évolution. Il a commencé comme un zombie, pour revenir petit à petit à la vie, et retrouver des couleurs.

L’inverse de Michael Jackson…

Michael Jackson, c’est le plus populaire d’entre les freaks. C’est quand même un personnage très marquant, où l’oeuvre et la vie sont aussi frappantes l’une que l’autre. Son évolution aussi, cette manière de vouloir s’altérer… Je suis assez fascinée par ces gens qui veulent disparaître dans leur travail. Je trouve que sa transformation physique est une manière de se fondre dans ce qu’il a fait, de se transformer en un vrai personnage de dessin animé.

N’y a-t-il pas le risque de se perdre dans cette culture du personnage?

Dans mon cas, c’est possible, oui. En même temps, cela me plairait bien. C’est peut-être bien le problème (rires)! Je ne trouve pas ça forcément affreux. En fait, ce sont davantage les gens de mon entourage qui se tracassent parfois. Mes parents sont très inquiets. Ils se disent que si cela s’arrête je vais de nouveau être très malheureuse… En attendant, cela me va. Par exemple, pendant la partie la plus intensive de la promo, j’étais Christine quasi en permanence. J’étais fatiguée, mais tellement heureuse de pouvoir « m’échapper ». Avec Christine, je peux être moi-même, tout en ne devant plus être moi-même. Vous me suivez (rires)? Donc oui, j’aimerais disparaître derrière un personnage…

CHRISTINE AND THE QUEENS, CHALEUR HUMAINE, DISTRIBUÉ PAR BECAUSE/WARNER.

EN CONCERT LE 04/10, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

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